MECANIQUE QUANTIQUE, ETC




" Took all the tubes from my radio
Doesn't mean nothing to me
Wouldn't spend a dime on the stars & stripes
'cause I'm doin' my own for free "

(Thomas Pynchon,
Gravity's Rainbow)



Epistémusicologie, Tlaloc
Chemie
Détournement II : mécanique quantique
Polytonalité
Oeuvres et programmes...
Blues in the Black Hole
La nouvelle mésalliance
Andante : bio-odecology






Reprenons Bachelard, la Philosophie du Non. Dès l'avant-propos, p.4, on nous dit que :

Il semble donc bien que nous manquions d'une philosophie des sciences qui nous montrerait dans quelles conditions - à la fois subjectives et objectives - des principes généraux conduisent à des résultats particuliers, à des fluctuations diverses...

Cette philHARMONie des MUSIQUES, cette trinité permutable scientifico-philosophico-musicale, nous allons essayer d'en donner ici quelques bribes.

Et sautons à la page 49, aux conclusions relatives à la notion de "profil épistémologique". Il y apparaît que l'épistémUSICologie ne peut être que plurielle :

En résumé, à n'importe quelle attitude harmonique (philosophique) générale, on peut opposer, comme objection, une notion particulière dont le profil épistémUSICologique (épistémologique) révèle un pluralisme harmonique (philosophique) ...

          ... car Bachelard venait de s'interroger sur la notion de masse, et ses avatars à travers l'histoire des sciences. En musique, la masse n'est pas encore une notion très définie (encore que le concept de "grosse note"...), nous passerons donc, tout en envisageant d'aller quelque part du côté de Canetti voir s'il n'a pas quelque chose à nous apprendre sur l'usage statistique de la masse chez Xenakis, ou sur le nombre des executants chez Mahler.


Autre version du projet épistémusicologique, cette fois explicite, chez Jean-Marc Lévy-Leblond (L'ESPRIT DE SEL, p.74). JMLL vient de parler du "salubre comique des idées" que l'on rencontre à la lecture des anciens textes scientifiques :

Je voudrais suggérer à ce propos une analogie entre la science en cette phase et la musique du siècle passé. Jusque vers le milieu du xixe siècle, en effet, la musique classique n'existait pas. La musique, je veux dire celle que les orchestres jouaient...

A un tout autre point de vue, on sait que Popper, avant de devenir épistémologue, s'était essayé à la composition. La notion de falsifiabilité est donc, à l'évidence, une notion épistémusicologique; le mot même le dit.

Pour la conscience formée à l'école du clacissisme, une pièce musicale non falsifiable n'est pas de la musique. Lors des répétitions des premières pièces de Xenakis, les musiciens jouaient de temps en temps à côté de ce qui était écrit. Procédé classique des musiciens d'orchestre pour éprouver l'oreille du chef. Mais procédé inopérant en l'occurence : la plupart des variations de détail de détail ne détruisaient pas l'organisation statistique de l'oeuvre.

On envisagera donc de détourner "LA LOGIQUE DE LA DECOUVERTE SCIENTIFIQUE" en "LA LOGIQUE DE LA COMPOSITION MUSICALE" et "LA SOCIETE OUVERTE ET SES ENNEMIS", pourquoi pas, en "L'OEUVRE. OUVERTE PAR SES EXECUTANTS".

(Il faut rappeler ici que l'épistémologie poperrienne repose sur une négation radicale de toute intuition du "réel" ; seules subsistent des conjectures, des hypothèses, et l'éventuelle réfutation de ces hypothèses, par une "expérience cruciale". Mille expériences positives ne pourront jamais que corroborer une hypothèse, mais jamais la vérifier. Par contre, une seule falsification suffit à la ruiner (tant qu'on n'aura pas trouvé mieux, on continuera néanmoins à habiter dans ces ruines). Une bonne falsification vaut mieux que cent mille longs discours corroboratifs.
En musique, la création d'une oeuvre constitue-t-elle une "expérience cruciale" ? Si la création est réussie, cela ne prouve rien. Par contre, un bon échec, éventuellement assorti d'un scandale, peut être porteur d'avenir. Malheureusement, on peut douter que les instruments de mesure utilisés (claque, presse, applaudimètre...) soient des plus fiables.)

Et donc, lorsque Boulez, dans son discours au Séminaire sur la Recherche Musicale qui se tint à l'IRCAM en 1985, dira "Nous édifions des théories pour le plaisir de les détruire ; cela nous sépare des scientifiques", il se trompera du tout au tout (seulement du point de vue falsificateur qui est ici le notre, s'entend. Les positivistes, au contraire, lui donneraient raison : ils construisent des théories, et/ou des pièces de musique, pour le plaisir de les vérifier. Et ils recherchent ce plaisir activement, ce qui donne parfois à leur religion conquérante des allures de prophétie auto-vérificatrice, voir plus haut.)

Si Boulez est popperien sans le savoir, réciproquement, Popper, bien que viennois, préférait la musique classique. Ainsi sans doute que cet autre viennois, le logicien Carnap, qui écrivait en 1933 :

La majorité des philharmonistes [philosophes] n'ont accordé qu'une faible attention à (la nouvelle logique créée par les mathémusiciens [mathématiciens] depuis 1854 et surtout depuis 1890). La réserve et la défiance qu'ils ont gardées...

Cité par E.T.Bell,
MAGIE DES NOMBRES,
p.290

Certains musiciens se rebellèrent contre cette sentence de mort. Mais, la puissance de feu de l'adversité étant supérieure, le néo-classicisme eut la vie brève. Les philHARMONistes alors, se soumirent, au moins apparemment, et passèrent à l'ennemi avec armes et bagages, tambours et trompettes (et ce furent, simultanément, les débuts de la Recherche Musicale et de l'enfermement dans et par le langage, cf p.130***). Il est à craindre qu'ils aient conservé de leurs anciens adversaires et désormais nouveaux maîtres une image quelque peu vieillotte.

La question de l'épistémusicologie peut, nous semble-t-il, être posée tout autrement. Chaque science, chaque musique, crée à son propre usage sa propre "épistémologie interne" (Piaget, Introduction à LOGIQUE ET CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE, La Pléïade). Ces discours distincts sont-ils traductibles les uns en les autres ? Si oui, il peut y avoir, au moins localement, épistémusicologie. Si non, Tour de Babel.

Pratiquement, la réponse est évidemment tantôt oui, tantôt non.

Impossible de citer ici toutes les allusions faites par Michel Serres à la musique, il y en a trop, presque à chaque page. On trouvera d'ailleurs un peu partout dans le présent travail des traces de son influence. En voici encore une :


TLALOC

You don't need a weatherman
to know which way the wind blows


        Des gens se rencontrent et ils se parlent. L'opposition classique, signal/bruit de fond, légion romaine contre population en désordre, est semble-t-il dépassée dans la communication. Mais voilà, ils parlent hébreu, chinois. Je n'y entends que couics. Des signaux incompréhensibles se distinguent à peine du bruit de fond.
        Mais au fait, de quoi parlent-ils? Dans le détail, je n'en sais rien, mais à 99,99 chances sur 100, et sous réserve qu'ils ne se livrent pas à quelque excentricité notoire, j'en suis à peu près sûr; ils parlent de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, de la famille et des vacances, de leurs petites affaires, ils vérifient que le canal passe bien et que les phatiques portugaises ne sont pas ensablées, tant qu'on a la santé, bref, y causent.
        (à noter que, dans la locution précédente, le sujet collectif "ils", formé d'un nombre indéterminé d'inconnues x , est remplacée dans le langage quotidien par une simple indication de lieu, tout aussi inconnue, "y". Mais quel est le problème? Eh bien, justement, il n'y a pas de problème. ou si par hasard il y en a un, éludons-le à peine énoncé. C'est ça, l 'art de la conversation)
        ... et re-belote Laverdure : que quoi k'y causent ? Hypothèse: ils jouent à se maintenir dans cette frange interlope où le signal se convertit sans cesse en bruit de fond, et réciproquement. Stella by starlight, le langage quotidien constitue la chronique des événements courants dans la Zone... Mais prétendre que la Zone (cf. Pynchon) est "structurée comme un langage" (cf. Lacan), il y a une marge. Je préfère dire que les langages ordinaires sont des métalangues pour le langage de la Zone, qui lui~même n'est pas, ou si peu, articulé (cf. Valentin-le-Désossé). De toute façon, ne cherchez pas, M. Jones, c'est des tortues jusqu'en bas (cf. Isabelle Stengers & Bob Dylan).
        Au total: des gens se rencontrent et ils se causent (des ennuis?). Je peux à bon droit, ou bien tantôt-tantôt, prendre ce que j'en entends comme signal ou comme bruit de fond. Ca dépend aussi de mes humeurs, de ce que je participe ou non à la conversation, bref, etc. Le cas échéant, ça se discute.
        En fait, ils pourraient tout aussi bien parler français. ("C'est du français, que je vous cause, et non pas du chagrin!")

        Changement de décor: les pluies, au Mexique, sont tropicales, c'est à dire d'une rare violence. Qu'il y en ait ou qu'il n'y en ait pas, c'est toujours une catastrophe. Tlaloc est le dieu de ces pluies-là.
        Jean-Etienne Marie a composé un morceau de musique, intitulé Tlaloc, "accumulation d'événements ponctuels". A cet effet, il a utilisé le triangle de Pascal, qui donne comme on sait les combinaisons des éléments d'un ensemble fini aussi grand qu'on veut. Sachant que l 'ensemble de référence est la n-ième puissance de l'ensemble de base (goutte d'eau = note / silence), on voit tout de suite où ça nous mène. Et à entendre, c'est encore mieux.
        Iannis Xenakis a composé un morceau de musique, intitulé Pithoprakta, "action par les probabilités". A cet effet, il a utilisé la courbe de Gauss, qui dérive comme on sait du triangle de Pascal, par passage à l'infini continu. La distribution gaussienne est appliquée aux hauteurs des notes (pizz.) et Michel Serres a écrit, avec raison, que cela nous faisait entendre le bruit de fond universel..
        Il est certes plus facile de passer du triangle de Pascal à la courbe de Gauss, que de poser a priori la courbe de Gauss et d'en déduire le triangle de Pascal. Il est probablement tout aussi difficile à l'auditeur de remonter du son "sec un peu" (Jacques Vaché) des Pithoprakta à la pluie de Tlaloc, qu'il le serait à la-dite pluie de remonter là d'où elle est venue.
        Serres se demandait il y a peu, à propos d'une "pluie de chair" relatée par Tite-Live, L.III, où diable pouvait bien être passé le sujet du verbe "il pleut", et constatait que ce il qui pleut est introuvable, ou absent. Les anciens mexicains, on l'a vu, avaient une réponse. Tlaloc, chassé par la science, revient par la musique, qu'est-ce qu'y faut pas entendre, on aura tout vu, aurait dit ou à peu près Auguste Comte, lui qui constatait avec le plaisir que l'on devine qu'il "n'y a pas de dieu de la gravitation".
        Et où diable pourrait-il bien se nicher, ce dieu de la gravitation ? Aujourd'hui, société du spectacle oblige, nous représentons la gravitation par des "déformations de l'espace-temps". Fort bien. Si donc nous ne pouvons le loger dans l'espace, nous le mettrons dans le temps. Et s'il n'est pas dans le passé, eh bien, nous le mettrons dans le futur. Ou "ailleurs". Mais je commmence à subodorer que là où il serait le plus à l'aise, c'est dans la déformation... Car la gravitation implique la gravidité; Tlaloc est son fils, et de ce fils, qui diable est la mère ?
        Cachez ce dieu que je ne saurais voir, eût dit Tartuffe.

