CINEMA EXPERIMENTAL ET NUMERISATION


(Alain Montesse, Pip Chodorov, Benoît Labourdette, Dominique Willoughby, Michel Lefebvre et al.)


Le présent texte est le condensé, certes lourdement compressé, de trois visioconférences émises les 15/2/2006, 15/5/2007 et 8/4/2008 depuis la régie de l'université Paris-7 Denis-Diderot, dans le cadre de l'association Carrefours Télématiques . On a essayé de faire en sorte que la compression soit la moins destructive possible.  
Les visioconférences étaient visibles sur le site de Paris-7 Denis-Diderot, mais à peine la responsable Marie-Claide Vettraino-Soulard avait-elle pris sa retraite que, dans sa grande sagesse, le service informatique de l'université a effacé tout le site de l'association, ainsi que le site du séminaire associé Ecrit, Image, Oral et Nouvelles Technologies. On peut en retrouver des morceaux sur archive.org, en demandant les adresses http://www.artemis.jussieu.fr/ct/ et http://www.artemis.jussieu.fr/hermes/ .
D'anciens membres du groupe ont à peu près rétabli les sites en question, aux adresses http://www.visiotice.fr/ARTEMIS/CT/ et http://www.visiotice.fr/ARTEMIS/hermes/
.
Les visioconférences sont directement téléchargeables en http://alain.montesse.free.fr/kinumexp/ct060215.rm, http://alain.montesse.free.fr/kinumexp/ct070515.rm et http://alain.montesse.free.fr/kinumexp/ct080408.rm.




1.- Première visioconférence du 15/2/2006

( http://alain.montesse.free.fr/kinumexp/ct060215.rm )

1.1.- Intervention d'Alain Montesse

Alain Montesse.- La question de la numérisation du cinéma est à l'ordre du jour. Cette question a des aspects techniques, industriels, esthétiques, phynanciers, juridiques, patrimoniaux, etc., assez inextricablement liés ; la numérisation présente des intérêts évidents, elle a aussi quelques inconvénients pas du tout négligeables.

Parmi les différentes catégorie de films, il en est une qui pose d'un seul coup tous les problèmes, plus quelques autres bien spécifiques : le cinéma expérimenta

Mais qu'est-ce que le cinéma expérimental ? On en trouvera autant de définitions que d'écoles et de périodes historiques, ce qui n'est pas peu dire. Les tout premiers films étaient évidemment expérimentaux, puisqu'on n'avait jamais rien fait de tel auparavant. Ensuite, la liste est longue des films qui ont fait apparaître (ou résonner...) quelque chose que l'on n'avait jamais vu auparavant, qui ont fait vivre au spectateur des expériences nouvelles. De L'assassinat du Duc de Guise, si l'on veut, en passant par les films de la révolution russe (Vertov etL'Homme à la caméra, , Koulechov et son effet, Eisenstein de temps en temps...), les films dada et surréalistes, le cinémaundergrou (principalement anglo-saxon, mais pas seulement) des années 60 et 70, les films lettristes et situationnistes, nombre de films d'animation, certaines pubs et clips vidéo... et jusqu'au premier Matri 1 .

Donc, cela concerne aussi bien sûr le cinéma scientifique, où il s'agit de mettre en scène des expériences, d'enregistrer le déroulement d'un processus ou d'une expérience pour analyse ultérieure (caméras filmant le décollage d'une fusée et son éventuel dysfontionnement, ralentissement ou accélération image par image...) ; et aussi bien sûr le cinéma ethnographique.

En bref, je considère comme cinéma expérimental tout ce qui consiste à mener des expériences au moyen du cinéma, en poussant les différentes techniques à leurs limites - techniques au sens large, jusques et y-compris aux techniques de manipulation du spectateur.. Debord rappelle dans In girum imus nocte et consumimur igni que le cinéma aurait pu être tout autre chose que ce qu'il est 

"Les anecdotes représentées sont les pierres dont était bâti tout l'édifice du cinéma. On n'y retrouve rien d'autre que les vieux personnages du théâtre, mais sur une scène plus spacieuse et plus mobile, ou du roman, mais dans des vêtements et environnements plus directement sensibles. C'est une société, et non une technique, qui a fait le cinéma ainsi. Il aurait pu être examen historique, théorie, essai, mémoires. Il aurait pu être le film que je fais en ce moment."

Il serait trop long de tenter de résumer ici l'histoire du cinéma expérimental. On en trouvera diverses présentations sur l'internet 2 . Notons que ce cinéma ne s'inscrit pas seulement dans des problématiques esthétiques : l'un des facteurs déclenchants du meurtre de Théo Van Gogh fin 2004 a été son film Soumission&nbs; 3 ; les anciens membres de la Filmkooperative de Hamburg ont composé un film retraçant l'histoire de leur groupe 4 , où les composantes politiques ou sociétales sont bien exposées. Il y eut de nombreuses relations, pas toujours harmonieuses, entre cinéastes expérimentaux et cinéastes militant

Je considère que le langage (?) du cinéma expérimental est le langage du cinéma dans toute sa généralité. Le cinéma au sens habituel du terme n'est qu'un cinéma particulier, et pas l'inverse.

L'idée la plus simple pour numériser un film semblerait être de mettre une caméra numérique en face d'un projecteur cinéma, avec éventuellement un écran ou un dépoli entre les deux, et de faire tourner. En fait, ce n'est pas si simple. Considérons par exemple l'installation du CERIS en Basse-Normandie ( http://www.ceris-normandie.com/leceris.php?intra=3#bas ), qui figure parmi ce que j'ai vu de mieux en matière de structures associatives, non industrielles de conservation du patrimoine audiovisuel en région. Le projecteur est interchangeable selon le format du film. Le système optique entre le projecteur et la caméra a été construit par Alain Hairie, physicien, ingénieur au SIFCOM (laboratoire "Structure des Interfaces et Fonctionnalité des Couches Minces", qui est une UMR du CNRS et de l'ENSICAEN liée par convention à l'Université de Caen). Le miroir est un miroir teinté spécial. La synchronisation est manuelle (à propos du réglage de la vitesse d'obturation, voir par exemple http://www.lunerouge.org/spip/article.php3?id_article=137 ). Le choix de la caméra est crucial, et il y faut en plus le savoir-faire et la dextérité de l'opérateur. Le film une fois numérisé est stocké sur DV-cam ; l'original est également archivé. Enfin, la diffusion se fait par le biais d'expositions, par la vente de DVDs dans le commerce.

On le pressent, la numérisation d'un film n'est pas un acte simple, pour lequel il suffirait d'appuyer sur le bouton. C'est toute une chaîne d'opérations et de décisions, pas seulement techniques.

Les différentes questions que l'on peut se poser à propos des relations entre cinéma expérimental et numérisation peuvent être rassemblées en quelques grandes catégories, distinctes, mais pas complètement indépendantes 

A.- sauvegarde, restauration et archivage
A.1- technique de numérisation
A.2- Définition
A.3- entrelacement
A.4- vitesse
A.5- étalonnage
A.6- restauration
A.7- compression
A.8- archivage et stockage
B.- diffusion
C.- création





A.- Sauvegarde, restauration et archivage

A.1- Technique de numérisation

Il y a plusieurs techniques de numérisation, relevant de deux procédures distinctes : le télécinéma et le scan 5 .

Le télécinéma a précédé le magnétoscope dans l'histoire de la télévision : il permettait de diffuser à l'antenne les films cinématographiques, en transformant dans le temps même du défilement (peut-on appeler cela du temps réel ?) l'image photochimique en signaux électriques envoyés directement à l'antenne. C'est donc un projecteur de cinéma débitant dans des circuits électroniques. Plus tard, on y adjoignit un magnétoscope, ce qui permit l'enregistrement des films sur bande magnétique. Pendant très longtemps, et même encore de nos jours, on a dû se contenter d'images entrelacées (cf. ci-dessous). Ce n'est que depuis quelques années qu'on commence à voir apparaître des télécinémas "progressifs", et même, tout récemment, "Haute Définition" (cf. ci-dessous).

Le scanner est d'apparition beaucoup plus récente. Son principe consiste à transformer, image par image, chaque image du film en un fichier informatique. Jusqu'à récemment, le processus ne s'effectuait donc pas à la vitesse de défilement du film, mais à un rythme nettement plus faible, de l'ordre quelques images par seconde au mieux (il faut le temps de scanner l'image, de la transférer sur disque dur, puis de passer à la suivante, et ainsi de suite). Après les premières machines construites par les utilisateurs eux-mêmes dans les firmes d'effets spéciaux, on vit apparaître les premières machines dédiées, le Domino de Quantel en 1993, puis le Spirit de Philips-Thomson-Tektronics en 1998 6 . Ces machines sont presque de la taille d'une armoire normande, sans compter leurs périphériques, et sont surtout fort chère

Depuis le début des années 2000, on voit timidement apparaître des systèmes légers, phynancièrement plus abordables : on trouvera un exemple de TC/scan fabriqué à la maison en http://super8todv.free.fr/index.html . L'auteur du site ne semble pas particulièrement animé de motivations commerciales ; il donne aussi en http://super8todv.free.fr/liens.html la liaison vers la société canadienne MovieStuff qui fabrique des systèmes légers mais plus professionnels travaillant image par image ( http://moviestuff.tv/8mm_telecine.html ). Ces systèmes travaillent souvent pour les archives et les cinémathèques. En France, un système comparable a été développé par Suporfilm ( http://www.suporfilm.com/index.html ). Aux USA, on peut aussi citer le système Kinetta ( http://www.kinetta.com/download/files/Kinetta-Archival-Scanner.pdf ).

D'autres sociétés encore, en France ou ailleurs 7 , affirment procéder par scanning plutôt que par télécinéma. Mais il n'en reste pas moins que la grande majorité des prestataires de numérisation grand-public se contentent de projeter le film et de filmer l'écran... avec les résultats qu'on peut en attendre.

On observera que le vocabulaire même n'est pas encore fixé. Le terme anglais "scanning" est souvent traduit en français par "balayage", qui dans l'univers de la télévision et de la vidéo traditionnelles sous-entend "balayage entrelacé", alors qu'il s'agit justement de l'inverse, de balayage "progressif".





A.2- Définition

Actuellement, la définition standard des appareils de télévision courants en Europe est de 525 lignes en analogique, ou 720*576 en numérique (c'est la norme DV et DVD, aujourd'hui dominante).

Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de numériser du film pour le retravailler, il faut éviter toute compression, car les traitement ultérieurs, agrémentés à chaque fois de décompressions et de recompressions, vont dégrader la qualité de l'image, et même créer des artefacts. Les formats de numérisation sont donc de l'ordre de 2k (environ 2000 points à l'horizontale, environ 1500 à la verticale) pour le 16mm, et 4k pour le 35m

On voit donc que la définition usuelle de la télévision est largement inférieure à celle du film, et correspond tout au plus au super-8mm.

Par ailleurs, depuis quelques années, la pression monte en faveur d'un passage à la télévision haute définition (TVHD). Une première tentative en ce sens avait déjà échoué, à la fin des années 1980, le public n'étant pas très enthousiaste à l'idée de changer déjà tout son coûteux équipement tout neuf. Si l'actuelle offensive cette fois réussit, il faudra tout de même plusieurs années encore pour que le parc actuel soit totalement remplacé - et de toute façon, la définition de la TVHD reste nettement inférieure à celle du 35mm, et même du 16mm. Les numérisations déjà effectuées à l'actuelle norme de 720*576 seront à refaire en HD. Et à quel format ? il y a confusion entre la HD des scans de films pour le cinéma (2k en général suffisant, 4k pour les travaux exceptionnels), la HD des systèmes de tournage numériques (1900 pixels à l'horizontale) et la HDV grand-public...

Il en résulte qu'il faut distinguer entre les formats de numérisation pour l'archivage et le retravail, numérisation qui doit être faite au maximum de définition et sans compression et sans entrelacement, et les formats numériques de diffusion, nettement inférieurs et compressés 8 .




A.3- Entrelacement

En Europe, la fréquence du courant alternatif du secteur est de 50 Hz (50 périodes par seconde), et de 60 aux Amériques et au Japon.

Aux débuts de la télévision, on fixa donc le rythme de renouvellement des images à 25 images par seconde en Europe, et 30 par seconde aux Amériques : cela permettait de synchroniser plus facilement les machines, en adoptant un rythme le plus bas possible, compatible avec la persistance rétinienne, et ne s'éloignant pas trop de celui du cinéma. Plus précisément, profitant de ce facteur 2, et la bande passante étant limitée, donc pour des raisons de simplicité technique et d'économie, on décida de transmettre non pas 25 images par seconde, mais 50 demi-images par seconde (resp. 30 et 60) : chaque image complète est analysée en quelques centaines de lignes : l'une des demi-images est constituée par les lignes paires, et l'autre par les lignes impaires. Ces demi-images ont reçu le nom de trames (fram ), et la technique elle-même a reçu le nom d'entrelacement (interlacing), car chaque image complète est constituée de 2 trames successives entrelacées.

