Monsieur Alain MONTESSE.
RAPPORT DE SOUTENANCE DE THESE DE DOCTORAT D'ETAT
rédigé par Mme Eveline ANDREANI, Professeur à l'Université de Paris VIII.
le 14 décembre 1985, en la salle du Service de la Recherche, à l'Université de Paris VIII
à l'issue de la soutenance, par Monsieur Alain MONTESSE, d'une thèse intitulée :
LA DISCORDE.
Membres du Jury
- Madame Eveline ANDREANI,
Professeur à l'Université de Paris VIII (Présidente).
- Monsieur Daniel CHARLES, Professeur à l'Université de
Paris VIII.
- Monsieur Jean-Etienne MARIE
-
Monsieur Jean-Claude RISSET, Professeur, Maître de recherches au CNRS.
- Monsieur Costin MIEREANU, Professeur à l'Université de
Paris IV
Monsieur A. MONTESSE a d'abord exposé brièvement les tenants et aboutissements tant théoriques que biographiques de sa thèse. La maturation de celle-ci a en effet dépendu des oscillations de l'auteur entre diverses disciplines, notamment la musique et le cinéma - sur fond d'interrogation stricte, de type logique ou mathématique, sur ce qui se situe en amont des dissonances ou des disruptions rencontrées ici et là. Ce n'est donc pas uniquement le goût pour le paradoxe qui a déterminé le choix du sujet, mais plutôt l'impossibilité de remonter à une limite non arbitraire où s'arrêterait la discorde. Procédant dès lors vers l'aval, l'auteur devait se contenter de montages ou de raccords, méditant par exemple le pourquoi, en musique, de la durée nulle d'une barre de mesure... La prolifération des paysages et des exemples, faisant jouer de nombreuses disciplines, a finalement abouti à l'élaboration, sous le couvert d'un comparatisme généralisé, d'une méthodologie de la remise en question systématique, laquelle débouche elle-même sur une méontologie.
M. Daniel CHARLES, Rapporteur, tout en félicitant le candidat pour l'ampleur de ses informations, la perspicacité de ses analyses et la liberté (radicale) de sa démarche, constate le caractère à la fois irréfutable et discutable d'une argumentation tellement vouée aux associations libres qu'elle bascule à tout instant dans une polysémie difficilement contrôlable, bien que liée très fortement à la science la plus exacte. A la limite, la notion de discorde elle-même, tirée dans tous les sens, s'étiole ; loin de déboucher sur une philosophie du "différend" au sens de Lyotard, M. Montesse se livre à une conversation certes tout-à-fait "libérale" et "démocratique", mais "conversation" tout de même, au sens de Rorty. On éprouve beaucoup de plaisir à se laisser bercer par les innombrables feux d'artifice dont regorge le texte, mais on doit convenir aussi que la veine profondément rhizomatique de l'auteur se noie dans les détournements en tous genres auxquels ce dernier se livre avec une redoutable gourmandise. Bref, le pluralisme dégénère paradoxalement, eu égard à la virtuosité de son héraut, en monotonie ; si brillante que soit cette thèse, elle risque fort de n'être lue, si l'auteur la publie, que sous les espèces d'un aimable divertissement - ce qui serait dommage, compte tenu de son indéniable profondeur.
M. J.E. MARIE, qui connaît bien le candidat pour avoir travaillé à plusieurs reprises avec lui, tant aux MANCA de Nice qu'au Festival de la Rochelle, a beaucoup apprécié l'ironie souveraine de cette thèse. Comme dans ses films, M. Montesse procède à des montages d'une remarquable efficacité ; il suffit, pour se convaincre de la pertinence de la démarche suivie, d'en isoler et d'en analyser telle ou telle péripétie. Et comme en musique, ce qui compte est bien plutôt le parcours que le but : M. Montesse dé-téléologise ses raisonnements, et il n'en retient, comme disait Francis Ponge, que les "résons". On pourra trouver à objecter dans le détail, par exemple à propos de l'analyse du I-Ching ; mais l'ensemble brille par sa pétulance et il faut savoir gré au candidat d'avoir eu le courage de montrer tant de vivacité.