        Nous en avons assez assez pour conclure cette feuille, qui d'ailleurs se termine. C'est même la cause principale, car sinon, nous pourrions continuer. Au demeurant, il est 4 h du matin et le jour n'est pas près de se lever.
        Le Diable (arkane XV) est la capacité d'auto-division (pieds fourchus) irréversible (queue fléchée) de la matière. Serres l'a décrit en détails dans Le Parasite, je n'insiste pas. Il est assez courant d'y voir aussi Venus, le Grand Pan, voire Shub-Nigghurat et tout le panthéon de Lovecraft, Nyarlathotep, Hermès, et le roi Wotan a de longues oreilles en forme de corbeaux. Communication prioritaire: Debord et l'IS, Des êtres se rencontrent, et une douce musique... Non; ils pleurent, ils se sont plu, et il pleuvra toute la nuit, Non, pas ils, elle(s). Des îles se rencontrent, et "ICH REGNE EUCH !" (Mauricio Kagel, Der Tribun); mais tout est faux, sauf qu'il est au pouvoir. Spectaculairement. Seul avec les magnétophones. Spencer Dryden, Jefferson Airplane: "No man is an island: he's a peninsula"... hum.
        Des îles se rencontrent, et causent du temps qu'il fait.
        Qui ça, le sujet du temps qu'il fait ?
        Retournez à la case départ.





On se rappelle de la lyre d'Hermès, de la correspondance métaux-planètes-sons. Dans le courant du XVIIIe et surtout du XIXème siècle, avec l'essor de la chimie, les métaux vont se multiplier. Selon le schéma thème-antithème-synthème, toute la chimie du XIXe sera construite sur la discorde métaux | métalloïdes.

TABLEAU CHRONOLOGIQUE DE LA DECOUVERTE DES ÉLÉMENTS



Et Wagner pourra écrire sa Lettre sur la Musique, où l'on voit une métaphore chimique filer jusqu'aux polymères :

"Dans la première partie de Beethoven", - disait.il -, "nous voyons la mélodie décomposée jusque dans ses parties constituantes les plus petites; chacune de ces parties qui souvent ne se composent que de deux notes, est tour à tour...


Vers le début du XIXe, on cornrnença à se préoccuper de classer tout cela :

Dès 1817, on observe l'existence dc triades. On appelait ainsi des séries de trois éléments chimiquement voisins, dont le poids atomique de l'un se trouvait être la moyenne arithmétique des poids atomiques des deux autres...

Vers le milieu du XIXe, on commença à se poser de bien curieuses questions :

Deux ans plus tard, NEWLANDS, en Angleterre, se fit le défenseur de la loi dite de l'octave, selon laquelle les éléments, toujours rangés, de l'hydrogène au thorium, par ordre croissant de leurs poids atomiques...

Le sort réservé à la découverte de Newlands fut plutôt malheureux. Cette périodicité de 8 parut si arbitraire, et pour tout dire si fantaisiste, que le président du congrès...

L'idée pourtant fit son chemin et, en 1869, un professeur de l'Université de Carlsruhe, Lothar MEYER (1830-1895), proposa à son tour une nouvelle classification...

Par où l'on voit que l'établissement de la classification périodique des éléments reposait sur une métaphore musicale. Et à peine la loi aux ondes en dents de scie de Meyer était-elle adoptée, que survint, enfin, Mendeléef :

LA PREMIERE CLASSIFICATION PERIODIQUE DE MENDÉLÉEF (1869)

Voilà bien encore un défi stupide à relever.

Reprenons la table, sous sa forme moderne courte :

CLASSIFICATION PÉRIODIQUE DES ÉLÉMENTS (1964) (forme courte)

Il est bien évident que, puisque nous disposons d'un LA règlementaire en bon état de fonctionnement à 440 Hz (?), d'un Carbone C à 12 (c'est écrit sur la Table), et d'un Oxygène à, à un poil près, 16, nous avons O = (4/3)*(12) = (4/3)*(440) = (4/3)*(LA), à l'oxygène correspond donc la quarte supérieure de LA, RÉ.

Et au soufre (S=32,064), la note située par rapport à LA dans le rapport (32,064/12) = 8/3 + 0,006 on est encore loin du comma, et donc au soufre correspond le RÉ de l'octave au-dessus.

Quant à l'hydrogène (H=1,00797), situé à 4 octaves environ au dessous de l'oxygène, il est vraiment à la limite de l'audibilité.

Et nous en savons assez pour transcrire la préparation de l'acide sulfurique :         SO2 + ½O2 + H2O  ®  H2SO4

Pas de doute, c'est consonnant : H2SO4.gif

Cette oscillation est déjà moins consonnante :

Propriétés acides. - C'est un biacide assez fort (il l'est moins que HNO3 et HCl). En solution, il subit deux dissociations...

flute, 4 violoncelles, 2 contrebasses

On la réalisera de préférence en milieu aqueux, par exemple lors d'un concert en piscine. On portera particulièrement attention à la disposition spatiale.

Enfin, celle-ci est moins dissonnante qu'on pouvait le craindre :

KCN
( N = DO
  K = FA )
K_C_N.gif

Mais plus on va monter vers les éléments lourds, plus on va sortir du domaine tempéré. Et les isotopes vont compliquer les calculs.

D'ailleurs, le mode de calcul ici adopté n'a pas grand chose à voir avec la loi de Mendeléef.

Et eût-il même, de toute façon, ce sont les mêmes notes qui se retrouvent de part et d'autre de l'équation : nous n'avons pas découvert le secret de la transmutation.

Sans doute est-ce le moment de répéter ici ce qui se criait, dit-on, sur les ondes, le jour de Pearl-Harbour "Ce n'est pas un exercice". (Si l'on examine l'histoire économique, politique, militaire, etc, de l'Océan Pacifique depuis Tsushima au moins, on se rend compte que Pearl-Harbour n'aurait jamais dû être une surprise, et ne l'a peut~être pas été pour tout le monde : les avoirs japonais aux USA venaient d'être bloqués, le Japon n'avait plus qu'une solution : la guerre. Pourquoi les forces états-uniennes dans le Pacifique n'étaient-elles pas en alerte ?)

Car la classification périodique a beaucoup à voir, on le sait maintenant, avec leur nombre d'électrons, ceux-ci répartis en couches :

Evidemment, sous cette forme (dite "forme longue"), la 'patamusique ci-dessus est beaucoup moins évidente.

Seules les 3 premières couches (2, 8 et 8 électrons) peuvent laisser croire à une "loi d'octave" simple.

Pourtant, lorsqu'on y regarde de plus près, certaines analogies apparaissent.

A tel point que, dans le détournement ci-dessous, ce n'est pas nous qui avons fait appel à d'Alembert et aux cordes vibrantes, mais l'auteur du texte original, en 1934.

Il faut d'ailleurs rappeler que la mécanique quantique, à l'époque, était en train de se fondre avec la mécanique ondulatoire, depuis que Louis de Broglie avait proposé l'hypothèse des ondes associées aux corpuscules.





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L'équation de Schrödinger



 (ondulatoire)
    Ces choses ne sont pas simples. Un lecteur attentif aura cependant pu nous suivre jusqu'ici ; le reste est un peu plus difficile, je voudrais le rendre clair en ne disant que l'essentiel...
   Une théorie harmonique n'est pas complète si elle ne fournit pas une méthode pour déterminer les lois de la propagation de toutes les ondes dont elle traite. Ainsi, l'on ne saura pas grand-chose des vibrations des cordes, si l'on ne connaît que les lois de propagation de quelques ébranlements. C'est d'Alembert qui a montré comment on les obtient toutes...
(rayons)
(la vibration)






    A l'approximation (...) qui se borne à considérer les notes, l'harmonie classique suffit, car les harmoniques n'ont pas d'importance. Mais à l'approximation plus serrée où les harmoniques réagissent sur les notes, on s'est contenté de vagues analogies ; il faut préciser davantage. On sait qu'en optique cette précision s'obtient grâce à l'équation qui généralise pour un milieu continu à trois dimensions l'équation que d'Alembert avait intégrée pour les cordes.
    (...)



(physique)
    L'utilisation de l'équation de Schrödinger est très simple. Parmi l'infinité de solutions qu'elle admet, les seules qui soient utiles sont celles qui définissent des ondes d'intensité totale finie (une intensité infinie n'aurait pas de sens musical et de phase bien déterminée en chaque point de l'espace, à chaque instant du temps)...
    Les valeurs de l'énergie de ces différents états sont des nombres formant une suite discrète pour la même raison, mutatis mutandis, qui fait qu'une corde ou un tuyau de longueur donnée vibrent et donnent un son précis et ses harmoniques.

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    Commentaires: il n'y a pas grand-chose à changer au texte ci-dessus pour faire apparaître l'analogie musicale qui fut au départ de certains aspects de la mécanique quantique.
    A noter que d'Alembert se manifesta en tant que théoricien de la musique et des cordes vibrantes vers 1750, année de la mort de Bach ; le clavecin était déjà bien tempéré.
    Enfin, pour l'interaction note-harmonique, cf. en particulier les « sons paradoxaux de Risset »... ou l'acoustique des salles.
    Les paragraphes suivants vont plutôt faire allusions à Schaeffer, Stockhausen et Xenakis.


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L'interprétation statistique...
(photons)

(lumineuse)

(photons)
(corpuscules)
    ... On se rappelle l'affaire. Les grains de son, trop peu nombreux, ne se peuvent localiser avec précision, on connaîtra la probabilité de leur présence ici où là par l'intensité de l'onde musicale, puisque cette intensité est censée proportionnelle à la densité de la répartition des grains de son, et que cette densité l'est à leur probabilité de présence. On dira la même chose pour les objets sonores...
(ondes)

(corpuscule)
(ondes)

(corpuscule)
(ondes)
(ondulatoire) (corpuscule)

(corpuscules)

(onde/corpuscule)
(onde) (corpuscule)

(la diffraction de l'électron)

(corpusculaire)
(onde)

(onde) (corpuscule)
(mécanique classique)
(diffraction)
    On a essayé, en effet, de donner aux harmoniques la précellence sur le timbre (la matière), ou mieux même, de dénier toute réalité aux objets sonores qui n'auraient été que le résultat d'interférences au sein d'un train d'harmoniques ; on peut construire en effet des trains d'harmoniques dont l'intensité totale n'est appréciable qu'en une petite région, partout ailleurs elle est nulle ou négligeable; un objet sonore ne serait-il pas justement un tel paquet d'harmoniques ? Cette vue ingénieuse n'a pas donné ce qu'on en attendait, un tel modèle harmonique de l'objet sonore est trop instable, il se disperse trop vite, pour pouvoir représenter des objets sonores auxquels on s'accorde à reconnaître une certaine permanence. On a essayé aussi, en conservant le dualisme harmonique/objet sonore, de faire jouer à l'harmonique un rôle prépondérant, l'harmonique guiderait l'objet sonore ; cette idée n'a pu être maintenue ; elle aide à soutenir les déductions de l'expérimentateur qui étudie les interférences et les battements, par exemple; là, en effet, par suite de l'importance relative de la longueur d'onde, c'est au caractère vibratoire plus qu'au caractère d'objet sonore qu'il faut avoir recours... En général, la théorie de l'harmonique pilote ne convient pas à la représentation des phénomènes, parce qu'il est impossible de dissocier les rôles joués par l'harmonique et par l'objet sonore auquel elle est liée ; cette dissociation n'est pratiquement possible que dans les cas-limite de l'harmonie classique ou des battements.