Un problème surgit immédiatement : lorsqu'on transfère un film en vidéo, chaque image du film est transformée en 2 demi-images, deux trames. L'image 1 est transformée en trames A1 et B1, l'image 2 en A2 et B2, et ainsi de suite. La suite des images du film s'écrit donc A1B1A2B2A3B3... Mais si l'on décide de revenir aux images de départ, rien ne permet de caler indubitablement quelle est la première trame: la paire, ou l'impaire? Il n'y a donc qu'une chance sur deux pour que l'image 1 recomposée soit égale à A1+B1, l'image 2 à A2+B2, etc.
On peut tout aussi bien se retrouver avec des images recomposées de la forme A2+B1, A3+B2, A4+B3, etc. Ce n'est pas très gênant si les images sont à peu près identiques. Mais si elles sont nettement différentes, il en résulte des effets de peigne. En défilement continu, il en résulte des effets de vibration, d'aller-retours entre deux images successives, de dédoublement. Or, comme on sait, certains films expérimentaux jouent énormément sur des successions d'images très différentes les unes des autres: (films à clignotements -"flickers"- , rafales d'images hétéroclites...). L'entrelacement d'images nettement différentes les unes des autres est bien visible en projection, et plus qu'incommode pour les retravailler image par image. Mais ce n'est que depuis peu que l'on peut numériser un film en mode non entrelacé (progressif) 9 .



A.4- Vitesse

La vitesse standard des projections de films est en général de 24 images par seconde, mais parfois 16 ou 18 i/s pour les films anciens ou de petit format. Pour les transférer sur bande vidéo, à 25 ou 30 images/seconde, il faut donc soit accepter une accélération du film, soit rajouter des frames ou des images complètes entre les images originales du film. On connaissait déjà le problème pour faire des copies contemporaines à 24 i/s de ces films à 16 ou 18 i/s : usuellement, on redoublait une image sur deux, d'où l'aspect saccadé des vieux films.

Le passage en vidéo est plus compliqué, surtout s'il s'agit de passer de 24 ou 25 i/s à 30 i/s, ou réciproquement. Il n'y a pas de solution simple à ce problème 10

Le problème ne se pose pas du tout en infographie : lorsqu'on constitue un fichier informatique vidéo (un "film infographique") à partir d'une suite d'images séparées, la vitesse de défilement est fixable ad libitum. Le mieux serait donc semble-t-il de numériser le film image par image (scanning et non pas télécinéma), de façon à constituer un quasi-original, et de procéder ensuite aux traitements informatiques les plus adaptés à l'objectif visé




A.5- Etalonnage (rendu de couleurs, intensité lumineuse, contraste et colorimétrie)

Les films expérimentaux jouent souvent sur le contraste, la sous- ou la sur-exposition. Ils poussent la pellicule à ses limites. Sur la plupart des caméras et appareils photo numériques usuels, il n'est pas possible d'agir finement sur les réglages des capteurs, qui ont été calculés pour des éclairages "normaux", moyens, et réagissent plutôt mal à tout ce qui n'est pas "lumineusement correct". Les zones sous exposées deviennent noires, les zones sur-exposées deviennent blanches plus ou moins colorées.

La dynamique du film est supérieure à celle de l'image vidéo, et en informatique, numériser sur 8 bits est insuffisant.

Il n'y a pas de solution simple à ce problème, hormis de faire plusieurs passages avec des réglages différents selon les problèmes rencontrés, et de reconstituer ensuite le quasi-original par montage, incrustation, etc. De toute façon, en bout de chaîne, chez l'utilisateur final, le film numérisé aboutira souvent sur un téléviseur ou un écran d'ordinateur quelconque, qui ne sera pas étalonné, et dont la qualité d'image ne sera pas toujours optimale.



A.6- Restauration

Pour restaurer un film, il faut le retravailler image par image (nettoyage des poussières et rayures, restauration des couleurs virées, rétablissement du rythme, etc...). Là encore, il vaut mieux partir d'un fichier infographique qui soit la copie la plus fidèle possible du film-pellicule d'origine, qu'à chaque image du film sur pellicule corresponde une et une seule image infographique, autant que possible sans ajout, compression ou suppression d'aucune sorte. Ce qui permet aussi éventuellement le retour sur pellicule quasiment à l'identique.

Certains actes élémentaire de restauration peuvent être automatisés (élimination des scratches, rayures et poussières, égalisation de la lumière, stabilisation...) mais dans certaines limites seulement 11 . L'intervention humaine nécessaire se chiffrera en une quantité d'heures de travail, et donc un coût, non négligeables..



A.7- Compression

Les volumes de données mis en jeu par le cinéma numérique sont énormes par rapport à ceux mis en jeu par le texte, ou même par le son. Dans leur Rapport final sur " La numérisation de l'industrie du cinéma ", Olivier Bomsel et Gilles Le Blanc notent que :

Ce qui distingue, notamment, le cinéma des autres biens informationnels, c'est l'exceptionnelle densité des informations contenues dans un film : une douzaine de terabits (douze mille milliards de bits) pour un film long-métrage en 35 mm, soit l'équivalent d'un million de séquences musicales MP3 ou de l'ensemble de la Bibliothèque du Congrès. Difficile de dire s'il existe un lien entre cette densité et la puissance émotionnelle du cinéma, mais ce qui est sûr, c'est que le film de cinéma présente au spectateur, dans un temps limité, plus d'informations, et donc plus d'atomes de sens qu'aucun autre support matériel connu. "

( http://www.cerna.ensmp.fr/Documents/OB-GLB-Cinema-Rapport.pdf )

En définition télé standard, de l'ordre de 720*576 (correspondant rappelons-le à peine au super-8mm), il faut compter 2 gigas par minute (4 fois plus pour le 16mm, et plus de 16 fois plus pour le 35mm ; quant au 70mm, n'en parlons pas, le cinéma expérimental, presque toujours artisanal et désargenté, n'y a pratiquement jamais touché).

Pour manipuler, transmettre, distribuer de tels volumes, il est souvent souhaitable et même nécessaire de les comprimer (le débit d'un DVD est au maximum de l'ordre de 9 mégas par seconde (8 pour l'image et 1 pour le son). Malheureusement, les compressions sont souvent destructrices (on ne peut pas remonter à l'image originale), et peuvent générer des artefacts lors de traitements ultérieurs.

Lorsqu'on veut constituer des quasi-originaux, il convient donc de n'effectuer qu'un minimum de compression, la moins destructive possible, et le plus tard possible.

La compression MPEG est adaptée au cinéma (et à la télévision) dominants, prévisibles - les gens qui font un cinéma imprévisible ont donc des difficultés.




A.8- Archivage et stockage

Une fois le quasi-original mis au point, sans compression, on l'a vu, les volumes se chiffrent en dizaines de gigas. Un DVD-rom est insuffisant, sauf pour les films de courte durée ; il faudra donc stocker sur disque dur, ou sur bande.

Par ailleurs, un film transformé en fichier informatique est virtuellement éternel... mais pas son support. Les disques durs comme les bandes ont une durée de vie limitée, il faut donc multiplier les sécurités (recopies à l'identique), et les étager dans le temps

Finalement, si l'original est en bon état, on en vient à se demander s'il ne serait plus simple, meilleur marché ou pas tellement plus cher, d'en rester au support film pour l'archivage : le tirage d'une nouvelle copie film de bonne qualité permettrait d'attendre quelques dizaines d'années de plus que l'infographie se stabilise.








B.- Diffusion

Depuis les années soixante, la plus grande partie du cinéma expérimental est en 16mm (de même que le cinéma ethnologique, scientifique, documentaire en général...). Or, la possibilité de projection en 16mm est de plus en plus rare, et encore plus en salle : le parc de salles équipées en 16mm est en constante diminution depuis les années 80, et tend de nos jours vers zéro. En contrepartie, la puissance et la qualité des vidéoprojecteurs s'améliorent régulièrement, cependant que leurs prix décroissent ; leur puissance de feux reste cependant inférieure à celle des projecteurs de cinéma, et ne convient qu'aux salles petites ou moyennes 12

La plus grande partie de la diffusion dans l'avenir passera donc par ces moyens, et de plus en plus à partir de fichiers infographiques plutôt qu'à partir de bandes magnétiques. Il en résulte que ces visionnements tiendront souvent plus de la consultation individuelle que de la projection très collective. Pour cette raison, et pour quelques autres déjà mentionnées, il restera souhaitable de pouvoir revenir au support film à partir des fichiers infographiques quasi-originaux ; mais les fichiers destinés à la diffusion seront évidemment compressés

On commence à voir apparaître des tentatives de diffusion du cinéma expérimental sur support numérique, en ligne ou hors-ligne. Citons-en quelques-une

Il y a aussi quelques diffusions TV (sur ARTE, et donc en TNT, l'émission La Nuit - http://www.arte.tv/fr/art-musique/die-nacht-la-nuit/L-emission-et-l-equipe/261180.html  ) ou en ligne ( http://www.plastic-tv.com/index.php ) 15 .

Signalons aussi une tentative de nouveau format de diffusion, différent de l'AVI et du Quicktime : Matroska (du russe matriochka, poupées russes gigognes - http://www.matroska.org/index.html , http://www.matroska.org/index.html.fr , http://www.commentcamarche.net/video/mkv-matroska.php3 , http://matroska.free.fr/downloads/shellextension/ ).

Enfin, en supposant réglés les problèmes de la numérisation, et une fois constitués les quasi-originaux, continuera à se poser un problème de fond, qui n'est pas près d'être réglé : celui de la documentation, de la description et de l'indexation du contenu des films...





1.2.- Intervention de Pip Chodorov

Pip Chodorov On a des centaines, des milliers de films qui s'entassent, et on arrive à l'ère numérique où tout le monde veut voir ça sur ordinateur. Il y a une grande partie des films pour lesquels - pourquoi pas ? Mais il y a un certain nombre de films qui sont très fragiles par rapport à la traduction vers l'image électronique, qui ne peuvent pas être traduits

Il y a de grandes différences entre l'image photochimique et l'image électronique, entre les grains et les pixels. Les pixels sont réguliers et les grains sont disposés au hasard. Le contraste de la pellicule chimique est beaucoup plus étendu que celui de l'image électronique ; avec cette dernière, on perd donc des détails aux deux extrémités de la gamme, dans les zones très claires ou très sombres. La lumière n'est pas la même : avec un projecteur cinéma les noirs sont noirs et les blancs sont blancs, ce qui n'est pas le cas avec un projecteur électronique.

Il y a aussi des différences plus sémiologiques : un projecteur de cinéma nous présente 24 fois par seconde une image entière ; c'est donc un espace qui crée le temps. Alors qu'avec un projecteur électronique, c'est un point qui balaye un écran phosphorescent, c'est un point qui bouge dans le temps et qui crée l'espace. Ce sont deux approches différentes pour créer une image sur un écran.

Je suis arrivé au problème parce que j'ai démarré il y a une dizaine d'années une activité d'éditeur et de distribution de cassettes vidéo de films expérimentaux 16 . On ne pouvait pas trouver ces films auparavant. Des cinéastes comme Brakhage, Bokanowski, Deren, etc, ont travaillé le cinéma comme on travaille les arts plastiques. Lorsqu'un peintre fait un tableau abstrait, non figuratif, on ne va pas dire que c'est un peintre expérimental ; alors que pour un cinéaste, si on fait un film abstrait, on est tout de suite relégué dans un zone très marginale qu'on appelle cinéma expérimental. C'est une sorte de no man's land.

On ne trouvait pas ces films à la FNAC. Je suis donc arrivé à la FNAC avec des cassettes vidéo : au début, ils n'en voulaient pas, et comme ça s'est vendu un peu, ils ont fini par en prendre... Il y a trois ou quatre ans, la FNAC n'a plus voulu de cassettes ; ils ne veulent plus que du DVD. Personnellement, je trouve que le DVD est beaucoup trop compressé pour ces films, je ne vais pas les faire, et donc, du coup, les films sont devenus moins visibles ; on est de nouveau marginalisés, parce que le monde a adopté un support moins bon, qui rend moins bien compte de toutes les astuces que ces cinéastes ont essayée

Voici différents sites vous donnant des précisions sur les différences entre pellicule cinéma et image vidéo 17 , les différences de contraste (la pellicule est beaucoup plus dynamique) 18 , la résolution et l'acuité de l'oeil 19 . Et voici des comparatifs 20 entre le DVD standard actuel, le BlueRay (Sony et Philips, sorti au Japon il y a quatre ans) et le DVD Haute Définition (HD DVD , de Toshiba-Microsoft), qui sont les successeurs annoncés du DVD. On voit par exemple que le DVD peut stocker sur une couche environ 5 gigas, et leBlueRay 25 - cinq fois plus ; le débit est de 11 mégabits par seconde pour le DVD, et 37 pour le BlueR 21 . Avec ces nouvelles techniques, on s'approche de quelque chose de correc

Prenons comme premier exemple le film de Jeff Scher intitul&eacut; Yours, qui date de 1997.

