Alain Montesse

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(Note écrite pour la rétrospective Jeune, dure et pure, Cinémathèque française, mars 2000)


NOTE A PROPOS DE

"ETUDE POUR DESERTS"


"ETUDE POUR DESERTS", prévu à l'origine pour être un film "relatif aux conditions de communication dans les déserts modernes", est finalement une étude sur le chaos.

Pour ce faire ont été mis en oeuvre différents moyens :

  1. Le film est entièrement structuré sur l'oeuvre musicale DESERTS d'Edgar Varèse, d'une durée de 24' (créée en 1954). L'auteur lui-même en disait: "DESERTS signifie pour moi non seulement les déserts physiques, de sable, de la mer, des montagnes et de la neige, de l'espace extérieur, des rues désertes dans des villes, (...) mais aussi ce lointain espace intérieur qu'aucun télescope ne peut atteindre, où l'homme est seul dans un monde de mystère et de solitude essentielle. (...) Je n'attends pas de la musique qu'elle transmette rien de cela à un auditeur. (...) Sur la vie et la personnalité du compositeur, inutile de rien dire. La musique s'appelle les Déserts. Vous l'aimez ou vous ne l'aimez pas, c'est tout. Pourquoi bavarder autour?"

  2. La voix de Michel Serres, plongée dans la musique, expose pendant la section centrale, la plus longue, son interprétation tourbillonnaire de la physique atomique de Lucrèce, et de la naissance des formes, selon le De Natura Rerum. En début et en fin de film, elle parle également de différents sujets connexes (musiques, mathématiques, communication et bruit de fond...).

  3. Sur les passages électroacoustiques, particulièrement caractéristiques de l'œuvre, on entend également la voix d'Edgar Varèse. Ces interventions séparent les différentes sections du discours de Serres évoquées ci-dessus, de même que les séquences électroacoustiques séparent les différentes sections instrumentales.

  4. Enfin, la bande image est un flux tumultueux d'images de la vie quotidienne, très rapides et souvent superposées en plusieurs couches, à des vitesses variables, à la manière du cinéma underground des années 60, et où rien ne se répète.

L'un des enjeux du film était de montrer qu'on peut tenir un discours audiovisuel cohérent, à propos d'un sujet qui ne l'est apparemment guère, dont l'abord est réputé difficile, et ce uniquement en recyclant des éléments pré-existants, dont aucun n'était spécifiquement prévu pour cela. La cohérence du film repose finalement sur le montage interférentiel musique/textes/images. Un autre enjeu était de complexifier le modèle du "clip", en l'étendant à des domaines auxquels il ne touche d'ordinaire pas : la musique classique contemporaine, la science et la philosophie. Un autre encore était d'incorporer à l'oeuvre une de ses théories possibles, énoncée en temps réel, dans le temps même de la projection de l'oeuvre...

Le paradoxe est que le résultat final, qu'on pourrait à bon droit qualifier de centon ("(du latin cento, habit rapiécé) : pièce de vers ou de prose, faite de fragments empruntés à divers auteurs", Petit Larousse 1971), est immédiatement compréhensible dans son propos général pour un public non-averti, alors qu'il peut irriter certains spécialistes de tel ou tel domaine abordé. On peut d'ailleurs en faire une présentation négative (chaos incohérent d'images insignifiantes, musique discordante, commentaire inaudible. Le montage se réduit à des assemblages de hasard, on ne discerne aucune idée directrice. Bredouillis tonitruant. L'auteur restera seul, comme le titre l'indique ...).

On retrouve ainsi ce résultat expérimental de la chaologie contemporaine, qu'une spécialisation trop poussée est finalement un handicap pour la souplesse et l'adaptabilité dans des conditions changeantes, fluctuantes ou critiques.

Durée 24'
Original 16mm inversible couleur double-bande ;
1 copie 16 mm son magnétique, piste couchée ou double-bande ;
plusieurs copies Beta.