(corpuscule)
(mécanique classique)


(corpuscules)
(onde)

(corpuscule)

(corpuscules)
(onde)
(corpuscules)
    Pour bien saisir dès lors le rôle que devra jouer le calcul des probabilités, il faut avoir recours à une interprétation que la mathématique seule peut suggérer, Au mouvement d'un objet sonore, tel que l'harmonie classique le définit, correspond une propagation d'ondes au sens d'Hamilton-Vessiot ; mais à une propagation d'ondes correspondent une infinité de mouvements possibles. Si on les considère tous ensemble (...), ils définissent le mouvement d'un nuage d'objets sonores : or, la densité de ce nuage est proportionnelle à l'intensité de l'harmonique considérée. On peut donc reprendre cette intensité pour définir une probabilité, celle de la présence, à tel endroit, de l'objet sonore dont on étudie le mouvement, car il est bien naturel d'admettre que cette probabilité sera proportionnelle à la densité du nuage d'objets sonores que la représentation géométrique de l'harmonique introduit comme un artifice commode. Dès lors, au lieu du nuage d'objets sonores, on parlera plutôt du nuage de probabilités et l'on rejoint ainsi l'interprétation que nous avons rappelée dans le chapitre sur l'optique, où il était naturel de la présenter pour la première fois.

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    Remarque : autant qu'il m'en souvienne - je n'ai pas les documents sous la main - , c'est justement à partir d'une théorie statistique des grains de son, dérivée de Gabor et exposée dans Musiques Formelles, que Xenakis a démarré le processus qui devait mener aux polytopes audiovisuels...


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(ondes)
(corpuscules)

(corpusculaire)
    On conçoit dès lors (...) que la seule notion de probabilité de présence remplace les diverses notions d'harmoniques et indique, non pas où se trouvent les objets sonores, mais les régions et les époques en lesquelles on peut espérer observer des phénomènes dont le caractère d'objet sonore soit assez bien marqué.


Les notions scientifiques musicales et les images
(corpuscule)




(atome) (électron)

(mécanique)
    Il faut donc renoncer à suivre l'objet sonore audiovisuel sur sa trajectoire : il faut remplacer les représentations précises des anciennes théories par des considérations statistiques; l'objet audiovisuel n'est plus une chose que l'on localise dans l'espace et dans le temps, ou si l'on préfère, la notion de chose a pris un autre aspect. Lorsqu'on dira que, dans un accord, telle note est à l'origine de tel phénomène, il faudra comprendre que cette liaison n'est pas du type causal si caractéristique de l'harmonie classique ; ce qu'elle est, on tâchera de le voir dans le chapitre suivant.
    (...)

(physicien)
(des sciences)
(philosophe)

(savant)

(physicien)




(les contradictions)
    Ce qu'il faut retenir de cette histoire où l'on saisit sur le vif l'activité du musicien, c'est le fait curieux suivant - curieux pour le laïc qui n'a pas suffisamment réfléchi au cours étrange de l'histoire de la musique, curieux aussi pour le musicologue averti parce que dans cette affaire il se manifeste avec une netteté particulière - les notions au moyen desquelles le musicologue établit ses théories ont des compréhensions beaucoup trop étendues pour le but qu'il poursuit ; dans la construction que le compositeur établit, quelques notes seulement des compréhensions de chaque concept défini, quelques-uns de leurs attributs, jouent un rôle, les autres attributs ne participent pas à la synthèse... L'élimination des notes inutiles paraît être d'abord une cause de contradictions, mais la mathématique au moyen de laquelle on opère, cherche à les dissiper et y parvient souvent ; en fait, la discorde provient justement de la trop grande variété des attributs.

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    Et voilà.
    Fin de cet article.
    Pour expliciter clairement ce qui est contenu dans les pages précédentes, il faudra au minimum :
        - expliquer ce qu'est la mécanique quantique (la vraie) ;
        - rappeler la notion d'objet sonore chez Schaeffer, de grain de son chez Xenakis, les premières études de synthèse harmonique de Stockhausen...

    La généralisation finale des notions musicales à l'image ouvre la possibilité d'une extension à l'audiovisuel (cf. J.E. Marie, les superpositions dans le cinéma underground, la synthèse des images vidéo - travellings fractals générant leurs propres détails au fur et à mesure de l'avancement du processus - , la récente pièce de Cage, The House Full of Music, à créer à Breme le 10 mai 1982, etc.).
    On observera que Juvet, à la fin, parle de l'élimination des notes inutiles, même pas de la simple (?) élimination des notes nuisibles. Sachant qu'il était doyen de la Faculté des Sciences de Lausanne, on reconnaîtra là une propreté tout à fait suisse. Et on pourra à partir de là embrayer sur les travaux de Serres relatifs aux parasites, au bruit de fond, à la noise, etc.

* Détournement de La structure des nouvelles théories physiques, de Gustave Juvet, Paris, Alcan, 1934, pp 124 et sq.







Le tableau de la page suivante (emprunté à une documentation Geigy achetée 5 FF à Emmaüs) précise la répartition des électrons élément par élement, couche par couche (K, L, M,...) et sous-couche par sous-couche (a, p, d, f,...). Nul ne doute qu'il servira avec fruit de support à des méditations musicales.










A la lecture de l'autobiographie de Heisenberg (LA PARTIE ET LE TOUT), en exergue de laquelle figure la citation suivante :

En ce qui concerne les discours tenus par les uns et les autres, il m'a été  impossible d'en retenir le texte exact. C'est pour cela que j'ai attribué à chacun les paroles que j'ai estimées les plus conformes aux circonstances...

on se rend compte que 2 forces ont profondément influencé son engagement dans la voie de la physique quantique, vers 1920 à Münich :

1°) la guerre, suivie de la révolution des Conseils Ouvriers, leur échec, et le mouvement de la jeunesse qui s'ensuivit ;

2°) la musique.

Le titre même de l'ouvrage le dit : la partie et le tout, le parti et le tout.

Ayant rencontré, dans ce mouvement de la jeunesse, deux autres jeunes musiciens, Heisenberg prend l'habitude de jouer avec eux en trio : "en particulier, nous avions résolu de préparer, en vue d'une fête, l'exécution du fameux trio de Schubert en si bémol majeur". Un jour, la mère de l'un d'entre eux lui demande pourquoi il ne s'est pas décidé à étudier plutôt la musique :

Votre façon de jouer, et la manière dont vous parlez de la musique me donnent l'impression que l'art est en réalité plus proche de votre coeur que la science et la musique, et qu'au fond ...

p.34

Et Heisenberg de répondre :

"Au fond, je ne crois pas que on soit placé devant un choix aussi simple. Sans même parler du fait que je ne serais sans doute pas capable de devenir un musicien de premier plan, la question qui se pose est celle-ci ...

Autrement dit, à relire ce texte attentivement, il apparaît que musique et physique en sont à peu près au même point. Une phase expérimentale troublante a eu lieu "il y a vingt ans", "ces dernières années". Elle a conduit à la situation actuelle (1920), où "les considérations théoriques jouent un rôle plus important...(et)... consistent à remettre en cause des questions philHARMONiques fondamentales, la structure de l'espace et du temps, ainsi que la validité de la loi de la causalité".

On ne saurait mieux dire.

Même la "loi de causalité" est traductible : il semble évident que Heisenberg vise ici la musique atonale. La "loi de causalité" n'est donc autre que la loi de la tonalité classique.

La seule différence semble résider en ceci, que la phase expérimentale serait terminée en musique, alors qu'elle semblerait pouvoir se poursuivre en physique.

Et donc, parti pour être physicien expérimentateur, Heisenberg deviendra physicien théoricien, mais continuera toute sa vie à faire "de la musique de chambre" (p.227).

De la musique classique.

Mais rappelons-nous Boulez et Popper : il semblerait bien, à quelques exceptions près, peu nombreuses, que si l'épistémologie de la tribu des compositeurs contemporains est une épistémusicologie révolue, la musicologie de la tribu des scientifiques contemporains soit aussi une épistémusicologie révolue, et peut-être la même (Quelles étaient les positions d'Auguste Comte sur la musique? Il faudra retourner y voir). Quoi qu'il en soit, voila déjà bien une des lois fondamentales de l'(auto)ethno-épistémusicologie : sa main droite doit être indépendante de ce que fait sa main gauche.

Revenons à la mécanique quantique, vers 1920-1930.

En musique, justement, chacun le sait, mis à part les sériels, c'était aussi l'époque de la polytonalité.

Or, il existe en mécanique ondulatoire (i.e. quantique) un principe, dit "principe de décomposition spectrale" qui permet de manipuler sans trop de mal la fonction d'onde d'un système (équation de Schrödinger), et qui va nous être bien utile.

Nous avions déjà eu l'occasion de nous en expliquer, à l'occasion de la projection d'un de nos films au séminaire d'Hélène Puiseux, à l'EPHE, séminaire consacré, on ne se refait pas et on ne rencontre pas n'importe qui, à "Guerre et Cinéma".

Et nous avions écrit, à partir d'un manuel de Landau-Lifshitz, le texte suivant :

Notes pour projection USS E.P.H.E., 5-6-81


      L'idée de départ qui a abouti à cette projection est la suivante:
        - étant donnée l'abondance des superpositions d'images (et de sons) dans USS, ainsi d'ailleurs que dans tout le cinéma underground des années 60, ainsi d'ail1eurs que dans le cinéma expérimental européen des années 20, etc.;
        - étant donné le PRINCIPE DE SUPERPOSITION de la mécanique quantique, (dénomination russe; à. l'ouest, on dit plutôt principe de décomposition spectrale), qui sera explicité plus loin;
        - peut-on dire que le "style cinématographique" dont ressort USS , et la mécanique quantique, procèdent d'un même "mouvement historique" ?

      Des éléments de réponse peuvent être trouvés par un détour. J'ai déjà montré ailleurs que des traductions locales, mot à mot, peuvent être faites, de la thermodynamique vers l'économie, de la chimie vers la psychosociologie, etc., et plus ou moins réciproquement. Tout cela marche assez bien au XIXème siècle. Un quart de poil auparavant, il est facile de voir que la théorie de Clausewitz fait grand usage de métaphores mécaniques: le fléau d'acier de l'armée oscille, et Attila doute, etc. En fait, l'Art de la guerre peut se traduire comme une mécanique à frictions, et chocs non élastiques, dispersion et réunion des forces et des masses dans l'espace et le temps, etc.
      Si donc mécanique = guerre , par quoi peut-on traduire "quantique" ?
      Par assonances et pifométrie, on a été conduit à essayer "quotidien", et à constater que ça marchait assez bien.