Ce film est deux choses à la fois :

- c'est du found footage, c'est à dire de la pellicule récupérée, un vieux film de 1945 qui a été retravaillé ;

- et c'est un film de peinture, non pas sur pellicule, mais sur papier, refilmée image par image.

Jeff Scher a pris les noirs et les blancs du vieux film comme deux masques, il a rempli les noirs avec un film de peinture A, et les blancs avec un film B. C'est très rapide.

Examinons image par image les tests d'encodage sur DVD : on voit tout de suite de gros problèmes. Dans cette zone bleue, c'est le même bleu partout, alors que dans le film, ce sont des bleus différents. Dans les zones très compressées, on voit des rectangles, des macroblocs, alors qu'il n'y a pas de rectangles dans le film.

Passons maintenant une copie VHS du même film : la couleur est beaucoup plus intense, il n'y a pas de problèmes d'artefacts ni de macroblocs.

Enfin, projetons le film 16mm : on voit bien que ce n'est pas exactement " le même film ".

Ce film n'est pas fait pour la compression, parce que le MPEG a été inventé pour des images prévisibles, naturelles, pour des mouvements. Considérons par exemple un camion qui traverse le champ : à partir d'une image, l'ordinateur va pouvoir prévoir la suivante, et puis encore la suivante. On obtient des GOPs, des Groups Of Pictures, des groupes d'images, à l'intérieur desquels, entre deux images-clés, il n'y a que des images prédites

Dans un film comme celui de Jeff Scher, on ne peut pas prévoir, parce que c'est complètement différent d'une image à l'autre. Regardons très agrandie la bande-film par transparence en rétroprojection : on voit bien que toutes les images sont complètement différentes les unes des autres. Et donc, ce n'est pas compressible. C'est un projet cinématographique qui est antinomique à la compression. Si le DVD ne peut pas en rendre compte, et si je veux faire une édition grand-public que l'on trouve à la FNAC, qu'est-ce que je peux faire ? En attendant le Blue-Ray, j'en reste au VHS, parce que toutes les images sont là. Ce n'est pas le meilleur format, mais c'est comme une photocopie d'un tableau...

Voyons un autre exemple : j'ai fait des tests de transcription sur DVD d'un film de Rose Lowder. Dans ce film, Rose Lowder, qui tourne avec une Bolex image par image ; tourne dans trois lieux différents ; dans le premier lieu A, elle prend une image sur trois : 1, 4, 7, 10, etc. Puis elle rembobine la pellicule et se rend en un autre endroit, le lieu B, où elle recommence avec un décalage d'une image : 2, 5, 8, 11, etc. Et enfin, elle recommence pour le lieu C, en se décalant encore d'une image : 3, 6, 9, 12, etc. Le résultat, ce sont trois scènes différentes, dans trois temps différents, ABCABCABCABC etc, qui se superposent sur la rétine.

Mais pour la compression numérique, c'est évidemment très mauvais.

Si on examine image par image, on voit très bien qu'il n'y a pas de nuances de couleur, il n'y a que trois bleus différents dans le ciel, il y a de gros carrés, des artefacts ; des macroblocs, pas de détails dans les ombres, ni dans les zones claires, il y avait trop d'information dans le film original.




1.3.- Discussion

XXX- intervenant non identifié du fond de la salle.- Y a-t-il des moyens d'analyse de l'image en tenant compte des intentions originales du créateur ? un peu comme on analyse une peinture ?

Pip Chodorov.- Dans les laboratoires, on peut très bien tout capter. En 4k, chaque grain de la pellicule est couvert par 8 ou 12 pixels. Mais on ne peut pas le transmettre au consommateur. Même pas en haute définition : le Blue Ray contient 5 fois plus de données que la définition standard du DVD, il est 5 fois plus rapide, mais les fichiers sont aussi 5 fois plus lourds. Je serai peut-être contraint de faire des films en SD sur la technologie HD....

Jean Moskowski (SuporFilm) Qu'est-ce qui oblige à compresser les images ? Ce sont des films assez courts, on peut en mettre moins sur un DVD, ne pas les compresser, et les visionner avec les outils qui maintenant sont standard sur les machines, sans passer par un lecteur de salon.

Pip Chodorov On est limité par le débit du DVD-vidéo.

Jean Moskowski.- Je ne pensais pas au DVD-vidéo, mais au DVDrom.

Pip Chodorov.- Ca, c'est autre chose. Mais ce n'est pas un format pour le consommateur. J'ai envisagé de vendre des disques durs. Mais je me suis dit qu'il n'est peut être pas souhaitable de diffuser un produit qui est aussi bon qu'un master..

Jean Moskowski.- On retrouve des exigences du même ordre dans l'archivage des films très abîmés : contrairement à ce qu'on pourrait penser, plus un film est abîmé, plus il va être difficile à compresser, puisque les altérations ne sont pas prédictibles.

Pip Chodorov.- La meilleure façon de stocker en non-compressé, c'est sur pellicule. Un film noir et blanc peut espérer durer 200 ans... Le problème n'est pas là, le problème est que plus les technologies progressent, plus c'est de pire en pire. On voit bien qu'entre le disque vinyl, le CD-audio et le mp3, il y a un problème. Entre la cassette Beta, le VHS et le DVD, il y a de moins en moins d'information, et on dit que c'est nouveau, c'est meilleur. C'est un lavage de cerveau.

XXX- intervenant non identifié du fond de la salle.-Mais le vinyl, ça marche très bien ; c'est même mode, tendance...

Pip Chodorov.- Techniquement, le vinyl est meilleur, même si la plupart des gens n'entendent pas la différence. Et l'oeil est encore plus difficile que l'oreille. On voit les problèmes. Les couches sensibles de la rétine sont composées de cônes et de bâtonnets 22 , qui sont beaucoup plus sensibles et nombreux que les pixels ou les grains de la pellicule. On peut calculer qu'il y a dans chaque oeil l'équivalent de 320 mégapixels 23 , alors qu'il n'y en a que 6 dans un appareil photo numérique... Et derrière, il y a dans le cerveau des systèmes de neurones qui analysent le champ visuel en termes de mouvements, de contours, de reconnaissance des objets. C'est à ce niveau-là que se créée l'illusion du mouvement : le spectateur crée des ponts entre les images pendant les noirs 24 fois par seconde. On a des quantités de neurones qui agissent en parallèle, c'est beaucoup plus complexe et tout à fait différent de la compression MPEG.
Après le BlueRay, on devrait avoir des procédés de stockage holographique. Dans 50 ans, le DVD paraîtra aussi primitif que les films de Méliès nous paraissent aujourd'hui. Fin 2002 j'ai publié un article contre le DVD dans le numéro spécial hiver 2002 des Cahiers du Cinéma " Les 100 meilleurs DVD de l'année ", j'ai hâte de passer à autre chose...

XXX- intervenant non identifié du fond de la salle.- Et la sculpture holographique en mouvement 

Pip Chodorov.- Je n'ai pas trop eu le temps de m'en occuper.

Alain Montesse.- il y a eu des essais, à Saint-Louis.

Intervenant non identifié.- Il y a eu un film russe, aussi...

Alain Montesse.- Mais le problème que soulevait Pip subsiste : même si ça marche dans un labo, à qui le vendre et à quel prix ?

Deke Dusinberre Au delà de la qualité de l'enregistrement, il faut aussi prendre en compte la façon dont l'image est présentée au spectateur : projection cinéma, visionnement VHS ou DVD par projection ou sur petit écran... et ce dispositif de re-présentation joue énormément, on en a eu ce soir la démonstration éclatante.

Pip Chodorov.- Certains artistes s'en fichent éperdument, ils veulent que ce soit projeté, peu importe comment, et moi, ça me gêne beaucoup, parce que c'est moi qui dit non.

Alain Montesse.- Il y a quelque chose que nous n'avons pas vu, mais nous ne devrions pas être déçus du résultat, c'est : que reste-t-il de ce que nous sommes en train de faire à l'autre bout du réseau, diffusé en RealMedia ? Cela fait aussi partie de l'expérience.

Pip Chodorov.- La Fondation Cartier m'a demandé s'ils pouvaient projeter les films de Oskar Fischinger lors d'une soirée, en Beta. J'ai dit non, parce que la famille Fischinger, que je connais bien, n'est pas du tout d'accord ; par contre, le film est facilement disponible en 16mm à Paris, ce n'est pas moi qui le loue, il suffit d'appeler la coopérative Light Cone. Ils ont dit non, on ne va pas projeter en 16mm, on n'a pas ce qu'il faut. J'ai proposé de venir faire la projection en amenant le projecteur, ils ont dit non, dans cette soirée, on veut juste lancer une cassette - en fait, ils avaient le projecteur 16mm, mais ils n'avaient pas envie de changer de format. J'ai dit " dans ce cas, ne montrez pas Fischinger "
C'est aussi la mentalité des gens, ils connaissent peut-être l'histoire de la peinture, mais pas celle du cinéma, ils n'ont pas l'idée de projeter ça comme il faut. Moi, je me bats tout le temps pour cela, même si c'est contre mes propres intérêts, je fais l'effort de me déplacer avec le projecteur alors que je pourrais vendre beaucoup plus mes cassettes. Le public n'y est pour rien.

Jean Moskowski.- Le seul intérêt de la numérisation pour l'instant, en l'état actuel de l'art, c'est la consultation documentaire. Mais pas la présentation de l'oeuvre d'art dans sa plénitude.

Alain Montesse.- La numérisation soignée a aussi une autre utilité, c'est que nombre de ces films n'existent qu'en un seul exemplaire. Security first

Pip Chodorov.- On a fait des centaines de cassettes du film de Jeff Scher qu'on vient de voir, mais je refuse de faire un DVD. Alors que Jeff, il a fait un DVD, qu'il vend très cher - 1000$ - dans une galerie. Mais il n'en a fait que 10. C'est du marketing pour le marché de l'art ; je lui dis " ce n'est pas bon, ton film n'est pas fait pour le DVD ", il dit " bon, ces gens veulent acheter, je m'en fous ; c'est vrai que ce n'est pas beau, mais qu'est-ce que tu veux... ". On est dans une logique à l'envers, où des gens sont prêts à payer plus cher pour des choses moins bonnes. Moi, je vends des VHS, pas des DVDs, je vendrai des BlueRay dès que possible, je fais faire des numérisations HD qui sont beaucoup plus chères, je dois trouver l'argent, je n'ai pas le choix...



Alain Montesse.- Jusqu'à présent, nous avons surtout parlé de choses déjà existantes. Concluons sur la création. Le cinéma expérimental a été en grande partie rejeté dans les limbes et l'underground par le développement de la vidéo et la disparition progressive du 16mm. Toutefois, depuis quelques années (depuis le commencement du déclin de la vidéo ?), il semble reprendre de la vitalité.
Mais considérons spécifiquement la création numérique par rapport au cinéma expérimental.
Considérons les films interactifs ; je ne pense pas qu'il y en ait eu beaucoup en cinéma expérimental...

Pip Chodorov.- Si, les films lettristes. La pellicule compte pour très peu, ce qui compte, c'est l'imaginaire des spectateurs, c'est la séance, c'est le partage, c'est la générosité de donner l'acte créateur au spectateur...

Alain Montesse Si l'on a pu connaître dans les années 90 quelques CD-roms de création, essentiellement de la part de musiciens (Residents, Peter Gabriel, Prince...), il est symptomatique qu'on n'ait pas encore vu apparaître de DVD de création. La quantité de données à créer et organiser est telle que l'on n'a pas encore trouvé mieux que d'y mettre des films déjà existants, éventuellement agrémentés d'un emballage et de quelques bonus.

Finalement, à y bien réfléchir, un film réellement interactif n'est plus un film   : c'est un jeu.

Autre chose   : la plus petite unité de pensée dans le cinéma traditionnel, ça a été la scène, puis le plan. Dans le cinéma de trucage, ça a été les différentes couches, les différents calques ou laye dans les logiciels de composition d'image. Et ce vers quoi on s'achemine avec le numérique, c'est que la plus petite unité de pensée va être le pixel. On voit la quantité de travail s'il faut penser chaque pixel d'un film un par un.