Pour M. J.Cl. RISSET, le travail de M. Montesse est profondément discordant en lui-même - par rapport à l'idée qu'on se fait d'une thèse. Ce qui, certes, n a rien de spécialement répréhensible : il n'y a aucun "modèle" de sérieux à respecter en ce domaine. Il n' empêche que la mimétique à laquelle M. Montesse a choisi de se tenir n'est pas si claire : pourquoi, dès lors que l'on traite de la discorde, s'exprimer précisément (et uniformément) de manière distordue ? Cela dit, le candidat a su, dans beaucoup de cas, utiliser au mieux des éléments pris sur le vif, comme des dialogues ou émissions de radio ; sur la dissonance, sur les harmoniques, sur la périodicité (et, en général, le temps), il apporte plus d'une observation intéressante. Finalement, cette thèse est parfois un peu irritante, mais elle demeure, dans l'ensemble, attachante, en dépit de sa profusion et de certaines pirouettes un peu faciles.
Aux yeux de M. C. Miereanu, la principale qualité du travail ici présenté réside dans l'acte d'écriture qu'il promeut. C'est plutôt la lecture, qui ne peut s'empêcher d'être discordante ; à scruter le texte, on découvre plus de construction et de logique qu'il n'y paraît au premier abord. Pourquoi, alors, cette difficulté au niveau de la "réception" au sens jaussien ? Parce que les emboîtements ne sont pas tous également maîtrisés. Il n'est cependant pas interdit de lire cette thèse comme gravitant autour d'un centre, c'est-à-dire aimantée vers la section d'or ; cela expliquerait l'impression de conciliation que l'on ressent à la déchiffrer : l'auteur n'a pas hésité à emprunter aux contes le principe de l'autonomisation de leur parcours narratif ; sans doute y a-t- il là la source de la pseudomorphose à l'égard de la musique, qui permet à M. Risset de parler d'une mimétique, ou d'une construction en abyme, entre le sujet et la façon de le traiter. Il est vrai que le parti pris d'homogénéisation ainsi affiché ne contient en lui-même aucune garantie de réussite : il arrive à M. Montesse de déraper. Du moins a-t-il essayé de concerter ses zig-zags.
Présidant le jury, Madame Eveline ANDREANI, pour sa part, diagnostique bel et bien, dans le texte de M. Montesse, une véritable anti-thèse. Une thèse est une réflexion approfondie, généralement chronologique et progressive qui aboutit à une théorie ou à un ensemble de théories sur un sujet donné. A l'inverse, ici, la problématique de la Discorde est un prétexte à toutes les incursions possibles dans des terrains soigneusement piégés par l'auteur qui a l'art consommé de mettre subrepticement un bandeau sur les yeux du lecteur avant de le prendre par la main pour lui faire toucher ce qu'il a envie que l'on touche.
Comme tous les jeux un peu malhonnêtes ce procédé est tout à fait fascinant. S'il n'y avait pas l'humour, nul doute qu'on suivrait avec moins de docilité le thésard terroriste. Car M. Montesse, bien qu'aimable, est terroriste, nul doute là-dessus. Dans le sens où il nous emmène exactement où il veut, de Napoleon à de Gaulle en passant par I-Ching et la guerre de Troie, se conformant ainsi à la démarche préconisée p. 413 à propos du flocon de neige : "construisez l'anti-flocon de neige. Il suffit pour cela de tracer des triangles à l'intérieur au lieu de l'extérieur et d'effacer les lignes de départ.". Mme Andréani ose dire que l'auteur de la thèse est allé plus loin : il a aussi effacé les lignes d'arrivée. Si bien que la problématique Discorde devient une sorte de rêve éveillé qui évite soigneusement toutes les focalisations d'hypothèses possibles.
Après avoir écouté les réponses du candidat aux diverses observations qui lui ont été présentées, le jury se retire pour délibérer ; au terme de la discussion ainsi engagée, M. A. Montesse est déclaré Docteur d'Etat avec la mention Très Honorable.