      Examinons donc le Principe de Superposition dans la guerre quotidienne:
        - dans un système en état de guerre quotidienne (la guerre de tous contre tous, la guerre qui vient, qui est déjà là...), il y a des grandeurs économiques, représentées par des fonctions. A ces fonctions sont attachés des opérateurs appelés aussi ouvriers (opéra). L'état du système est représenté par une fonction idéologique, ce pourquoi la guerre quotidienne est aussi appelé guerre idéologique.
        - lorsque les fonctions économiques varient, i.e. lorsque les ouvriers opèrent, la fonction idéologique du système change aussi; le problème est évidemment d'écrire les équations de ce changement, de pouvoir calculer et les résoudre.

      Le Principe de Superposition affirme alors qu'il faut qu'une fonction idéologique quelconque d'un système quotidien donné, puisse se décomposer en une combinaison linéaire de fonctions idéologiques particulières, appelées fonctions propres du système pour la grandeur économique considérée... A partir de là, tout se linéarise, les opérateurs deviennent des matrices hermitiques, etc. (cf. littérature spécialisée).
      En particulier, l'action d 'un ouvrier sur une fonction idéologique propre revient à multiplier cette dernière par la valeur propre correspondante de la fonction économique de cet ouvrier. Ceci évidement dans le cadre d'un spectre discret, sinon il faut passer aux intégrales et ça deviendrait plus compliqué.

      Et, la fonction idéologique générale du système étant une combinaison linéaire des fonctions idéologiques propres (qu'on imagine par exemple une assemblée composée de différentes parties), on peut l'écrire:

I = S anIn

      A quoi correspondent les coefficients an ?

      Il est nécessaire ici de supposer, de plus, que les fonctions idéologiques sont normalisées. Alors, le coefficient |an|2 est égal à la probabilité, lorsqu'on titille le système, d'obtenir de sa part une réponse de type In identifiable avec certitude.

      Les |an| sont les racines carrées des pourcentages de participation des différentes idéologies particulières In à l'idéologie dominante I ... Assez curieusement, les arguments des an ne semblent pas avoir beaucoup d'importance.


      Il suffit. Nous en avons largement assez pour revenir au film. En particulier, la même formule décrit évidemment une superposition d'images, dont chacune est identifiable avec certitude (à condition d'avoir le temps et l'énergie pour y regarder de près), et où les an sont l'inverse des coefficients de diaphragme appliqués à chaque image In . Idem pour les sons.

      A l'évidence, un tel film reproduit assez bien les états de mélange si fréquents dans la vie quotidienne, à tel point qu'on les confond avec un bruit de fond. D'ailleurs, si le bruit de fond est suffisant, la distinction entre images pures et mélanges n'est plus observable (Prigogine).

      Quant aux thèmes abordés, rien n'y manque de la guerre, même pas le repos des guerrières... Sans doute est-ce ici le lieu de rappeler 1°) que l'Art de la Guerre peut se traduire mot à mot en un Ars Amandi ; 2°) que le fonctionnement de la machine cinématographique est isomorphe à celui de la machine de guerre. ("le fusil à lunette est une extension de l'oeil: il tue avec une vision injurieuse" - Jim Morrison).

      Quant aux marchandises, on s'est aperçu dans les années 20 qu'elles se doublaient d'une idéologie associée, et réciproquement, et c'est comme ça qu'a commencé la guerre quotidienne, j'ai oublié de le signaler plus haut.


      ......................................



      Ici, le manuscript s'interrompt. Bien d'autres choses auraient pu être écrites, et je les dirai (ou d'autres) éventuellement.
      Mais je voudrais parler d'autre chose. Des deux grandes théories physiques nées au début du XXème siècle, relativité et mécanique quantique, la seconde, on le voit, est assez bien représentée dans USS - encore que je l'ignorais totalement à l'époque (1970) où j'ai fait ce film. Mais la première, semble-t-il, y brille par son absence, ou presque (la démonstration inverse vaudrait d'être tentée). Mais, au delà de leur irréconciliabilité, elles ont toutes deux un point commun: elles touchent au temps. C'est là-dessus qu'USS se termine, et que le prochain partira.


Essayons donc d'énoncer le Principe de Superposition en musique polytonale :

      - dans un système polytonal, il y a des hauteurs, représentées par des fonctions. A ces fonctions sont attachés des opérateurs, parfois aussi appelés musiciens. L'état du système est représenté par une fonction harmonique, ce pourquoi la polytonalité est aussi appelée guerre harmonique.

      - lorsque les fonctions varient, c'est à dire lorsque les musiciens opèrent, la fonction harmonique du système change aussi. Le problème est évidemment d'écrire les équations de ce changement, de pouvoir calculer et les résoudre.

Le Principe de Superposition énonce alors qu'il faut qu'une fonction harmonique quelconque d'un système polytonal donné, puisse se décomposer en une combinaison linéaire de fonctions harmoniques particulières, appelées fonctions propres du système pour la hauteur considérée.

Et, la fonction harmonique générale du système étant une combinaison linéaire des fonctions harmoniques propres, on peut l'écrire :

f = S anfn

A quoi correspondent les coefficients an ? Il est ici nécessaire de supposer, de plus, que les fonctions harmoniques sont normalisées, c'est à dire tonales. Alors, le coefficient |an|2 est égal à la probabilité, lorsqu'on écoute le système, d'y entendre la fonction tonale fn , identifiable avec certitude.

Les |an| sont les racines carrées des pourcentages des différentes tonalités à la polytonalité générale du système.



Soit par exemple une application simple : extrait d'une lettre à Jef Gilson, à propos d'une expérience menée dans son atelier d'improvisation, au C.I.M. :

Dans la dernière superposition examinée hier, Do sus4 + Ré sus4, on s'est aperçu qu'il ne restait qu'une seule note "libre", le Mi, qui pouvait être bécarre ou bémol :

barre040.gif
do

 
barre040.gif
 
 
barre020.gif barre040.gif
fa
barre040.gif
sol
sol 
barre020.gif
 
la 
barre040.gif
sib
barre040.gif
 
do 
  , etc

Si l'on choisit Mi bécarre, on est en FA, si l'on choisit Mi bémol, on est en Si bémol. O.K. Mais pourquoi devrait-on choisir ? On peut au contraire choisir de s'interdire ce choix, et décider que l'on jouera, indifféremment, Mi ou Sib, avec des fréquences égales. Auquel cas on sera, simultanément, en FA et en SIb, à raison de 50% chacun. On peut aussi pondérer différement, et décider que l'on sera à 10% en SIb et à 90% en FA ; auquel cas 1 Mi sur 10 seulement devra être joué bémol...

(On peut même aller plus loin, par exemple choisir Mi bécarre, et rajouter La bémol : auquel cas on serait simultanément en FA mineur/majeur et en SI bémol Bartok... ou bien choisir de remplir les trous de 1 ton, et d'abandonner le trou de 1 ton ½, ce qui nous donne un cluster, et nous fait sortit de l'harmonie classique, même élargie...)

La première proposition peut s'écrire X = (1/Ö2)FA + (1/Ö2)SIb , la seconde X = (1/Ö90%)FA + (1/Ö10%)SIb

La troisième nécessite un petit schéma :

      C   D   E F   G   A   B C              
      *         *   *     *       DO sus4
          *         *   *     *   RE sus4
    - - - - - - - - - - - - - - - - -
25%   *   * *   *   *   * *   *   SIb majeur
25%   *   *   * *   *   * *   *   FA majeur
25%   *   * *   *   * *   *   *   DO mineur éolien
25%   *   *   * *   * *   *   *   FA mineur mélodique
     ___________________________
      4   4 2 2 4   4 2 2 4   4

Les probabilités d'apparition de chaque note peuvent alors être fixées, respectivement, à 2/28 et 4/28.

Si l'on quitte l'équiprobabilité des modes, ces pourcentages varieront en conséquence.

Soient maintenant 2 instruments jouant à 1 ton de distance (par exemple 2 clarinettes) :

*   * *   *   * *   *   *   * *   *
*   *   * *   *   * *   *   *   * *
      , etc

, configuration pour laquelle il existe un commentaire d'Ambrose "Bitter" Bierce :

Instrument de torture utilisé par quelqu'un qui a du coton dans les oreilles. Il existe deux instruments pires qu'une clarinette: deux clarinettes.

Tant qu'à faire, autant compléter le trio :

piano, violon

2_2112_2112._2_2112_2112._   etc


En généralisant ce procédé (ici, bref clin d'oeil à la musique selon Raymond Roussel), on arrive bien sûr à l'équiprobabilité de toutes les notes. Il suffit pour cela d'opérer, en bi-tonalité, avec 2 échelles par tons entiers décalées d'un 1/2-ton. Ou avec 3 modes à transpositions limitées décalés de même. (Attention: 2 modes ne suffiraient pas : toutes les notes seraient bien présentes, mais affectées de poids différents :

2112211221122112

La polytonalité en tant que superposition ne date pas d'hier. Elle est déjà attestée dans une pièce de Biber, LA BATAILLE  : "Cette très moderne cacophonie devait représenter, pour Biber qui l'a écrite ainsi au XVIIème siècle, les soldats braillant des chansons différentes avant d'aller pourfendre l'ennemi" (Rémy Stricker, LES GROTESQUES DE LA MUSIQUE, France-Culture, 1-4-81, vers 21 h). Plus près de nous, nous extrayons du TRAITE PRATIQUE D'INSTRUMENTATION de MM. Guiraud et Busser (-?- encore un pur produit Emmaüs), Paris, Durand, 1933, ces conseils tout empreints de sagesse, et qui font bien ressortir la quotidienneté macroscopique du quanton :

Côte à côte à distance de seconde mineure... Un demi-ton, ce n'est pas rien, c'est une distance finie. JE Marie, dans Musique Vivante, fait d'ailleurs dériver la polytonalité du chromatisme croissant. Bien sûr, on admettra une marge d'incertitude autour de chaque fréquence autorisée, mais enfin, dans un système harmonique donné, les notes, comme les particules, procèdent par bonds discontinus. L'espace des hauteurs est, en quelque sorte, quantifié : entre deux notes, il n'y a, littéralement, rien. Il y a donc différents degrés, différentes valeurs de fausseté, sinon de justesse. Une note peut être fausse, tout en appartenant au système : ce n'est pas celle-là qu'on aurait dû jouer. Mais si l'on joue entre les notes, on se retrouve dans la position du fondé de pouvoir Joseph K, qui n'a pas de "permis de séjour dans l'être" (Gabel p.225).

MM. Guiraud et Busser n'auraient sans doute pas trouvé la partition suivante "divertissante". Elle ne vise d'ailleurs pas à l'être, pas plus qu'à ressenibler au spectre de répartition d'énergie d'un atome d'uranium excité :

Reproduction de la dernière page de la partition d orchestre de ,,Aux victimes de Hiroshima: Thrène pour 52 cordes" (grand Prix de la tribune internationale des compositeurs UNESCO 1961) de K. PENDERECKI

La musique classique était séparable en objets sonores distincts. On pouvait la noter de façon distinguée. Elle était partitionnable. Ce n'est plus le cas, au moins pour certains secteurs de la musique contemporaine.