Il y a quelques   années, avec l'apparition du logiciel Flash, on a eu toute une floraison de petits films, avec même un festival en ligne ( http://www.fififestival.net/ ) 24 . Au départ, Flash était un logiciel d'animation enrichie de fonctions de programmation : les éléments à animer pouvaient être unis d'un script leur disant quoi faire. Il a depuis étendu ses capacités à la prise en charge d'images " réelles ", et sert actuellement à mettre en ligne tout et parfois n'importe quoi sur YouTube ou DaylyMotion.

Encore autre chose   : parmi les héritiers du cinéma expérimental, il me semble qu'il faut mettre au premier rang les gens qui font du VJying, les video-jockeys. Leur activité se développe pleinement lors des séanceslive, en temps réel, mais on en trouve des exemples et des retombées en ligne 25

Pip Chodorov.- C'est très pixellisé ; ils jouent avec la pixellisation. Jusqu'à présent, on était dans une optique à la Walter Benjamin : l'oeuvre d'art et sa reproduction. Mais ça, c'est autre chose.

Alain Montesse Enfin, quelque chose va peut-être venir du côté des téléphones portables. Ils commencent à intégrer des caméras, et on va peut-être bientôt avoir quelque chose qui sera au numérique ce que les caméras légères, à main, 16mm, multi-fonctions, ont été au cinéma expérimental argentique. Il y a déjà un festival de films tournés avec des téléphones portables, Pocket-Films, créé à l'initiative de Benoît Labourdette, qui malheureusement n'a pas pu venir ce soir 26 ...

On fera le point sur tout cela l'année prochaine 







2.- Seconde visioconférence du 15/5/2007

( http://alain.montesse.free.fr/kinumexp/ct070515.rm )


2.1.- introduction d'Alain Montesse

Alain Montesse.- Je répète brièvement ce que j'ai déjà dit l'an dernier : le cinéma a toujours été expérimental, ça a toujours été un jouet plus ou moins scientifique, et ce qu'on appelle cinéma n'est qu'un sous-produit commercial du cinéma expérimental, et pas l'inverse. Se poser des questions sur la numérisation du cinéma expérimental, c'est se poser les questions les plus fondamentales à propos du cinéma en généra

Depuis l'an dernier, pas grand-chose de nouveau sur le front des techniques de numérisation : on en est toujours à numériser sur 8 bits par couleur, ce qui est très insuffisant, le Blu-ray et la HD sont loin d'être généralisés, l'entrelacement est toujours un cauchemar... Quelques petites choses nouvelles à signaler toutefois :

L'an dernier, j'avais cité, entre autres exemples, le DVD du Cinéma Différent édité par Lowave ; j'ai depuis trouvé en ligne les commentaires de Stéphane Marti :

Objectif Cinéma : Comment voyez-vous l'avenir du cinéma expérimental avec l'arrivée de ces nouvelles technologies comme le DVD ?
Stéphane Marti : Pour le cinéma expérimental, le DVD ne paraît pas encore au point. Dans certains films de cette catégorie, en source argentique, on décèle souvent énormément d'informations visuelles sur un seul et même plan, voir même sur une suite de quelques photogrammes (gestuelle frénétique de la caméra, contraste violent des lumières, interventions plastiques, etc.) et la compression en DVD est loin d'être performante. Ce qui n'est pas le cas avec des films plus " classiques ". Pour l'instant nos transferts en BETA puis en copies mini-DV ou VHS sont très corrects et les plus fidèles possible de la source. Pip Chodorov, premier éditeur de films expérimentaux en transfert vidéo, envisage bientôt de basculer sa collection sur un nouveau système de compression DVD, le Blu-ray [Disc]. Voyons donc... Quoi qu'il en soit, je vous rassure, le DVD du collectif, dont certains films sont déjà tournés en numérique est de bonne qualité.
 " 28

Bien, nous voila rassurés.




2.2- Intervention de Dominique Willoughby

Dominique Willoughby.- Je vais me servir d'un média classique, la paro (rires dans l'assistance). Au démarrage, je suis cinéaste expérimental, je suis enseignant au département cinéma de l'université Paris-8 à Saint-Denis, et je m'occupe d'une association, Cinedoc, qui depuis une trentaine d'années conderve, recherche le patrimoine du cinéma expérimental, le diffuse, le restaure - et récemment, nous avons tenté l'aventure de l'édition DVD. J'ai édité en 2005 la première édition vidéo des oeuvres d'Alexandre Alexeïeff, et l'an passé, j'ai fait un DVD des oeuvres de Norman McLaren.

Il faudrait un semestre entier de conférences pour faire le tour des question actuelles sur le cinéma expérimental et la numérisation, je vais essayer de résumer la situatio

Le cinéma expérimental est apparu, du point de vue artistique, dans les années 1920, avec l'avant-garde. Les origines expérimentales, scientifiques, du cinéma remontent au début du XIXème siècle : l'expérience de la farine sur une plaque vibrante remonte à Faraday, or Faraday est partiellement à l'origine du cinéma, puisque c'est lui qui a montré qu'une roue à fentes qui tourne, vue dans un miroir à travers ses fentes, a l'air immobile ; c'est l'illusion dite " roue de Faraday ".

On est donc sur deux axes distincts, artistique et scientifique. Il y a pourtant un point de coïncidence, puisque les gens qui travaillent aujourd'hui à traduire les oeuvres anciennes en numérique se posent presque des questions de cinéastes expérimentaux : ils reviennent à l'image par image, à toutes les informations qui constituent un film : est-ce qu'on privilégie le mouvement, est-ce qu'on privilégie la définition de l'image ? On est entre ces questions quand on fait de l'édition DVD.

Il y a plusieurs problèmes qui se superposent.

Il y a un problème de sauvegarde d'un très important patrimoine, qui n'est pas résolu parce qu'on n'a pas, dans le cinéma expérimental, les moyens financiers nécessaires. Les technologies existent : on pourrait scanner, en très haute définition, et revenir au film, comme on le fait pour les films industriels à effets spéciaux, 35 et même 70mm. De nos jours, on se détourne de la restauration traditionnelle, argentique, même si les Archives en font encore. Considérons la restauration d'une publicité en animation d'Alexeïeff des années 30 : elle durait environ 3 minutes, et la restaurer en argentique coûterait une fortune. Potentiellement, on pourrait le faire dans la filière numérique, mais ce ne sont pas des films qui génèrent un flux financier suffisant pour trouver des investisseurs ; les mécènes n'existent plus, ils placent leur argent dans l'art contemporain, il n'y a plus de vicomte de Noailles pour financer les films de Man Ray.

Le problème de la restauration est lié à celui de la conservation. Notre collection est principalement en 16mm, on est centrés sur tout sur les cinéastes des années 60-70, le 16mm est un format en voie d'obsolescence, c'est difficile de projeter et les gens ne savent plus le faire, c'est beaucoup moins pérenne et ça va disparaître beaucoup plus vite que le 35mm.

Il y a aussi un problème de diffusion, de transmission. Supposons les films scannés en haute définition, ils sont là sur leurs disques durs, c'est une étape nécessaire. Maintenant, qu'avons-nous comme supports de diffusion ? il y a le DVD SD, standard definitio , et potentiellement le DVD HD, qui va arriver... sauf que les prestataires attendent : personne ne veut investir dans des machines qui coûtent des millions d'euros sans savoir quelle va être la vraie filière. Il y a de grands groupes industriels qui investissent à perte pour essayer d'emporter le morceau, on en est actuellement à trois formats - oui, il y en a un troisième qui est apparu...

Il y a aussi le gros problème de l'internet : il y a quelque temps, en lançant des recherches comme nous le faisons régulièrement, nous sommes tombés sur un site belge, avec un garçon très sympathique, qui a recopié tout notre DVD d'Alexeïeff, qui a pris mes textes et les a mis en ligne, et qui a dit "  allez-y, vous pouvez télécharger, c'est bon ". Dès l'instant qu'on édite un DVD, on est instantanément piraté. Non seulement on n'arrive pas vraiment à gagner de l'argent, mais en plus on alimente à perte des gens, très sympathiques au demeurant, qui se présentent comme des sortes de Zorros modernes... La diffusion genreYouTube a son utilité : je travaille en ce moment à l'université sur l'avant-garde des années vingt, j'ai un doute sur un film de Ruttman, je le trouve sur YouTub en basse définition, c'est de très mauvaise qualité, mais comme j'ai beaucoup vu les films en 35mm, je me le remets en mémoire ; c'est un peu comme une mauvaise photocopie de travail pour un tableau, ça peut rendre service

En termes de conservation, nous sommes arrivés à la conclusion que pour le 16mm - pas pour le 35 -, la numérisation en haute définition vidéo, sans compression, serait un support de conservation intermédiaire acceptable : la définition n'est pas trop éloignée de l'original. En termes de restauration, il est vrai que, grâce au calcul, on a des possibilités sans comparaison avec ce que l'analogique et l'argentique permettaient. On peut détecter des points qui n'apparaissent qu'une fois dans une séquence. Au niveau de la correction colorimétrique, et sous réserve que l'on ait un opérateur qui ait la connaissance de l'oeuvre, même si l'on n'a plus que des traces infimes de densité chromatique dans certaines zones, on peut par le calcul reconstituer les valeurs originales - ce que l'argentique ne permet pas.

Premier exemple  : pour le DVD d'Alexeïeff, on a retrouvé une publicité pour des cigarettes, où les cigarettes battaient comme des baguettes de tambour sur un paquet de cigarettes : les cigarettes étaient animées image par image. On a fait une première passe avec un logiciel de détection de défauts qui n'apparaissent que sur une seule image - logiciel qui s'appelle l'Archangel et fonctionne en temps réel - : on a passé le film, et il a effacé toutes les cigarettes.

C'est là que l'expérimental rencontre les limites de la prédictibilité.

Tous ces systèmes sont conçus pour des mouvements de caméra, de personnages, etc.,. relativement cohérents. Mais comme le cinéma expérimental a travaillé sur les limites des mouvements et de la définition du cinéma - il y a l'exemple dadaïste de Man Ray, qui avait saupoudré un film avec du sel, du poivre et des épingles, ce qui produisait une sorte de mouvement brownien, il n'y a pas de mouvement réel enregistré, mais un mouvement apparent pour le spectateur qui est un pur produit psychique, en fait - tout ce genre de film ne passe absolument pas dans ces logiciels, on revient toujours à un travail à la main, image par imag

Ce problème du mouvement est à mon avis le problème numéro 1 de la compression. La compression à l'intérieur d'une image est toujours basée sur la redondance : on va chercher des pixels de même couleur et contigus ; cela peut être tolérable. Par contre, la compression MPEG, qui est basée sur la prédiction et la rétroprédiction, pose problème. Une des définitions du cinéma expérimental pourrait être d'explorer tous les mouvements de synthèse : des mouvements non pas existants, mais inventés. Or, tous les systèmes actuels de compression travaillent sur des mouvements réalistes.

L'idéal serait d'arriver à ce que, provisionnellement, on numérise ces films-là avec autant d'image dans le fichier qu'il y a d'images sur le ruban argentique ; ainsi, on ne dénaturerait pas les effets, les sensations de mouvement qui sont le nerf esthétique du cinéma expérimental. Man Ray voulait un mouvement incohérent, il a eu un mouvement incohérent ; Michael Snow dans Wavelength voulait un très long, très lent glissé de 45 minutes - il ne faut pas toucher à cela. Mais cela représente un segment économique trop insignifiant pour que les industriels se penchent vraiment sur la question ; il reste des chercheurs, des bénévoles, des passionnés pour s'en occuper.

Autre exemple  : Une autre publicité d'Alexeïeff avait subi le syndrome du virage magenta : toute la couleur avait disparu, à l'exception du magenta. Il restait des traces infimes de différenciation chromatique. On utilisé un logiciel d'étalonnage, qui s'appelle Da Vinci (plus on s'éloigne de la Renaissance et plus il faut baptiser les logiciels de noms de peintres de la Renaissance...). On a réussi à retrouver un point blanc, et aussi un point bleu (c'était un paquet de Gauloises, je m'excuse, je n'ai aujourd'hui que des exemples fumeurs..). Ayant retrouvé deux points chromatiques, on a retrouvé toute la gamme ; et là, ça a été extraordinaire parce que pschht, par le calcul, on a ramené cette image magenta à quelque chose de très proche de la couleur originale. Bien sûr, on était en définition standard, mais j'estime qu'avec ce DVD, quelqu'un qui a un bon lecteur et un bon écran a une idée des films d'Alexeïeff à 80% valable. Alors qu'avant, ne circulaient que de vieilles VHS sous le manteau, NTSC, à 30 images par seconde...