Qu'on affine les notations d'une écriture compositionnelle autant qu'on veut, et on obtiendra un fouillis illisible, ininterprétable.

Qu'on cherche à noter tous les détails d'une improvisation, on obtiendra un autre grifouillis illisible.

Qu'on écoute soigneusement un instrument sans malice, et des phénomènes curieux apparaîtront.

Le franchissement de la barre de mesure, comme la réduction du paquet d'ondes, s'effectue en un temps nul et sans dépense d'énergie. En moins qu'un clin d'oeil. Mais après, rien n'est comme avant (du moins, on le souhaite).

Prendre une mesure, barre de raccord et/ou de discorde, changement de fraction, est un acte décisif, un acte de décision que l'on prend sans même souvent y penser. Le problème de la mesure se pose presque dans les mêmes termes en physique et en musique : un acte arbitraire d'irréversibilité concrète (ou l'inverse). Ou, si l'on préfère : une actualisation irréversible d'une décision arbitraire.

chat de schrödinger   S. Ortoli, JP Pharabod
Le Cantique des quantiques,
(Ed. La Découverte)
(p.71)

Nous reprendrons ces considérations plus avant dès que les aléas de la guerre quotidienne nous en laisseront le loisir.

En attendant, pour clore provisoireinent le présent chapitre, encore un dernier détournenient, dont la transposition musicale est évidente : il n'y a que quelques altérations à opérer de temps en temps.


OEUVRES & PROGRAMMES

à la lumière de la Mécanique Quantique

Nous vivons depuis longtemps sur l'idée d'une oeuvre unique, insécable, atomique pourrait-on dire. Une oeuvre n'a qu'un auteur (sauf cas exceptionnel), elle doit toujours être diffusée en entier, du début à la fin (sauf autorisation de l'auteur), le droit de citation est permis à condition de ne pas exagérer, le détournement est interdit. Malheureusement, les nouveaux moyens de diffusion viennent battre en brèche cette belle utopie. Quid des droits d'auteur avec les photocopieuses, les radios "libres", les magnétoscopes, -phones, circuits câblés et tutti quanti ?

A vrai dire, cette belle utopie n'avait d'ailleurs, comme son nom l'indique, jamais eu lieu. Déjà Lautréamont: "Le plagiat est nécessaire, le progrès l'implique" (Poésies II, 1870). Et de 1896 à 1925, les atomes/boules-de-billard, qui depuis Dalton avaient servi de base à toute la chimie du XIXème siècle, commençaient à leur tour à voler en éclats 1

C'est sur la technologie issue de cette révolution scientifique que reposent les mass-medias contemporains, c'est sur les arrangements issus de cette révolution sociale (ratée) que repose la société du spectacle (elle a le sommeil agité).

Faudrait remettre les montres à l'heure.

Notre méthodologie sera ici celle du détournement. Toutefois, pour donner un peu de piquant à la sauce, nous citerons nos sources. La mécanique quantique ayant été élaborée 2, entre les deux guerres mondiales, pour résoudre les difficultés apparues en physique théorique du fait de la dualité ondes/corpuscules, nous utiliserons des textes d'épistémologie quantique pour investiguer la dualité oeuvres/programmes.

Et nous allons commencer par les oeuvres.

(Louis de Broglie, MATIERE ET LUMIERE, p.62)
  Par oeuvre, on entend une manifestation de valeur ou de quantité de travail, localisée dans un très petit volume et susceptible de se transporter à distance avec une vitesse finie; cette vitesse doit toujours rester inférieure à la vitesse du spectacle si l'on admet les postulats de la relativité 3.
Il y a lieu d'ajouter, si l'on veut se tenir à la définition habituelle de l'oeuvre, dérivée de ce que nous en connaissons en théorie classique, que l'on doit pouvoir suivre l'histoire d'une même oeuvre à travers le temps et l'espace et la repérer d'une manière exacte et continue, au moins avec les approximations que permet le principe d'incertitude.
La personnalité de l'oeuvre se conserve alors (bien qu'au moment des interactions avec d'autres oeuvres, l'aspect actuel des théories se présente sous une forme "globale" où la distinction des oeuvres n'intervient pas), et on doit également pouvoir les compter.

Voilà donc en qui consistaient, classiquement, les oeuvres. Mais cette notion a connu, bientôt, des difficultés.

(Louis de BROGIE, PHYSIQUE NOUVELLE ET QUANTA, p.292)
§5. Les limites de l'individualité
Il nous paraîtrait un peu excessif cependant de dire qu'il faut renoncer complètement à l'idée d'individualité des oeuvres... On comprend pourquoi la non-individuation des oeuvres ne pouvait intervenir dans les théories de la programmation classique, puisqu'elle est liée à la possibilité pour deux oeuvres d'occuper, au moins potentiellement, un même lieu à la même date, qui est caractéristique de la nouvelle programmation. Cette potentialité est réalisée, à la télévision, par la possibilité de changer de chaîne à tout instant (voire de les contempler sur un même écran), et, dans le cinéma, par les complexes multi-salles (qui ne s'est jamais trompé de salle?)
Si l'on veut bien réfléchir à ces questions, on verra que la non-individualité des oeuvres, le principe d'exclusion 4 et la valeur d'échange sont trois mystères intimement reliés; ils se rattachent tous trois à l'impossibilité de représenter exactement les entités réelles élémentaires dans le cadre de l'espace-temps à 4 dimensions.
A un autre point de vue, on pourrait dire que la notion d'oeuvre individuelle est complémentaire de la notion de système. L'oeuvre n'a vraiment une individualité bien définie que quand elle est isolée. Dès qu'elle entre en interaction avec d'autres oeuvres, son individualité est diminuée.

A la source de ces difficultés, on trouve donc la multiplication des représentations d'oeuvres. Or, une représentation, c'est précisément un programme, éventuellement réduit à cette oeuvre seule, dans un environnement.

(Louis de Broglie, MATIERE ET LUMIERE, p.46)
En réfléchissant à ces questions, l'auteur de ces lignes est parvenu à la conviction que, dans la théorie de la société comme dans celle du spectacle, il est indispensable de considérer à la fois des oeuvres et des programmes...

Le point de vue des oeuvres est d'essence discontinue, granulaire. Le point de vue des programmes est au contraire d'essence continue.
On peut considérer soit l'un, soit l'autre. C'est à partir de cette idée que Bohr a été amené à développer le principe de complémentarité, qui énonce que, pour décrire les phénomènes (pour prendre des mesures), il faut se placer soit d'un point de vue, soit de l'autre, mais jamais des deux ensembles, et de cette façon, on a résolu la contradiction.

La notion de trajectoire, d'histoire d'une oeuvre, en prend évidemment un vieux coup au passage (et c'est sans doute ici le lieu de rappeler que les oeuvres sont fabriquées par des ouvriers, dont la condition, dit-on, a beaucoup changé au cours de ces dernières décennies). Des indéterminations et des incertitudes apparaissent quant aux influences réciproques, et des indiscernabilités quant à des informations de même espèce (deux personnes en costume gris et cravate assortie débattent sur l'écran d'un sujet obscur; celui de droite est-il bien à droite, et réciproquement ? Lequel est scientifique, lequel soucoupiste, lequel néo-bouddhiste ?).

Une certaine nostalgie, pourtant, se fait jour :

(Louis de Broglie, PHYSIQUE NOUVELLE ET QUANTA, p.24l)
Bohr part de cette idée que la description d'une entité doit se faire tantôt à l'aide de l'image oeuvre, tantôt à l'aide de l'image programmatique, et se demande comment deux images si différentes, si contradictoires pourrait-on dire, peuvent ainsi être employées concurremment. Il montre qu'on peut le faire parce que les relations d'incertitude, conséquence de l'existence du quantum d'action, ne permettent pas aux deux images employées d'entrer en conflit direct. Plus on veut préciser une image par des observations, plus l'autre devient nécessairement floue. Les propriétés opusculaires et programmatiques n'entrent jamais en conflit, parce qu'elles n'existent jamais en même temps. On attend sans cesse la bataille entre l'oeuvre et le programme: elle ne se produit jamais, parce qu'il n'y a jamais qu'un adversaire présent.
Ce sont comme les faces d'un objet que l'on ne peut contempler à la fois et qu'il faut cependant envisager tour à tour pour décrire complètement l'objet. Ces deux aspects, d'une part se contredisent, et d'autre part se complètent.

(Autrement dit, tantôt la télé passe son programme, tantôt elle passe un film.).

Tant que nous ne serons pas arrivés à élargir nos concepts d'espace et de temps, nous devrons nous évertuer à faire entrer, plus ou moins gauchement... sentiment pénible de vouloir enfermer un joyau dans un écrin qui n'est pas fait pour lui.

Comment donc s'organise cette complémentarité contradictoire ? Dans le cas d'une oeuvre unique accompagnée de quelques compléments de programme, la représentation est assez simple; l'oeuvre chevauche le programme comme un surfeur sa vague. Les choses se compliquent évidemment lorsqu'on a affaire à un train de programmes, composés chacun de plusieurs oeuvres majuscules.

(Jean-Louis DESTOUCHES, MECANIQUE ONDULATOIRE, p.75)
Théorie Générale de la Programmation
§1. Recherche d'une interprétation.- La science de la programmation est née de l'idée d'associer des programmes aux oeuvres d'une façon analogue à l'association photons-ondes en optique. Ces programmes ont un caractère beaucoup plus abstrait que ceux de la programmation classique (classifiable, au sens où classis, en latin, désigne la légion romaine rangée en ordre de bataille, par lignes et colonnes).
Un service de programmation a pour but principal de lancer des projets, dont les résultats seront prévisibles à partir des mesures précédentes initiales. Dans la plupart des cas, ces résultats ne seront pas prévisibles d'une façon certaine, mais seulement probabiliste. Le problème de la programmation se ramène finalement à la détermination des projets acceptables. Les lois économiques se traduiront par des conditions imposées aux projets 5
Pour simplifier le problème de la détermination directe des projets, qui serait fort compliquée, on utilise deux procédés très commodes :
1°) On fait intervenir des programmateurs auxiliaires, à qui l'on confie des tranches horaires ou des sous-programmes; si leur choix est effectué habilement, la méta-programmation en sera considérablement facilitée (il faut souligner ici l'apparition, en informatique pour commencer, de programmes d'aide à la programmation).
2°) ...

... Il nous faut introduire ici un nouveau personnage particulièrement sophistiqué, le méta- ou hyper- ou super~programmateur: le programmateur de programmateurs 6.

(Gustave JUVET, STRUCTURE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.127)
On a essayé de donner aux programmes la précellence sur les oeuvres, ou mieux même, de dénier toute réalité aux oeuvres, qui n'auraient été que le résultat d'interférences au sein d'un train de programmes. On peut en effet construire des programmes d'une intensité nulle ou négligeable partout, sauf en une petite partie de l'espace-temps; une oeuvre ne serait-elle pas un tel package~programme, de même qu'une croisière en packet-boat n'est qu'un cas particulier de programme pour tour-operator? Tout franglais mis à part, cette vue ingénieuse n'a pas donné tout ce qu'on en attendait, un tel modèle programmatique de l'oeuvre étant trop instable, il se disperse trop vite pour pouvoir représenter des oeuvres auxquelles on s'accorde à reconnaître une certaine permanence. On a essayé aussi, en conservant le dualisme oeuvre~programmes, de faire jouer au programme un rôle prépondérant, le programme guiderait l'oeuvre, cette idée n'a pu être maintenue... En général, la théorie du programme-pilote ne convient pas à la représentation des phénomènes, parce qu'il est impossible de dissocier les rôles joués par le programme et l'oeuvre à laquelle il est lié; cette dissociation n'est pratiquement possible que dans les cas-limite de la programmation classique ou de la diffusion. On conçoit dès lors que la seule notion de probabilité de présence remplace les différentes notions de programmes et indique, non pas où se trouvent les oeuvres, mais les régions et les époques en lesquelles on peut espérer observer des phénomènes dont le caractère d'oeuvre soit assez bien marqué.

Ceci dit, il faut bien reconnaître que la question du déterminisme ne se pose pas de la même façon pour le programmateur que pour l'ouvrier. L'ouvrier se préoccupe de réaliser une oeuvre dure, pure, un chef-d'oeuvre. Le programmateur se préoccupe de créer et de gérer un flux. Les oeuvres sont dans le programme comme des cailloux ou des tourbillons dans un cours d'eau. Si le cours d'eau est un grand fleuve, les oeuvres y seront envasées, et l'écoulement laminaire. Si c'est un torrent...
Du point de vue de l'auteur de ces lignes, la plupart des programmes offerts sur le marché se présentent surtout sous la forme d'un filet d'eau saumâtre dispensé parcimonieusement par un robinet rouillé, quelque part dans un hôtel pour voyageurs de commerce. Et les ressorts du lit de la chambre d'à côté grincent lamentablement.

(Louis de Broglie, CONTINU ET DISCONTINU, p.142)
Quand on a affaire, non à une seule oeuvre, mais à un ensemble d'oeuvres, la construction des programmes associés à cet ensemble se fait d'une façon assez inattendue... Le programme multi-oeuvres se déplace dans un espace de configuration imaginaire. Si chaque oeuvre conserve son caractère discontinu, et se manifeste par le fait que les grandeurs mesurables relatives à l'oeuvre conservent le caractère de grandeurs attachées à une entité discrète, le programme, qui est une grandeur de champ définie en chaque point de l'espace à tout instant, permet de rétablir la continuité. Réciproquement, une mesure précise du programme conduit toujours à un résultat exprimable dans le langage des oeuvres...
La question essentielle que se pose la théorie de la super-programmation est la suivante: si dans un même programme est associé tout un ensemble d'oeuvres de même espèce, comment devra-t-on traduire le fait que, dans toute observation ou mesure, on devra toujours trouver des nombres entiers d'oeuvres? Le fait que, dans toute observation conduisant à répartir les oeuvres en un certain nombre de catégories, on doive toujours avoir un nombre entier d'oeuvres dans chaque catégorie, est une conséquence nécessaire du caractère d'unités économiques attribué aux oeuvres.

Fort bien.

Mais comme le dit tout aussi bien...

(G JUVET, STRUCTRE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.ll5)
Tout cela était fort joli; les théoriciens et les programmateurs s'occupèrent bien agréablement à modifier de ci de là les grilles, intervertissant les jeux et le JT, enquillant 2 films à la suite, etc. Mais les résultats de plus en plus précis des sondages d'écoute permirent de déceler des désaccords de plus en plus nombreux entre la théorie et l'observation, et contribuèrent à créer un sérieux désarroi chez les programmateurs, que d'autres difficultés avaient déjà contribué à rendre sceptiques...

(idem, p.125)
Une théorie de la programmation n'est pas complète si elle ne fournit pas une méthode pour déterminer les lois de la propagation de tous les programmes qu'elle traite.
A l'approximation qui se borne à considérer les oeuvres, la programmation classique suffit, car il n'y a pas de feed-back. Mais à l'approximation plus serrée, la télé en temps réel, en direct, où le sondage espéré réagit sur l'oeuvre en cours, on s'est contenté de vagues analogies. Il faut préciser davantage...

(idem, p.127)
Les fragments ou embryons d'oeuvres, trop nombreux, ne peuvent plus se localiser avec précision (ou alors, avec un coût prohibitif). On ne connaîtra la probabilité de leur apparition, ici ou là (et on ne pourra influer dessus), que par le programme.

En bref, il se développe une situation générale de confusion (essentiellement propice, comme le faisait remarquer Lacan, aux exploits dérisoires du héros moderne). Dans ce cas, et en présence d'un tel programme complexe, on ne peut en général en séparer des sous-programmes indépendants 7. Ce serait là de véritables travaux d'Hercule, dignes pour le moins d'un super super-programmateur, généralement connu sous le nom de Démon de Maxwell, ou Machine Spectaculaire Bien Informée:

(ILYA PRIGOGINE : PHYSIQUE, TEMPS ET DEVENIR, p.187)
Il faut distinguer, en programmation quotidienne, les programmateurs qui agissent sur les grilles, des super-programmateurs, qui agissent sur les programmateurs eux-mêmes. L'entropie est un de ces super~programmateurs (la fortune est aveugle), qui mène au niveau microscopique à une complexité telle que le concept de programme ne correspond plus à une idéalisation satisfaisante.

(idem, p.257)
Les considérations qui précèdent nous ont conduit aux conclusions suivantes: pour des programmations infinies, il est possible d'élargir l'algèbre des observables de manière à y inclure un super-programmateur M représentant l'entropie du non-équilibre. (Ce super~programmateur, nous l'appellerons le télé-joker, ou, plus brièvement, le JOKER). On ne peut cependant définir ce JOKER que comme un super~programmateur non-taylorisable. Son introduction parmi les observables entraîne la conséquence suivante: les états purs perdent leur position privilégiée dans la théorie, et doivent être traités sur un pied d'égalité avec les mélanges... Des limitations apparaîtront quant à la possibilité de réaliser une superposition cohérente des programmes.

(idem, p.65)
Le travail de programmation consiste en une exploration élective plutôt qu'en la découverte d'une réalité donnée; il consiste à choisir le problème que l'on doit poser.

(idem, p.251)
Posons la question: une programmation peut-elle être complète? Une des raisons qui nous fait poser cette question est la difficulté d'incorporer le processus de mesure. Pour nous, le processus de mesure n'est qu'une simple illustration du problème de l'irréversibilité en programmation.

Eh oui.

Car le Démon de Maxwell fut exorcisé, faut-il le rappeler, par Brillouin en 1954 (date de parution de LA SCIENCE ET LA THEORIE DE L'INFORMATION, jamais réédité depuis en français comme il se doit; enfin, on peut toujours se le procurer en américain; bref). Et la façon dont se déroula cet exorcisme est justement basée sur une étude attentive du processus de mesure. Disons, pour résumer, que ce pauvre Démon serait obligé, pour acquérir l'information dont il a besoin pour trier dans la confusion, de dépenser plus d'énergie que cette information une fois obtenue lui en ferait gagner.

Il ne nous reste plus, pour achever la présente étude, qu'à nous pencher, donc, sur la douloureuse question de la mesure. Nous ne ferons pas appel, cette fois, à de vieux grimoires, mais à une récente émission de France-Culture, SCIENCES ET TECHNIQUES du mercredi 14/4/83, où Mme Jeanne Parrain-Vial rend compte de son récent ouvrage: :

LES DIFFICULTES DE LA PROGRAMMATION ET DE LA MESURE
Prendre des mesures, avant ou après une programmation, est une opération beaucoup plus délicate que la programmation elle-même, qui après tout peut se contenter de tableaux, de comparaisons, bref d'une grille. Il faut d'abord extraire de la totalité concrète - c'est à dire de la production actuelle - les aspects programmables. Mais pour mesurer, il faut déterminer des unités...
En ce qui concerne les mesures a-posteriori, on ne retrouvera pas sans quelque amusement à la télé les 2 variables habituelles de la physique classique: une variable de quantité (le taux d'écoute) et une variable de tension (l'indice de satisfaction). Leur produit donnerait comme on sait, la puissance de l'émission à l'instant considérée. Et en multipliant par le temps, on obtient l'énergie (c.a.d. la valeur) de l'émission. On pourrait donc concevoir des modélisations de l'écoute en termes de réseaux électriques relativement simples. Toutefois, si le nombre de personnes à l'écoute peut sembler une quantité relativement claire, leur "satisfaction" semble l'être beaucoup moins: il y a non seulement une difficulté pratique à mesurer la chose, mais aussi une difficulté théorique à définir ce que l'on prétend mesurer.
Il y a en plus la transformation de ce que l'on veut mesurer par la mesure elle-même, l'exemple le plus frappant étant sans doute la modification des prévisions électorales par la publication des sondages d'intentions de vote. Le problème est pour l'instant bridé par une interdiction de publication peu avant la date fatidique du scrutin, mais épistémologiquement, il y a là un pis-aller quelque peu malsain. Et plus discrètement, mais peut-être plus fondamentalement, toute personne portant un intérêt spécial à la télévision devra bien investir quelques intérêts dans des émissions dont, si elles n'eussent pas remporté un certain succès public, ou un bide complet, elle n'eut pas donné un clou.
Ce problème de l'observateur observé devient encore plus flagrant en ce qui concerne les mesures a-priori, celles qu'on prend avant diffusion pour assurer le programme et/ou l'antenne. Si l'on prélève des animaux dans un écosystème, il est bien évident que l'on modifie l'écosystème que l'on est en train d'étudier. De même, si l'on passe à l'antenne un film cinématographique récent, on le grille pour l'exploitation ultérieure en salle (parce que ce genre de produit n'est élaboré pour n'être vu qu'une fois, et encore). D'où les mesures prises pour protéger le vivier cinématographique, voire pour l'aleviner. Mais ces mesures prises portent elles-mêmes préjudice à la télévision, dont le public, c'est bien connu, préfère les films. Et tout l'art du programmateur sera de ruser avec ces difficultés.
Incidemment, les unités utilisées en amont (temps et argent) ne sont pas tout à fait les mêmes que celles utilisées en aval (taux d'écoute, etc.). Le public et son intérêt ne se métamorphosent en argent que via une redevance forfaitaire. On peut se demander ce que cela donnerait dans le cas d'une télévision à la carte, avec décodeurs payants et ainsi de suite, et c'est bien d'ailleurs ce que se demandent les responsables du projet français de 4ème chaîne.
On peut minimiser ces incertitudes, on ne peut pas les annuler. Il y a toujours un coût à toute mesure prise, et une mesure parfaite demanderait tout le temps et toute l'énergie de tout le monde, un coût en néguentropie infini, on le savait depuis Brillouin, il est bon de le rappeler.
Pour l'instant, en tout cas, on ne peut que se cantonner pragmatiquement à des généralités pifométriques du genre "Untel est un homme de programme, mais Machin ne l'est pas" ou bien "X a du flair, mais il travaille au coup par coup" etc... Le pouvoir de programmation n'est démocratique que dans la mesure où ses hypothèses a-priori risquent d'être falsifiées par le public, et il faudrait pour cela qu'il y ait:
a) une bien plus grande abondance de programmes différenciés;
b) des modalités de réponse plus souples que le simple dilemme silence/applaudissements. Ces conditions sont nécessaires, elles ne sont sans doute pas suffisantes.
Enfin, si l'on voit ici les limites d'un traitement numérique de l'information, il faut souligner que des possibilités de traitement rigoureux non-numérique existent, en particulier du côté de la topologie, analysis situ, etc.