Nous avons eu le soutien du CNC : en France, il y a un petit souci patrimonial qui n'est pas encore abandonné - je ne sais combien de temps cela va durer. Je travaille avec des éditeurs anglais qui en sont très jaloux, eux, ils doivent tout faire à la débrouille, avec des sponsors...

Et je vais terminer sur un dernier exemple, transatlantique. En 1954, Norman McLaren avait un film intitulé Blinkity Blan . C'est un film intermittent : il a gravé sur une pellicule noire, mais seulement une image de temps à autre : disons une image gravée, puis trois photogrammes noirs, puis deux images gravées différentes, puis six photogrammes noirs, et ainsi de suite. C'est un film basé sur l'augmentation de l'intermittence qui est constitutive du cinéma. Les Canadiens ont publié un coffret, une édition intégrale, qu'ils ont restaurée sur place, là bas chez eux, et nous, nous avions une licence pour faire une édition limitée en Europe, une sorte de best- . Je voulais faire une édition en PAL, qui a un peu plus de lignes et donc davantage de définition, et qui a un débit de 25 images par seconde, donc qui est beaucoup plus proche des 24 images/seconde du cinéma que les 30 images/seconde du NTSC. Ils nous ont envoyé des versions restaurées de ce film, Blinkity Blank, en Béta numérique, et là, on a vu des fantômes : il y avait des interpolations d'une image à l'autre : pour passer de 24 images/seconde à 30, toutes les 3 images, on fait une image en fondu enchaîné. Il n'était pas question pour nous d'utiliser cela. Par contre, sur leur édition DVD, ils avaient obtenu des images parfaitement tranchées : quand on regardait image par image, c'était parfait. Ils voulaient garder pour eux leur encodage, qui est un gros travail, et nous faire faire un travail quasi-impossible, qui aurait été, à partir des copies Béta à 30 images par seconde, de retrouver les 24 images/seconde originelles. Ce n'était pas tout à fait impossible, notre prestataire aurait pu le faire, en mettant un technicien dessus pendant deux mois... Finalement, on a réussi à obtenir les masters MPEG, sur lesquels, en cliquant image par image 24 fois, on avait bien les 24 images différentes du film d'origine.

Alain Montesse.- Juste un détail, sur les rapports en cinéma expérimental artistique et scientifique : tu avais autrefois édité un petit ouvrage sur Jean Painlevé, n'est-il pas ?

Dominique Willoughby.- Oui, dans les années 80. Mais Jean Painlevé est un cinéaste expérimental dans les deux sens. Quand il a fait un documentaire sur la chauve-souris, il a mis du Duke Ellington comme musique - ce qui est plutôt rare pour un scientifique. Il a aussi fait l'un des premiers court-métrages d'animation en volume - Barbe Bleue - en plasticine, en pâte à modeler, qui a eu un destin tragique : le procédé couleur était du Gasparcolor, qu'il fallait envoyer développer à Londres ou aux Etats-Unis, une guerre mondiale est passée par là, le film est resté bloqué en douane... il y a eu récemment un projet de restauration, je crois.

Mais je m'intéresse beaucoup aux origines scientifiques du cinéma. En ce moment, je travaille sur la reconstitution des disques stroboscopiques.du XIXème siècle, c'est à dire l'animation d'avant le cinéma photographique. J'ai fait un film à l'université en 1999, qui s'intitule " Disques stroboscopiques du XIXe siècle ", et je suis en train d'en faire une version numérique.

Finalement, il y a une autre problématique qui s'ouvre aujourd'hui, c'est que le numérique devient un support de création. Nous avons beaucoup parlé de comment faire entrer les anciens contenus dans les nouveaux contenants ; mais on n'a pas encore tout à fait pris la mesure des possibilités esthétiques de ce qui est en train de se passer. Aujourd'hui, je crée directement au format DV sur mon ordinateur, et je tiens compte du fait que ça va se terminer en MPEG. Je travaille dans la lenteur et le fondu, et j'ai intégré une esthétique de l'interpolation et du mouvement très coulé - d'abord parce que ça m'intéresse, et aussi parce que j'essaie d'être en résonance avec les outils dont je dispose à un moment donné. Lorsqu'on a acquis un ordinateur et les logiciels, on a une certaine autonomie de production : je fais directement la reconstitution de ces disques du XIXe siècle via des logiciels d'animation, avec lesquels je peux avoir des cadences, disons exotiques (tel disque est en 13 phases, tec). Nous sommes encore dans une phase intermédiaire où nous sommes prisonniers des cadences héritées de l'analogique, 24, 25, 30 images par seconde, mais je pense que le numérique va permettre à chaque film de générer son propre projecteur. Et là, il y a de l'expérimentation de création à faire. C'est une note d'espoir...

Revenons à la question : comment préserver encore un certain temps les films anciens ? Nous sommes engagés dans un processus sans fin. Autrefois, les peintures étaient liées à la vie à la mort à leur support ; nous, dans le cinéma, nous sommes des nomades du support : il faut transborder sans arrêt. Virtuellement, le codage binaire est impérissable, mais le support ne l'est pas. On pourrait faire comme Kubelka, faire graver dans le marbre tout le code d'un film...

Alain Montesse.- Oui, ou un coup de laser sur des tablettes d'argile, et ensuite on les fait cuire...

Dominique Willoughby.- Soyons ouverts ! (rires)



2.3.- Intervention de Benoît Labourdette

Benoît Labourdette.- Je suis ici à double titre : je suis moi-même réalisateur, et j'ai aussi une société de post production, Quidam Productions, qui fabrique des DVD pour les producteurs, en particulier tous les DVD de Re:voir, la société de Pip Chodorov. Et par ailleurs, je suis ici aussi en tant que coordonateur d'un festival de films tournés avec des téléphones portales, qui s'appelle Pocket Films ; c'est une initiative qui a été proposée par le Forum des Images il y a trois ans, et la troisième édition du festival aura lieu du 8 au 10 juin au Centre Pompidou. Dans une perspective de création, il est étonnant de voir à quel point le téléphone portable est proche du Super-8, aussi étonnant que cela puisse paraître...

Etant moi-même directement engagé dans des processus de compression numérique et faisant de mon mieux pour ces cinémas peut-être un peu difficiles à transmettre parce que ne correspondant pas aux codes qui ont été donnés par les systèmes de compression numérique, je ne serai pas aussi négatif qu'Alain et Dominique l'ont été. Il y a des problèmes qui se posent et des questions à se poser, mais il y a aussi de nouvelles pratiques à mettre en oeuvre. Ce n'est pas tant la technologie qui importe que la façon d'utiliser la technologie. Ce ne sont pas les machines qui permettent d'obtenir des résultats de bonne qualité, ce sont des logiciels et la façon d'utiliser ces logiciels.

Le cinéma narratif, académique, n'est qu'une partie de tout ce que l'on peut faire avec le cinéma, mais malgré tout, le cinéma est avant tout une industrie, et le cinéma expérimental, dans son économie, dans son mode de diffusion, est à la marge de cette industrie. Il n'y a plus de mécènes, et on peut avoir quelques craintes sur l'avenir des financements publics.

La vidéo HD est très proche du 16mm ; le 35mm est plus défini à l'origine, mais regardons par exemple les 3 derniers épisodes deStar Wars : ils ont été tournés en HD (1920 pixels par 1080) : pourquoi ? parce que cela permet une bien plus grande souplesse de traitement, de montage, d'effets spéciaux... et qu'au bout du compte, pour le spectateur, dans la salle, le résultat final est au moins aussi bon qu'une copie optique qui est passée dans son élaboration par plusieurs générations d'internégatif

Nous avons fait il y a deux ans le DVD de la réédition de Mon Oncle / My Uncle, de Jacques Tati. On s'est alors rendu compte que My Uncle n'est pas simplement le doublage de Mon Oncle ; c'est un autre film. Il y a des plans qui sont communs, mais il y a aussi beaucoup de plans différents, qui ont été tournés directement en anglais (les acteurs parlent anglais, ou français avec accent, les éléments de décor portent des inscriptions en anglais, etc). Il y a donc deux films. Jérôme Deschamps, qui a les droits du catalogue Tati, a décidé de restaurer le film My Uncle en argentique,: ça a coûté extrêmement cher, même s'il y a eu des soutiens financiers du CNC et de la Fondation GAN ; il a fallu renoncer à certains points de la restauration - par exemple, les collures sont souvent restées au scotch, ce qui engendre à chaque changement de plans un bref et léger décalage de l'image - ce qui n'était évidemment pas dans les intentions de Tati. Le film My Uncle existe donc sur support argentique ; il est sorti en salles durant l'été 2005, en anglais sous-titré en français, la promotion étant orientée vers le public enfantin ; ça n'a pas marché du tout, les gens n'ont pas compris la nuance, il n'y a eu aucune entrée ou quasiment durant l'été 2005. Par contre, lorsque le DVD est sorti en octobre 2005, ça a été la meilleure vente de la période pour les DVD de patrimoine : 30000 exemplaires vendus en 3 ou 4 mois. A l'époque, je leur avais conseillé de faire un télécinéma HD, mais il ont préféré rester dans la filière de restauration traditionnelle ; et aujourd'hui, on projette My Uncle assez rarement, et on leur demande souvent une copie numérique HD... qu'ils n'ont pas. Tout ça pour dire qu'ils auraient fait tout cela en numérique, ça aurait coûté moins cher et la restauration aurait pu être plus poussée ; on aurait perdu un peu en définition, mais ça répondait aux besoins de diffusion, et un master HDcam SR, c'est quand même très bon.

Les modes de diffusion évoluent ; on n'y peut rien, c'est comme ça. Et finalement, l'enjeu de tout cela c'est quand même de faire circuler des oeuvres. Nous sommes des nomades des supports, et si le support devient numérique, pourquoi pas ?


revoir-signet-fr.gif Autre exemple, notre travail pour les éditions Re:voir de Pip Chodorov - qui met dans tous ses DVDs (c'est moi qui les fais, j'y mets toute mon attention et tout mon coeur) ce message qui ressemble un peu à ce qu'on voit sur les paquets de cigarettes :

Le premier DVD sur lequel il a mis ça était un DVD de Stéphane Marti. Ce sont des films en super-8, en 16mm, ça bouge dans tous les sens, il y a du grain, ça a été un travail énorme, mais sur un bon lecteur, ça fonctionne. Mais l'oeuvre qu'était le film au départ a été complètement triturée, analysée, vectorisée dans tous les sens - il y a une violence, on analyse l'image pour la recomposer, mais au bout du compte, et même si on visionne image par image, on a une reproduction de l'oeuvre bien plus fidèle que ce qu'on a sur une VHS, ça se conserve mieux, ça ne s'abîme pas quand on fait des arrêts sur image...

C'est un peu pourri, le VHS. C'est pour cela que le DVD a eu tant de succès. Il repose sur une norme très stricte, qui a été élaborée en 1994, et cette norme a été élaborée par et pour une industrie qui est celle du cinéma académique : une sorte de théâtre filmé, avec des gens qui se parlent, ça ne bouge pas beaucoup. C'est pour ce genre de cinéma qu'a été créée, compte tenu des possibilités techniques de l'époque, la norme MPEG-2. Le maximum de débit de données de l'époque était de l'ordre de 10 mégabits par seconde, ce qui était tout à fait insuffisant pour lire un film non compressé. Le problème est exclusivement là. Les techniciens ont donc eu l'idée, assez maligne, des GOP, de Group Of Pictures, des groupes d'images. Au lieu d'enregistrer toutes les images les unes derrière les autres, on enregistrement seulement des images-clés (appelées images I), et entre ces images clés, on enregistre seulement ce qui a bougé dans l'image (les images P et B, qui ne sont même pas des images). Le résultat, on le voit par exemple dans la télévision par ADSL, c'est totalement merdique, dès que ça bouge, ça pixellise dans tous les coins, c'est bien inférieur à la télévision hertzienne pour peu que l'on ait une bonne antenne-rateau sur le toit... en même temps, cela ne semble gêner personne. Je regardais récemment le dernier James Bond sorti en DVD commercial normal : dans les scènes d'action, ça pixellise grave. Et tout le monde s'en fout. Pip Chodorov a fait il y a quelques années l'expérience suivante : il est allé chez de gros prestataires fabricants de DVDs, qui ont des encodeurs hardware, de grosses machines qui coûtent très cher : on met à l'entrée une cassette bétacam numérique, et on récupère en sortie un fichier MPEG-2. Il a fait des essais avec des films de Brakhage, des choses qui bougent très très vite, et au bout du compte, malgré toute la bonne volonté des techniciens et la puissance des machines, ça pixellisait, ça donnait ce qu'on appelle des macroblocs. Et un film de Brakhage qui va très vite et pendant tout le film on ne voit que des gros carrés, c'est insupportable, parce que l'attente du spectateur n'est pas la même que pour James Bond.