Vaste programme pour les générations futures. En attendant, il me reste à conclure, et j'emprunterai ma conclusion à un ouvrage déjà cité :

(G JUVET, STRUCTRE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.l40)
Sans aller jusqu'à dire avec Sir Arthur Eddington que l'on considérera les programmes les lundi, mercredi et vendredi, et les oeuvres les mardi, jeudi et samedi matin (pendant le week-end, on manifestera la plus grande indifférence à toutes ces questions), il est bien évident que ce dualisme est cause de désordre; mais pourvu que l'on sache s'en servir, on peut obtenir rapidement, comme nous l'avons fait, des résultats exacts sans être obligés de recourir à l'application plus difficile des probabilités. Mais ainsi qu'aime à le dire M. Emile Picard, notre illustre maître à tous, nous autres mathématiciens: il est plus facile d'apprendre les mathématiques que de savoir s'en passer.




NOTES

1.- Pourquoi 1896? Parce que c'est le début de la radioactivité naturelle; les atomes cessent d'être insécables, et vont bientôt se résoudre en particules plus élémentaires. Vers la même date, Freud met la dernière main à la Traumdeutung: les individus aussi vont se résoudre en affects plus élémentaires. Condensations, déplacements, etc.: les opérations effectuées par ces débris ne sont rien d'autres que les opérations élémentaires de la théorie des ensemble - ou de la logique classique - qui commencent toutes deux à prendre forme. Quant aux oeuvres, ma foi, même si les collages et les plagiats se multiplient, la critique et la législation en resteront impavidement au XIXème siècle. Cette situation a perduré jusqu'à aujourd'hui.

2.- Bien qu'ayant émis lui-même en 1900 l'hypothèse des quantas, Max Planck mit ensuite 10 ans à se persuader qu'il avait raison...

3.- On pourrait se demander quels sont les rapports entre la dualité oeuvres/programmes, et l'histoire. Si ces rapports sont bien analogues à ceux qu'entretiennent mécanique quantique et relativité, la réponse est simple: on n'en sait rien. La coordination mécanique quantique/relativité se fait toujours attendre, la quantification du champ gravitationnel n'est toujours pas faite. La quotidianisation du champ historique non plus.

4.- Le Principe d'Exclusion de Pauli énonce que, à l'intérieur d'un même programme, il ne doit pas y avoir de doublons... Par contre, entre 2 programmes concurrents et parallèles, il y a de fortes chances que ces deux programmes deviennent indiscernables (un film sur chaque chaîne, les JT en même temps basés sur les mêmes éléments fournis par les agences, etc.).
Le Principe d'exclusion résulte de la structure de groupe des programmateurs, et de leur permutabilité, ou non.

5.- Les nouvelles oeuvres sont virtuelles, enfouies dans le bruit de fond social noiseux, au fond d'un puits de potentiel. Il faut leur injecter de la valeur pour leur faire prendre corps, et encore de la valeur pour leur faire faire le bond hors du trou où elles gisent.
Elles naissent alors par paires opposées: oeuvre, et anti-oeuvre.
Les conditions de passage de la barrière sont inanalysables, à cause des relations d'incertitude. Toute tentative d'étudier ce qui se passe à ce moment particulièrement sensible du surgissement aboutirait, soit à accélérer le passage, soit à renvoyer le tout dans les limbes.

6.- Cet être évanescent existe bel et bien, et pas seulement dans les médias. Ce n'est pas sans amusement qu'on apprendra que la ville de Washington, D.C., fut planifiée par un dénommé Lenfant vers 1800, et ne déborda son plan de développement prévu que vers l920.

7.- Les variables cachées sont le supplément d'âme du programme. Un couple, parti de Paris, regarde la télé, elle à Rennes, lui à Dijon: il y a de fortes chances que leurs choix de programme ne soient pas indépendants. Pourquoi ?









BLUES IN THE BLACK HOLE




Scriabine, dit-on, chercha longtemps un accord qui suspendrait la gravitation.

D'autres racontent que les druides construisaient leurs menhirs (ou les Egyptiens leurs pyramides) au moyen de flûtes innommables.

Innombrables sont ceux, ou celles, qui ont cherché un accord qui suspendrait l'histoire (amoureuse, politique, musicale...), et ne l'ont généralement pas trouvé (le Tao que la main n'atteint pas n'est qu'un leurre).

Que la gravitation et l'histoire ne soient pas sans analogies, c'est facile à dire : elles traitent toutes deux de forces, de masses subissant ces forces ou les exerçant, et des déformations de l'espace-temps qui en résultent. Nous avons déjà esquissé cela avec Clausewitz, et après tout, la Relativité Générale ne fait que généraliser la mécanique newtonienne et la relativité galiléenne.

Mais la mécanique quantique et la relativité ne sont toujours pas conciliées, et elles ne l'ont jamais été. Elles auront dominé, en bonnes soeurs ennemies, toute la science du XXe siècle et malgré les bons offices et les efforts de tous ceux qui y travaillent, on peut penser que la Grande Unification n'est pas pour demain. Nous allons donc parler de la relativité musicale à part.

C'est en astrophysique surtout (cette musique des stars) qu'elles se rencontrent. Une 'patagonisation serait ici possible, qui nous ramènerait à la discorde des sphères, et au silence glacé (2°K) des espaces infinis. Et à la question de l'indifférence : tant que la masse des affects d'indifférence du public (les neutrinos) ne dépasse pas un seuil critique, l'expansion du star-system se poursuivra indéfiniment.

Mais nous allons envisager la Relativité tout autrement.

tangente a

Xenakis définit la vitesse d'un glissando v = dh/dt ; on voit que v = dh/dt = tg a :



La vitesse d'un glissando, éventuellement non rectiligne, en un point est donc égale à la pente de la tangente au glissando en ce point :

tangente a, b, c

Elle peut donc varier, au moins théoriquement, de +¥ à -¥.On notera que :

  1. Il n'y a pas de glissando rétrogradant dans le temps (on n'aura donc pas de discontinuité à l'infini pour v) ;
  2. Bien qu'on puisse concevoir des glissandi fractals , et éventuellement les faire exécuter par ordinateur, ce n'est certainement pas possible sur violon ; on laissera donc cette question de côté.

Considérons 2 glissandi : quelle est leur vitesse relative ? tangente(b-a)Elle est évidemment donnée par la formule d'addition des tangentes :

tg(b-a) = (tgb-tga)/(1+(tgb*tga))



Cependant, on sait bien que les octaves, en s'empilant, s'écrasent.

Entre 2 notes qui prouvent sur le fréquencemètre l'exactitude de leur distance (de l'ordre de plusieurs octaves), l'oreille entend un intervalle trop grand.

On peut donc se poser la question : la loi d'addition des vitesses ne serait-elle pas plutôt d'une forme relativiste :   vvc2.gif   ?

Poser cette question, c'est être encore loin d'y répondre. Nous ne sommes pas sûr de pouvoir y arriver d'ici Noël, nous ne sommes même pas sûr que la question ait un sens (encore que le fait de la poser en ait un à coup sûr).

Il nous faudrait pour pouvoir envisager d'y répondre une valeur sûre et bien attestée de l'écrasement des octaves (et si possible la même pour les différentes civilisations musicales). Il nous faudrait émettre des hypothèses sur c, la vitesse-limite d'un glissando. Et il nous faudrait calculer pour voir si cela peut arriver à se matcher de façon satisfaisante, ou non.

En attendant d'avoir effectué tout cela, et sans doute falsifié notre hypothèse (car celle-là, pour une fois, est falsifiable, le fait est assez rare pour être souligné), reprenons ce vieux standard du jazz, au titre paradoxal, à propos duquel nous avions écrit un jour, à la terrasse du bistrot du C.I.M., la fantaisie que voici :


STELLA BY STARLIGHT

      Achille et la tortue font la course, en se tournant le dos.
      (variante.: Achille et la tortue, immobiles dans l'espace intergalactique, sont accolés dos à dos par leur gravité ((pourquoi pense-t-on toujours à 69, et jamais à 96?)). Un simulacre d'Achille s'en va dans un sens, à la vitesse c ; un simulacre de la tortue, dans la direction diamétralement opposée, à la même vitesse.
      Du point de vue de la tortue, Achille est toujours là, indissociable de son simulacre; du point de vue d'Achille, idem en ce qui concerne le tortue. Mais comment arriveraient-ils à regarder derrière eux?
      Chacun des simulacres, selon la Relativité Générale, va faire le tour de l'univers, et revenir à son point de départ, par la direction diamétralement opposée. Achille, tout en voyant toujours derrière lui la tortue de dos, voit devant lui la même tortue, de face. Et réciproquement.
      Mais comme les simulacres ont parcouru une distance immense (mais non infinie: la bibliothèque à simulacres est cyclique), ils sont bien fatigués (le redshift ne serait-il que l'instinct de mort des photons?), et de plus accompagnés d'une foule nombreuse de leurs semblables, rencontrés au cours du voyage (& par un prompt renfort, nous nous vîmes 100.000 en arrivant au port). Achille ne distingue donc que très vaguement la tortue, au fond du bruit de fond stellaire (2cm de longueur d'onde). Et réciproquement.
      C'est d'ailleurs pour ça que le fond du ciel est noir.
      Mais en fait, Achille ne sait pas que la tortue est dans son dos. Il est persuadé qu'elle est là-bas, au loin. Chaque fois qu'il se retourne, il ne voit rien, car la tortue tourne avec lui. En fait, il faut bien le dire, la tortue n'est autre que le crâne d'Achille, vu de dos, à travers lequel la kundalini risque parfois un oeil (il ne faut jamais réveiller les somnanbules, ni les chats qui dorment).
      La seule preuve de son existence est cette impression évanescente, ce soupçon au fond du ciel, une étoile à la lumière des autres. Rien, sinon parfois l'impression d'être suivi. Achille ne peut que conclure à la non-existence de la tortue, ou alors, il devient complètement paranoïaque.
      Et réciproquement.

 
 
 
 
 







LA NOUVELLE MESALLIANCE

Sur les structures dissipatives, nous avons peu à dire.

Lors du stage UPIC de Nice, aux MANCA 82, nous avions écrit le texte ci-dessous, qui nous semble toujours d'actualité :

A.M., 7-2-82

BRIBES DE PEDAGOGIE DISSIPATIVE



(notes prises au cours du stage UPIC de Nice, Fév 82, s'appliquant aussi aux anciens stages de cinéma (Kreyl, Grenoble, Nice, Fresnes etc.) et on l'espère aussi aux futurs)



I- DISSIPATION

Rappelons ce qu'est une structure dissipative (cf. Prigogine et l'"Ecole de Bruxelles") :

Soit un système organisé. D'après le second principe de la thermodynamique, s'il est fermé; son entropie interne ne peut que croître, et donc, son propre fonctionnement l'entraine irréversiblement vers la désorganisation interne, le "désordre", le fait dériver vers le chaos.
(incidemment, ça se dit de même en allemand (das System wird zum Chaos getriebt) et en anglais (the system drives itself toward chaos). Le XIXème siècle a vécu dans cette angoisse.