Or ; il existe des encodeurs software, des logiciels qui permettent de travailler l'encodage un peu comme on travaillerait de la dentelle. On peut, avec des passes successives, affiner progressivement l'analyse. J'ai récemment encodé un film d'une artiste, simplement un plan fixe d'un paysage avec une rivière, des arbres, des feuilles partout, un petit vent, donc en fait un nombre d'informations énorme... Le truc, c'est de filtrer les hautes fréquences avant d'encoder, afin de réduire la masse d'information. On passe du temps, on fait des tests, on recommence jusqu'à trouver le bon réglage, et tout cela pour rentrer dans une norme qui a été fixée en 1994, et qui aujourd'hui n'a plus lieu d'être

Il est tout à fait possible de faire à partir d'un film un fichier MPEG-2 qui ne contiendra que des images-clés. Ce sera tout à fait comparable à un enregistrement sur bande DV, et on pourra graver ce fichier sur un DVD. Mais ce fichier nécessitera un débit bien supérieur aux 9,8 mégabits/seconde qu'autorise la norme DVD-vidéo, et il sera refusé, même par les meilleurs lecteurs de salon, parce que cela n'entre pas dans la norme.

On attend une nouvelle norme, supérieure, le DVD-Haute Définition ; il y en a actuellement deux qui s'affrontent, le Blue-Ray et le DVD-HD. Les enjeux financiers sont énormes. Actuellement, quand je fais presser un DVD-video chez un presseur, le presseur verse une redevance pour chaque exemplaire pressé aux détenteurs du copyright, des droits de la technologie DVD-video. De même, pour chaque lecteur fabriqué, des droits sont versés. C'est une poule aux oeufs d'or, et c'est pour cela que les deux normes s'affrontent. S'ils n'arrivent pas à se mettre d'accord, on aura des lecteurs qui sauront lire les deux... La HD concerne aussi le marché de vidéo à la demande, ainsi que le marché des écrans plasma, qui est en pleine expansion ; de nouvelles usines sont construites chaque année...

Mais le problème de la compression va se poser exactement de la même façon : une image HD est environ 6 fois plus grande (1920*1080) , contient environ 6 fois plus de pixels qu'une image SD (Standard Définition, 720*576), et du coup, il va falloir compresser.

Il n'est d'ailleurs pas sûr que la HD se développe aussi vite qu'on le prévoit. Le DVD est déjà d'une qualité telle que des exploitants de salles cinématographiques passent du DVD sur grand écran ; et du coup, on croit presque que le DVD, c'est le film, alors que ce n'en est qu'une reproduction. Quand on voit une carte postale de la Joconde, on sait bien que ce n'est pas le tableau...

C'est tout cela qui gêne Pip Chodorov et les éditions Re:voir. Il refuse de mettre en vente les films de Brakhage sur DVD Mais il n'a les droits que pour la France...

Et d'autre part, avant de faire un DVD, on a un master vidéo, qui a été fait à partir d'un télécinéma ; est-ce que le film d'origine a été restauré, ou non ? en argentique ? en numérique ? Lorsque j'ai fait le DVD de l'exposition Dada, j'ai reçu pour encodage des master video dont la qualité était une honte. Ce n'est pas forcément la faute du DVD, c'est toute une chaîne.

Un dernier exemple : l'association Point, Ligne, Plan est une association de diffusion de films d'artistes. Elle souhaite mettre une collection d'une cinquantaine de films en téléchargement payant sur l'internet. Avec Christian Merlhiot, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait le faire au format DivX ; c'est une compression MPEG-4, plus récente et beaucoup plus efficace que le MPEG-2. On peut faire tenir un film de une heure dans 700 mégas, au lieu de 3 gigas sur un DVD, c'est assez rapide à télécharger et ça tient sur un CD. Mais la problématique est la même, c'est à dire que quand ça bouge, ça pixellise dans tous les sens, et la solution est la même : il faut réduire la quantité d'information, et on arrive à un objet nickel pour le spectateur. Même si ce n'est plus le même film, Christian Merlhiot trouve le résultat très bon.

De même, Pip Chodorov dit à Jonas Mekas : " Jonas, pour tes films, c'est compliqué, ça va coûter très cher... " ; et Jonas Mekas lui répond : " "Why bother ? " - pourquoi s'emm... 

Finalement, c'est aux artistes de prendre en compte les limitations techniques pour leur diffusion. Il faut bien distinguer la conservation de la diffusion. Le jour où il y a une projection en salle, c'est notre responsabilité de professionnels d'utiliser le master HDcam, et pas une copie DVD. Le DVD nous fait un peu confondre la diffusion et la conservation, et il est important de voir clair là-dedans, car les enjeux sont différents. Je peux très bien faire un télécinéma HD d'un film expérimental, l'enregistrer sous forme de milliers d'images brutes numérotées, et un programme comme Virtualdub, VLC, etc, pourra mes les relire, je verrai mon film, je n'aurai aucun souci de compression.



2.4.- Discussion

Dominique Willoughby.- Pourquoi ne peut-on pas utiliser le divX pour les DVDs ?

Benoît Labourdette.-Parce que la norme du DVD, c'est le MPEG-2 ; si tu édites un DVD, il faut qu'il puisse passer dans tous les lecteurs de salon des acheteurs, et seuls certains lecteurs récents peuvent lire aussi le divX..

Alain Montesse.- Le divX est beaucoup moins commode à récupérer que le MPEG-2 ; or, une bonne partie de l'activité créatrice avec ces nouvelles technologies (VJying, sampling...) consiste à récupérer des données pour en faire quelque chose de nouveau...

Benoît Labourdette Ces données sont des données de diffusion, elles n'ont pas la qualité du produit d'origine.

ZZZ.- Quel est le rôle des instances publiques, nationales ou internationales, pour la conservation ? Y a-t-il des normes pérennes 

Benoît Labourdette.- Henri Langlois, au début, était quasiment un pirate. La Cinémathèque française est une association financée par l'Etat...

Alain Montesse En France, certaines instances dépendent du Ministère de la Culture, d'autres du Ministère de la communication (quand il y en a un)...

Benoît Labourdette.- A la BNF, on archive aussi les produits interactifs. Il n'y a pas de norme générale. Ca évolue tellement vite qu'il leur faudrait presque un ordinateur d'époque pour chaque CDrom. Certains producteurs sont conscients du problème, d'autres vont jusqu'à perdre leurs masters.

Dominique Willoughby.- A une époque, on détruisait les films pour récupérer les sels d'argent. Ce n'est plus le cas. Les producteurs ont bien compris que n'importe quel navet peut être rediffusé. En France, on a maintenant le souci de la conservation et du patrimoine, on a eu le plan nitrate... Pour le DVD d'Alexeïeff, j'ai retrouvé les négatifs originaux, qui étaient dans des labos, mais auxquels on n'avait pas accès, les producteurs ayant disparu . C'est aussi un problème juridique : j'ai dû faire constater la déshérence de certains producteurs auprès du Registre Général du CNC, pour que LTC veuille bien nous laisser tirer une copie d'un film d'Alexeïeff - pour lequel les ayant-droits nous avaient donné l'autorisation. En ce qui concerne les normes techniques, ce sont toujours les industriels qui ont réglé cela entre eux : le premier congrès de normalisation du 35mm, c'était Méliès qui en était le président, c'était en 1905, ils se sont mis d'accord sur les perforations... La conservation des machines est un vrai problème ; pour nos DVDs, nous avons travaillé avec Vectracom, fondée par des anciens de l'INA qui ont eu le nez assez creux pour conserver toutes les machines, jusqu'à des formats exotiques tels que les magnétoscopes HD 2 pouces qui ont servi pour les Jeux Olympiques d'Albertville... Conserver des oeuvres, aujourd'hui, c'est aussi conserver des machines - et les conserver en état de marche.

Benoît Labourdette.- Pour le cinéma, en France, on est assez bien loti. Mais pour toutes les oeuvres audiovisuelles des artistes, même pour des oeuvres récentes, j'ai énormément de problèmes. Les artistes eux-mêmes n'ont pas toujours ce souci...

ZZZ.- Le rôle de l'Etat est primordial

Dominique Willoughby.- Il y a aussi une responsabilité des créateurs, au sens de producteurs, d'artistes, de financiers. L'Etat, c'est qui ? C'est nous. Allons-nous, avec nos impôts, financer la conservation des jeux vidéo d'Infogrames ?

Alexis Martinet (Institut de cinématographie scientifique) Le dépôt légal prévoit que l'on doit déposer la copie dans le meilleur format. En institutionnel, si on fait un film 16mm, on doit déposer une copie 16mm : et comme souvent, il n'y qu'une seule copie, ça double le prix. Le CNRS considère que ses productions ne sont pas des films commerciaux, il dépose donc une cassette vidéo, ou un DVD. Et nombre de producteurs privés en font autant.
Lorsqu'on me donne un DVD, je ne sais jamais si je vais pouvoir le lire ou non. D'où cela peut-il venir ?

Benoît Labourdette Les DVDs avec lesquels vous avez des problèmes de lecture sont des DVDs gravés, et non pas pressés. Lorsqu'on grave un DVD vierge avec son ordinateur personnel, on ne respecte pas strictement la norme - on n'a pas le droit de mettre le logo DVD-vidéo dessus. La norme concerne non seulement la compression, mais aussi l'authoring, la gestion de l'interactivité, c'est le chas d'une aiguille par lequel il faut passer. En 2001, Disney a dû rappeler son DVD d Roi Lion et le refaire, il ne passait pas sur 40 modèles de lecteur parmi les 300 qu'il y avait à l'époque.Alain Montesse.- Disons pour finir quelques mots des questions de création. J'avais déjà évoqué l'an dernier du VJying, et parmi les nouveaux outils, le plus important me semble être le téléphone portable - si tant est qu'on puisse encore appeler ces engins des téléphones.

Benoît Labourdette.- Dans quelques années, tout téléphone portable sera muni d'une caméra. C'est un changement socioculturel très important. Il y a deux ans et demi, nous avons commencé à prêter des téléphones à des artistes, des plasticiens, des écrivains, des musiciens, en leur demandant de faire quelque chose avec. Et nous avons créé le festival Pocket-Films - le prochain est prévu pour les 8,9 et 10 juin au centre Pompidou. Avec cet outil, les gens redécouvrent une sorte de caméra primitive, qui n'est pas sans rappeler le Super-8. Les gens ne cadrent plus, ils brandissent leur téléphone, c'est une sorte d'oeil greffé qui se rajoute, ce n'est pas une caméra au sens habituel, narratif du terme...

Dominique Willoughby Là, je ne suis pas d'accord. C'est une caméra, même si on l'a mise dans un téléphone ; La caméra n'a pas été inventée pour raconter des histoires. On n'aurait pas idée de mettre un téléphone dans une caméra.

Robert Risler.- Je bondis ! La caméra n'est pas un oeil, l'oeil n'est pas une machine. L'oeil est un bout de votre cerveau.

Alain Montesse.- Kino-glaz Dziga Vertov.

Alexis Martinet.- Quand vous tenez un portable au bout de votre main, vous savez ce que vous faites avec votre main, comment vous l'orientez. C'est comme si vous aviez un oeil au bout de la main. Et ça existe : les biologistes peuvent greffer à une mouche un oeil au bout d'une patte, et la mouche voit quelque chose. C'est comme avec un pistolet, on n'a pas besoin d'avoir l'oeil derrière pour savoir ce qu'on vise.

Benoît Labourdette.- Ce sont de nouvelles compétences que les gens vont acquérir avec ces objets hybrides. C'est de la bionique à l'extérieur du corps.

Alain Montesse.- Dans les années 70, Aaton avait sorti une caméra vidéo à main, qui s'appelait la Paluche.

Yvonne Mignot-Lefebvre.- Je me rappelle avoir assisté autrefois à la soutenance de thèse de Dominique Noguez sur le cinéma expérimental... Les espaces numériques dans lesquels on devait ressentir plein de choses, le cyberespace, ça n'a pas eu beaucoup de succès ?

Benoît Labourdette Depuis quelque temps, il y a un jeu en ligne qui s'appelle Second Life ; ce n'est pas une virtualité aussi directe qu'on l'imaginait, on n'y projette par l'intermédiaire d'un avatar. Mais il s'y passe plein de choses.



Alain Montesse avait prévu de terminer la seconde visioconférence par des considérations sur quelques rapports du cinéma expérimental avec la théorie du chaos déterministe, il n'en a pas eu le temps. Ce sera (peut-être) pour une prochaine fois. Disons brièvement que le cinéma expérimental ressortissant largement du royaume de l'imprévisibilité, tant techniquement que dans ses contenus explicites ou implicites, dénotes ou connotés, latents ou révélés, et étant pourtant complètement déterminé parce que le film existe avant la projection (encore que...), une bonne partie des discours tenus dans les années 1980 autour de la théorie du chaos et de l'auto-organisation pourrait bien lui être appliquée. Qu'on se rappelle par exemple la définition d'un objet complexe comme un objet tel qu'il n'y ait pas de moyen plus économique de le décrire que de l'énoncer entièrement (ce qui revient à définir un objet complexe comme un objet qu'on ne peut pas simplifier - ce qui confine à la lapalissade) : les difficultés de la compression du cinéma expérimental peuvent être envisagées comme un cas particulier de cette complexité-là.









3.- Troisième visioconférence du 8/4/2008

( http://alain.montesse.free.fr/kinumexp/ct080408.rm )


3.1.- introduction d'Alain Montesse (résumé des épisodes précédents, et news diverses)

Alain Montesse.- Je vais résumer brièvement ce qu'on peut conclure de façon à peu près sûre à partir des épisodes précédents.

Pip Chodorov.- Le Collectif Jeune Cinéma en fait, mais à destination des programmateurs, pas dans le commerce.

Alain Montesse.-
  • Diffusion en ligne : c'est le facteur nouveau, et de plus en plus important. La quantité de choses mises en ligne sur YouTube, Dailymotion, etc., a tellement augmenté que moi, j'ai renoncé ; il n'est plus possible de tout voir, et de loin. Détail significatif, qui nous éloigne du cinéma expérimental, mais qui est symptomatique de la puissance croissante de ces nouvelles instances de diffusion : je passe la parole à Thomas Baumgartner, nous sommes sur France-Culture, le vendredi 25 janvier dernier vers 11:05, au début de l'émission hebdomadaire "Place de la Toile" :

    ... nous avions parlé aussi de la mise en vente des droits de diffusion du championnat de France de Ligue 1 pour les trois saisons à venir. Douze lots sont proposés par la ligue nationale de football - un lot, c'est un droit de diffusion ; par exemple le droit de diffuser les dix meilleurs matches de la saison, ou celui de diffuser tous les matches d'un seul club - bref, depuis cette semaine, on connaît certains des candidats à ces lots. On s'attendait à ce que les opérateurs de téléphonie mobile viennent compléter la liste des acquéreurs traditionnels que sont les chaînes de télévision, mais la surprise est venue du net : pour la première fois, un site internet s'est porté acquéreur d'un des lots. Ce site, c'est Dailymotion, le site français de partage de vidéos , et selon le Figaro, Dailymotion serait candidat pour le lot 11, c'est à dire le droit de diffuser un magazine vidéo à la demande, contenant des extraits de matches.
    Cette information est intéressante à deux titres au moins : d'abord c'est l'entrée des acteurs du net dans la diffusion de contenus sportifs. Pour l'instant c'est pour un contenu très ciblé, un magazine qui résume les matches a-posteriori , ce n'est pas le droit de diffuser les matches en direct - mais pourquoi pas, à terme, l'obtention par un site du droit de diffuser ces matches en direct, ce qui priverait les chaînes de télévision d'un contenu qui, dans certains cas, comme celui de Canal+ notamment, est essentiel à la stratégie de la chaîne
    Deuxième raison pour laquelle la candidature de Dailymotion est intéressante : c'est la volonté de ce site de proposer des contenus édités et légaux. Aujourd'hui, on trouve à peu près tout en matière de football sur Dailymotion, des extraits de matches, des buts, tout cela mis en ligne par des internautes, et tout cela offert gratuitement au visionnage de tout le monde de manière totalement illégale. Dailymotion, qui a fait son audience précisément sur des contenus pirates, fait vraisemblablement des efforts pour s'inscrire dans la légalité. Mais évidemment, ce n'est pas la morale qui est la raison de ce virage. Derrière, il y a des raisons qui sont strictement économiques : attirer des annonceurs et valoriser une audience absolument gigantesque et mondiale. Reste à savoir si la ligue nationale de football répondra positivement à la proposition de Dailymotion : cela dépendra sans doute du montant.
    29

    Comme on voit, on est loin de la bande de chouettes copains qui partagent leurs vidéos...

Pip Chodorov.- Si on en est à des milliers de films, les industriels vont tout faire pour pouvoir continuer à lire les fonds existants, même si c'est de mauvaise qualité

Michel Lefebvre.- C'est rassurant ! il faut être optimiste...

Alain Montesse.- Dieu t'entende ! (rire )



3.2.- Portail ministériel

Alain Montesse.- En ce qui concerne les aspects juridiques, administratifs, organisationnels, etc., un seul facteur nouveau à ma connaissance : le projet de portail du cinéma expérimental impulsé par le Ministère de la Culture. Une réunion générale a été organisée le 18 juillet 2007, dans le cadre du plan national de numérisation du patrimoine. Le projet du Ministère est un projet de portail d'accès sur l'internet, donc en format réduit et très compressé, qui aiguillerait ensuite le visiteur vers les différents structures concernées. Il n'est donc pas question directement de sauvegarde, de conservation ou d'archivage, même si le Ministère, dans un premier temps, subventionne diverses opérations de numérisation. Le mieux pour le Ministère serait que " les structures se mettent d'accord pour identifier parmi elles une «tête de réseau»... ". Cette réunion de juillet 2007 a depuis été suivie par diverses réunions partielles ou contacts entre différents acteurs, groupes ou institutions concernés.
Afin de faire le point, j'ai contacté un certain nombre de gens : tous étaient d'accord sur le principe pour venir cet après-midi, mais finalement, pas grand-monde n'est venu.
Cette absence m'interpelle :o)))
Individuellement, tous avaient des raisons valables pour ne pas venir. Mais au delà d'une éventuelle mauvaise conjoncture aujourd'hui, je me demande s'il n'y aurait pas là quelque chose comme une régulation statistique, comme une permanence structurelle. Comme disait Xenakis, les répétitions statistiques " enlèvent le droit de parler de hasard... Les martingales de Monte-Carlo et les théories de suicidés devraient convaincre quiconque, une fois pour toutes " 30 " : quelles que soient les raisons, éventuellement très bonnes, qui poussent des gens à sauter du premier étage de la Tour Eiffel, il n'en demeure pas moins que, jusqu'à ce que des mesures de prévention soient prises récemment, ils étaient bon an mal an 3,6 en moyenne à avoir sauté. De même, si je regarde dans le passé, la première ParisFilmCoop date de 1966-1967, avec des gens comme O'Leary, Reffé, Bouyxou..., le premier Collectif Jeune Cinéma date aussi de la fin des années soixante - et depuis 40 ans, il n'y a jamais eu moyen d'avoir une fédération. 31

Pip Chodorov.- Tous ces gens ont aussi autre chose à faire ; ils travaillent dans des musées, des associations de distribution... Répondre à cet appel du Ministère implique du travail supplémentaire, il n'y a pas quelqu'un qui s'en occupe spécifiquement, ça ne fait pas partie du boulot en soi, et c'est pour cela aussi qu'on n'a pas pu mettre en place une vraie fédération qui se réunisse..
Les groupes se réunissent parfois pour des tables rondes. Mais la numérisation n'est pas leur activité principale, c'est du travail en plus; c'est difficile de trouver le temps pour le faire. Il faut distribuer les films, organiser les festivals.
Nous nous sommes vus tous ensemble une fois, à cette réunion de juillet de l'an dernier, et le Ministère a demandé à tous les groupes de se concerter, afin d'éviter les doublons. Par exemple, les films de Patrick Bokanovski sont partout : à l'INA, au Centre Pompidou, chez Light Cone, à la BNF... Qui va en effectuer la numérisation ? étant donné que Re:Voir l'a déjà fait.... Le Ministère dit " c'est à vous de vous voir entre vous ". Mais on ne peut pas se voir entre nous, parce que personne n'est libre, chacun a déjà son propre emploi du temps, et ne va pas ajouter en plus la mission "numérisation"..

Alain Montesse.- En somme, les impératifs et les nécessités à court terme empêchent de mener des actions qui pourtant stratégiquement seraient plus intéressante

Pip Chodorov.- Exactement. Du moins pour faire cela en groupe, avec une bonne vision de la chose. Par exemple, le Centre Pompidou est en train de numériser tout son fond en SD. J'ai dit lors de la réunion qu'il serait mieux de payer 40% de plus aujourd'hui, pour faire tout en HD ; sinon, il va falloir revenir dans 3 ans pour tout refaire. La réponse a été " le service financier ne va pas accepter cette augmentation , il préfère tout refaire dans 3 ans ". De toute façon, c'est mieux en SD qu'en Flash, ce sera recompressé par la suite.... C'est dommage. Ils étaient prêts à numériser des films rayés et passés, alors que Re:Voir l'avait déjà fait à partir de copies neuves ou d'internégatifs. Heureusement, on a pu trouver un arrangement pour qu'ils puissent travailler à partir de nos sources, faites sous le contrôle du cinéaste lui-même.
Le Ministère demande que chaque groupe propose un budget pour la numérisation et un projet pour le portail. Ce n'était pas très clair. Avec le Collectif Jeune Cinéma (entre parenthèses : Re:Voir ne fait pas partie des partenaires de ce projet ; c'est une société commerciale, pas une association ; je parle en ce moment au nom du CJC), nous nous sommes dit que nous allions proposer un projet de portail, parce que nous savions qu'au Centre Pompidou ils n'ont pas le temps, et qu'il n'y avait pas d'autre association qui ait des idées et les moyens de mener un tel projet à bien. Moi, j'avais quelques idées, graphiques, de base de données... Nous avons fourni au Ministère un budget et 3 pages qui décrivent un portail possible, que le CJC pouvait prendre en charge, en voyant chaque groupe, chaque structure, en centralisant les demandes, en vérifiant tous les formats de film et les critères de bases de données, qui doivent être harmonisés afin que le portail fonctionne. Nous avions l'impression que c'est cela que demandait le Ministère. Mais ils ont répondu «&nbs; on ne va pas faire cela tout de suite ». Donc, c'était un peu confus, et la question du portail n'est pas encore à l'ordre du jour.

Alain Montesse.- Si, elle l'est quand même un peu 32 . Je relis la conclusion du compte-rendu de la réunion de juillet dernier :
" La   MRT et la DAP soulignent qu'il serait utile que les institutions intéressées se coordonnent pour déposer un projet qui pourrait prendre deux formes :
Un projet commun qui identifie dans chaque structure (musées, associations..) des collections à numériser autour du thème du cinéma expérimental
Un projet encore plus abouti : les structures se mettent d'accord pour identifier parmi elles une "tête de réseau" qui propose d'une part la numérisation de collections ( voir alinéa ci-dessus) et d'autre part la création d'un portail qui permettrait par une requête unique d'interroger les bases de données des partenaires du réseau. Cette approche en réseau structuré peut démarrer autour de deux ou trois institutions et intégrer ultérieurement d'autres partenaires. Une attention particulière sera dans ce cas apportée au respect des identités de chacun des partenaires.
"  
C'est bien ce que vous aviez fait ?

Pip Chodorov.- Nous avons essayé de prendre ce rôle, mais en fait, le Ministère n'a jamais mis en oeuvre les moyens de trouver une tête de réseau - parce qu'il n'y a pas de réseau. Le ministère ne donne pas les moyens de créer ce réseau, il demande juste à chacun «  combien vous faut-il pour numériser vos fonds », et c'est tout. Maintenant, chacun se met à numériser son fond comme un malade parce qu'il y a des sous disponibles - et c'est aussi un problème parce que le Ministère donne juste la moitié de ce qu'il faut. Le Collectif Jeune Cinéma a besoin de 30.000, le Ministère nous en donne 15.000, et nous n'avons pas les 15.000 autres. Le Ministère est parti sur un projet auquel seules de grosses structures comme le Centre Pompidou peuvent répondre - peut-être.
Et puis, il y a quelque chose qui m'étonne. Depuis des années, le cinéma expérimental demande des subventions pour être reconnu (même si la reconnaissance n'est peut-être pas la meilleure chose pour le cinéma expérimental...). Tout à coup le Ministère sort un projet qui concerne uniquement le cinéma expérimental. Pas le narratif, pas le documentaire, pas les films de famille. Je trouve cela très étonnant. Pourquoi le cinéma expérimental ? Est-ce parce que la France peut mettre en avant des cinéastes dans ce domaine de la culture française ? Je ne comprends pas très bien...