Notre système organisé est donc devenu un chaos. En fait, on aurait pu partir directement d'un chaos quelconque, vu qu'on en trouve maintenant à chaque coin de rue, et qu'on peut faire le pari que nombre d'entre eux se prêteraient à l'expérience.

Faisons traverser maintenant notre chaos par un flux (d'énergie, de valeur...) :

SOUS CERTAINES CONDITIONS (à préciser), notre chaos va s'auto-organiser autour de ce flux. Une petite partie du flux est détournée, apparemment "dissipée" pour un observateur extérieur qui ne s'intéresserait qu'à la chute de potentiel de son flux, mais en réalité (?) convertie en "information", en "ordre", en "néguentropie" à l'intérieur du système.
Le système quitte, plus ou moins lentement, son sommeil bienheureux de chaos (noise et ronflette), et se dresse, exhibant fièrement une structure identifiable et digne de ce nom. (A l'appel des trompettes, les morts se lèvent et viennent au jugement - arkane XXI ou planche I du Mutus Liber).

Le fin du fin, c'est bien sûr quand c'est le même flux qui auparavant avait causé la ruine du système (désormais "ouvert"), par échauffement, usure, etc., qui va maintenant lui servir à s'auto-réorganiser, à "ressusciter". Le monde (arkane XX) à chaque instant s'effondre dans la noise et recommence, bla bla.

Les considérations "métaphysiques" ci-dessus reposent quand même sur quelques expériences physiques bien attestées et reproductibles, que l'on trouvera décrites dans la littérature de plus en plus abondante qui se publie actuellement sur ce sujet. Par exemple, une chose aussi simple que la convection de Bénard a une probabilité quasiment nulle de se produire d'après Boltzmann, et pourtant elle se produit à tous les coups (rappelons qu'il s'agit de la formation de cellules de convection hexagonales juxtaposées dans un liquide chauffé entre deux plans horizontaux à des températures différentes). Cf. aussi les "horloges chimiques", etc.

Isabelle Stengers nous met en garde, et avec raison, contre les trop faciles "applications" sociales que l'on pourrait faire de ces théories physiques. D'aucuns ne s'en privent d'ailleurs pas, et vont cheminant, proclamant allègrement que l'auto-organisation des structures dissipatives justifie l'autogestion et le socialisme, et ainsi de suite. Tout beau, camarade! Pour qu'il y ait dissipation, il faudrait qu'il y ait quelque chose à dissiper; point d'argent, point de suisse. Et de plus, beaucoup voudraient faire l'économie de la phase chaos, arguant que le nouvel ordre est déjà présent, puisqu'ils sont bien là, eux. Ôte ton masque, camarade, on t'a reconnu. Et ce n'est pas encore le chaos, puisqu'on t'a reconnu. Le "véritable" chaos se reconnaît à ce qu'on y reconnaît plus rien. C'est une multiplicité non-standard.



II- PEDAGOCIE

Soit un stage, qui ne soit pas d'apprentissage, mais de création. Il ne s'agit pas de reproduire un ordre ancien, pas davantage d'en créer un autre (ou si peu, à titre d'exemple et de sous-produit), mais principalement de faire réaliser aux stagiaires un processus de création. Les produits du stage, probablement, oeuvre filmiques, musicales, etc., n'existeront ensuite qu'en tant que traces palpables, témoignages sensibles, preuves, pierres de touche..., qu'il s'est passé quelque chose.
Bien sûr, on peut aussi admettre qu'une Oeuvre majuscule apparaisse dans un tel stage... c'est peu probable mais on a vu des choses bien plus étranges.

Suite à diverses expériences, une procédure canonique semble bien se dégager pragmatiquement, pour l'organisation de tels stages :

- trouver du financement et/ou du matériel (la pédagogie dissipative, ça coûte cher)

- constituer, si possible avant le début du stage, des groupes d'une demi-douzaine de personnes et en amorcer la dynamique (cohérence et contradictions internes, etc.)

- trouver du personnel d'encadrement de ces groupes, en nombre légèrement supérieur au nombre des groupes. En plus de posséder les qualifications technico-artistiques nécessaires, ces personnes devront être rompues aux relations humaines (pour contrôler par exemple 1es situations et éviter que les dissipations ne deviennent explosives quand ce n'est pas souhaitable... hum, cf. événements récents), et bien sûr posséder une fibre pédagogique bien accrochée. Pas si facile que ça à trouver.

- dès le début du stage, amener en douceur les groupes à l'état de chaos, par saturation d'informations etc., aider à la constitution des groupes qui ne se connaissent pas encore, vérifier en permanence l'intendance et le matériel, et bien d'autres choses encore, bref, amorcer le processus... En général, il y a plus d'efforts à faire pour le calmer que pour l'accélérer.

-une fois que la tempête est retombée, vogue la galère pour des terres inconnues. S'arranger quand même pour que tout le monde arrive à bon port (mais on ne sait pas encore lequel et ce n'est pas forcément le même pour tous) à la date prévue.

Accessoirement, il n'est pas mauvais de superposer le stage à un Festival concomitant, pour disposer en permanence d'une source d'information extérieure.



III- BRIBES

Si c'était un stage de poterie, on pourrait à la fin briser la cruche élaborée par la groupe, chacun en emporterait un morceau, et s'ils se retrouvent dans 10 ans, dans trente ans, ou leurs descendants, ils pourront se reconnaître rien qu'à leurs fragments - qui ne peuvent s'adapter exactement à aucun autre. Dans l'antiquité grecque, on appelait ça un symbole, maintenant, on appelle ça un objet fractal.

Dans un tel stage, il n'est pas mauvais que la fractalité soit de mise, à tous les niveaux possibles et en particulier au niveau de l'emploi du temps. Ne pas oublier quand même de manger et de dormir bien. Enveloppes complexes. Les exigences administratives et le papier normalisé étant ce qu'ils sont, le présent fragment se termine ici.



Bien sûr, des expériences sont possibles.

On pourrait prendre la suite de Fegenbaum Xn+1 = l-m(Xn)2 et s'en servir pour générer une monodie, en agissant sur m et X0.

Reprenant "Temps, MUsique, Devenir", de Prigogine, on y apprend que l'opérateur Entropie est un super-ouvrier non taylorisable. Un vrai facteur de disorganisation. (La thermodynamique classique est inutilisable ici : elle travaille trop près de l'équilibre - auquel elle tend -, alors que la musique travaille loin de l'équilibre, joue avec les déséquilibres et les bifurcations, et dissipe en pure perte la plus grande partie de l'énergie qu'elle consomme.)

On pourra aussi reprendre la Nouvelle Alliance, de Prigogine-Stengers, mais avec précautions ; il y a eu trop de contresens, et trop de gens douteux s'en sont saisis pour propouvoir le "Nouvel Accord".

Isabelle Stengers avait d'ailleurs elle-même fort brillamment dénoncé ces interprétations abusives, sur les ondes de France-Culture, dans une émission de Michel Treguer, dès 1981.

Elle s'est pourtant laissée piéger en cautionnant de sa présence le Colloque de Tsukuba, où, sur moult pont-aux-ânes, on s'interrogea gravement sur la question suivante : Science et Conscience.

On pourra si l'on veut prendre les minutes de ce Colloque, lorsqu'elles seront publiées (ou la série d'émissions de France-Culture, qui en a déjà retransmis les débats sous forme de hachis). Dans ce crépuscule de la pensée où toutes les vaches sacrées sont grises, on verra bien alors qu'une invitée avait été oubliée, et qu'une interface entre science et conscience était déjà trouvée, et depuis longtemps.







ANDANTE : BIO-ODECOLOGY






(Before you'll find your handsome prince,
you'll have to kiss a lot of frogs)



Qu'il y ait eu des sous-entendus musico-discordiens derrière la biologie naissante, voilà qui n'est pas douteux :

            La nouvelle espèce naît fortuitement. Les mutations sont "filles du hasard" (Guyénot). Si le mutant est viable, il peut faire souche et se perpétuer; sinon, il disparaît. Des innovations de la vie...    

(J. Rostand,
Le Transformisme,
pp.146-7)

La sélection darwinienne s'exercerait-elle aussi en musique ?

La tâche commune qui est donc celle des historiens et des philosophes de la science musique a des équivalents dans un autre domaine - dans la biologie darwinienne. Dans l'évolution des idées scientifiques formes musicales, comme dans celle des espèces...            

Des idées et des formes, voilà qui sonne un peu platonicien ? Les Idées sont au ciel, d'où elles tombent sur terre, un peu à la manière des atomes de Lucrèce. 
Mais au cours de leur chute, elles s'entrechoquent, et finalement bien peu arrivent au sol, où elles se manifestent sous forme de phénomène discontinu. 
En météorologie, on appelle cela une précipitation. En (bio)chimie aussi, d'ailleurs

Pourtant, rappelons que le mot mêne de "société" dérive du latin "sequor", suivre. La société est donc l'ensemble des êtres qui se suivent, qui sont rangés dans un certain ordre. On peut donc dire, sans crainte de se tromper, que le passage de la forme suite à la forme sonate fut une succession sociale. 
Le pléonasme et la tautologie ne sont qu'apparents, on peut différencier, en particulier par rapport au temps. 
Quelle fut la forme sociale par laquelle, lors de l'adoption du tempérament égal, les intervalles s'adaptèrent à leur uniformisation? la fugue, fuite générale mais ordonnée. Une dispersion collective. 
On pourra donc se livrer à loisir à quelques jeux de mots sur la Seine (Sequana: elle coule, coule, coule...), la seine (sorte de filet de pêche, réseau maillé), la Seyne (chantiers navals), la Cène (partage équitable du comma entre les 12 notes) et la scène, toutes aussi primitives les unes que les autres et que l'on voudra.

La biologie moléculaire, qui permet de traiter l'hérédité séquenza...

Nous n'ignorons pas que certains ont voulu voir, dans les 4 bases du code génétique élevées à la puissance 3 des codons, un homologue des 64 combinaisons du Yi-Ching. Et en effet, 43= 64 , ce n'est pas niable. Nous aurions donc pu développer les considérations qu'on a vues plus haut, à partir du code génétique. 

Avec une différence, toutefois : chaque hexagramme se serait retrouvé transformé en 3 bigrammes, au lieu de 2 trigrammes. Chaque bigramme4 bigrammes, 4 accords correspondant à une base, et à un accord.

Mais à quelle base attribuer quel accord ? 4 accords

Cette question a un sens, puisque dans le code génétique, les codons ont des fonctions différentes - certains même autant qu'il m'en souvienne n'en ont pas du tout.

On aurait donc perdu toute cette belle symétrie, et de délicates questions d'interprétation se seraient posées.

Mieux vaudrait, à ce compte-là, partir du Braille.

braille.gif

vraie musique