Michel Lefebvre.- Il y a plusieurs logiques qui se télescopent.
Il y a la logique des réalisateurs, des producteurs, qui doivent trouver leurs ressources financières, techniques, à court terme, voire à très court terme : ces gens ont un problème de numérisation, afin que les oeuvres soient diffusables le plus largement possible dans les réseaux existants
Et puis il y a la logique des ministères, qui se disent "il faut conserver une partie des oeuvres, avec des numérisations qui vont exister longtemps" ; mais comme il y a un manque de moyens, on en arrive à des montages dont l'on ne finance que la moitié - mais cela se vérifie dans tous les projets financés, qu'ils soient audiovisuels ou autres...
Et puis il y a peut-être une question de fond : est-ce que ces oeuvres vont traverser une génération, deux générations, etc.
Cela fait trois logiques qui se superposent, et quand on passe d'une logique à l'autre, on a toutes sortes d'incompréhension
Effectivement, on a pu constater, en l'espace de 10 ans, que le format numérique, le mode de compression, disparaît. Au bout de 10 ans, on se demande comment prolonger de 10 autres années... avec des dégradations physiques, de transcodage Tout cela fait une situation extrêmement compliquée ; il est très difficile de dire quel est le projet qui va pouvoir résister au temps pendant plusieurs dizaines d'années. On travaille dans l'éphémère. C'est vrai pour le cinéma expérimental c'est encore plus vrai pour tous les produits interactifs, qui sont liés aux logiciels : les logiciels ont besoin d'un système d'exploitation, quand le système d'exploitation change, il n'est pas sûr que cela soit absolument compatible...
Notre société ( http://www.acet.fr ) a de très bons produits, des banques de connaissances, qui ont demandé pas loin d'un million d'euros d'investissements, et nous les voyons mourir sans possibilité de rattrapage. Nos produits sont compatibles Windows-Mac9. Ils ont cessé d'être compatibles Mac quand on est passé au système X. Maintenant on passe de Windows à Vista : les anciens Windows travaillaient en 16 bits, il y avait encore une sorte de compatibilité ; Vista travaille en 64 bits ; donc, tout ce qui tourne en 32 bits, terminé. Heureusement, Vista ne marche pas encore très bien, il n'y a donc pas eu une ruée sur ce système d'exploitation. Mais dès que Vista sera au point, ce sera fini. Nos banques de connaissance ne seront plus lisibles par quelque machine que ce soit, sauf peut-être dans un musée, dans 20 ans et peut-être même avant. Elles ne seront plus diffusables. On pourra peut-être les recopier, morceau par morceau...

Pip Chodorov.- En 1992, j'ai visité John Whitney, un cinéaste expérimental qui faisait de la musique visuelle sur ordinateur, à Los Angeles. Deux ans plus tard, il a voulu présenter son travail lors d'un évènement, mais il avait fait son logiciel sur un 386, et on était déjà passé au 486. Résultat, sa musique n'était plus à la bonne vitesse.
Les choses qui sortent aujourd'hui sont davantage compatibles qu'il y a 10 ans ; c'était la galère, n'était-ce que pour faire passer un fichier word de Mac à PC.

Michel Lefebvre.- Effectivement, entre Mac OS-X et Windows, il y a des compatibilités, pas totales, mais les fabricants de logiciels se sont arrangés pour qu'il y a ait des passages. Mais si on en arrive à un processeur en 128 bits, ce seront les produits antérieurs, en bloc, qui ne seront plus lisibles. D'ailleurs, il y aurait une proposition à faire : mettre cela sous l'égide d'une grande institution mondiale, l'UNESCO par exemple, qui garderait ce patrimoine. On peut très bien imaginer un système d'exploitation, du genre Linux, suffisamment paramétrable pour dans le futur s'adapter à tous les microprocesseurs, avec un système de fichiers le moins compressé possible (parce que au fond, pourquoi compresser, les machines et les mémoires ont maintenant une telle puissance qu'on peut se poser la question, que ce n'est plus toujours nécessaire). Cet ensemble constituerait une sorte d'étalon, auquel les systèmes d'exploitation seraient obligés de se référer. On pourrait comme cela conserver les oeuvres dans le temps. C'est un travail collectif à faire.

Pip Chodorov.- Est-ce que le Ministère a choisi le cinéma expérimental comme champ parce que c'est un champ de recherches sans enjeu commercial, afin que, par la suite, ce qu'on apprend, nous, dans ce travail-là, puisse s'appliquer ensuite à de plus gros films à des industries ? Est-ce qu'ils utilisent le cinéma expérimental comme cobaye ? Est-ce qu'ultérieurement, Gaumont par exemple va bénéficier de ce même portail ? On est au début de ces questions de numérisation. Pourquoi avoir choisi le cinéma expérimental 

Michel Lefebvre.- Vous avez certainement en partie raison. Aux débuts de la vidéo documentaire parlante, synchro, il y avait beaucoup de gens qui passaient du temps, bénévolement, à résoudre tous les problèmes techniques, à monter la bande vidéo au scotch, les sociétés de matériel, Sony, Akaï, etc., finançaient des festivals... Cela a servi à jeter la base industrielle des produits, jusqu'à ce qu'il y ait une base de machines, de compétences, et alors on a vu arriver les machines industrielles 33 . Le cinéma expérimental aussi est un secteur avec des gens passionnés qui y mettent beaucoup de leur temps...

Robert Risler.- (arrivant du fond de la salle, et présentant le dessin ci-contre) On trouve des dessins comme cela partout, en Egypte, dans le monde entier... Ils ont 40.000 ans. Ils sont toujours parfaitement lisibles. Donc, vous voyez, il y a déjà quelqu'un qui s'est préoccupé de ces questions au niveau mondial...

Michel Lefebvre.- Il s'appelait Cro-magnon ! Et il n'avait pas de droits d'auteur ! (rires)

Alain Montesse.- Je n'ai pas l'impression que le Ministère ait choisi seulement le cinéma expérimental. Il y a tout un plan de numérisation du patrimoine, décliné dans différentes directions, avec des perspectives européennes. Certes, il est vrai que le cinéma expérimental pose avec beaucoup d'acuité des problèmes qui peuvent être plus facilement contournés par le cinéma "normal". Mais je n'ai pas l'impression que les grandes firmes aient tellement besoin de nous pour jouer les cobayes, les explorateurs, les têtes brûlées... les caravanes commerciales passeront sur nos os, on le sait.
L'intervention de Robert me rappelle que je voulais dire aussi quelques mots de secteurs du cinéma proches de l'expérimental, au moins par certains côtés, et qui ont des problèmes du même ordre que les nôtres. Problèmes techniques moins compliqués en ce qui concerne la numérisation (ils ne mettent généralement pas en cause le médium et le support - pour faire simple, disons qu'ils filment le plus fidèlement possible la réalité telle qu'elle est), mais beaucoup plus lourds en ce qui concerne le volume de données : c'est tout ce qui concerne le cinéma ethnographique, le cinéma militant, le cinéma scientifique. C'était souvent aussi du 16mm...

Pip Chodorov.- Le 16mm est devenu le moyen de tournage préféré des petites productions, parce que la pellicule est bien meilleure : elle peut capter jusqu'à 9 diaphs de différence dans la même image, selon une courbe de sensibilité logarithmique ; la vidéo en est loin, et suit une courbe de sensibilité linéaire. Le matériel et la pellicule 16mm sont bien moins chers que le 35mm. C'est donc mieux de tourner en 16, en super-16, et ensuite de numériser. Kodak sort toujours de nouvelles émulsions, il vient d'en sortir une avec laquelle tu peux charger la caméra en pleine lumière. Le fait d'ouvrir l'emballage de la pellicule vierge déclenche une réaction chimique qui te laisse 3 minutes avant que la pellicule soit sensible à la lumière. Tu as donc le temps de charger la caméra et de la refermer.

Alain Montesse.- Le 16mm ne sert donc qu'au tournage.

Pip Chodorov Oui.

Michel Lefebvre.- Je voudrais faire une remarque sur la haute définition : il ne me semble pas évident que l'on aille toujours vers la haute définition. Dans les arts, et plus généralement dans tous les systèmes d'expression, on constate qu'il y a d'abord une recherche du plus grand, du plus énorme, de plus de détails, et puis, brusquement, c'est abandonné. On admire la cathédrale de Paris, c'est une explosion de détails, mais on ne pense plus à notre époque faire de nouvelles cathédrales de Paris. On fait plutôt des bâtiments très simples. Le Musée du quai Branly de Jean Nouvel se compose de formes extrêmement simples. On voit ça partout. Dans la vaisselle, on a eu au XIXème siècle une explosion, des soupières avec plein de détails, d'ornements, etc., maintenant, rares sont les gens qui pensent en ces termes, et on a des produits d'Habitat. Les draps brodés sont maintenant des housses IKEA. On cherche le plus haut, le plus de détails, et puis on redescend. Il y a des manifestations de pouvoir qui montent, et puis c'est rejeté, on retombe vers des choses beaucoup plus simples. On peut se demander si, dans le cinéma, on ne va pas assister à cela. On a le cinémascope, la haute définition de télévision, et puis tout à coup, qu'est-ce que l'on voit ? Les Youtube, Dailymotion, les petites images qui attirent les jeunes. On peut se demander si le grand écran de télévision n'aura pas qu'un temps. On regardait la valeur d'une peinture au nombre de coups de pinceau par centimètre carré : plus il y avait de coups de pinceau, plus la peinture était chère. On regardait évidemment aussi l'allure générale, bien sûr, mais on est maintenant revenu à quelque chose de beaucoup plus schématique, du genre du dessin de Robert.

Robert Risler.- Au moyen-âge, les maisons qui entouraient la cathédrale faisaient 1 étage au plus. Aujourd'hui, nous ne voyons plus Notre-Dame comme on la voyait à l'époque, parce que
   1) les gens qui sont entrés là-dedans ont vu pour la première fois de la lumière colorée
   2) ont vu l'immensité de la maison de Dieu, qui devait par essence se dissocier du bon peuple d'à côté. Vous parlez du musée, mais vous oubliez qu'à côté, il y a les gratte-ciel de bureaux ; il faut donc que l'ouvrage exceptionnel se différencie autrement. Ce n'est pas tout à fait la courbe que vous évoquiez, il y a d'autres facteurs.

Michel Lefebvre.- Je reconnais avoir été un peu schématique. Mais les gratte-ciel avaient disparu, pendant un moment, et ils reviennent. Ce sont les multinationales qui font les gratte-ciel; ce n'est pas du logement, ce n'est pas la religion [sauf à considérer l'économisme comme une religion, NDLC], c'est le pouvoir des multinationales qui se manifeste ; on peut penser que cela aussi n'aura qu'un temps.

Pip Chodorov.- Les pyramides, c'étaient des pharaons, les cathédrales, c'étaient des papes, et les tours, c'est des corporations... On a eu ça, dans le cinéma expérimental. Dans les années 50, les lettristes ont dit "le cinéma est trop gros, trop obèse, trop riche, il y a la couleur, la musique, le cinémascope, le western, la 3D et tout ce qu'on veut, et ce qu'il faut, c'est détruire ce langage-là et créer un nouvel alphabet". Et ils ont fait des films tout noirs, sans images du tout. Un autre exemple est Peter Kubelka, qui a fait des films dans les années 50 avec des images blanche, noire, blanche, noire - il n'y a plus d'image, il y a la bande, la physicalité du cinéma pur. Et à partir de là sont venus le cinéma structurel, matérialiste..

Michel Lefebvre.- Pourquoi revient-on à des formes simples ? Parce qu'on recherche des invariants. Le cinéma ou la vidéo, ce n'est pas de mettre des écrans de plus en plus grands avec un maximum de détails. C'est réfléchir à partir du cadre, qui limite le champ, de la couleur ou du noir et blanc, des formes... On revient à des simplifications pour faire apparaître les invariants.

Alain Montesse.-J'ai un contre-exemple: la ULTRA HIGH DEFINITION ( http://en.wikipedia.org/wiki/Ultra_High_Definition_Video ). C'est un projet de vidéo en Ultra Haute Définition, propulsé par la NHK, qui parle de faire du 7680*4320 pixels à 60 images par seconde.
Que le but de la vidéo ne soit pas forcément de faire un maximum de détails - cela dépend de quelle vidéo. Il y a l'exemple de cet hôpital parisien, entièrement câblé pour faire circuler les nombreuses images médicales de façon immatérielle, mais les terminaux sont bien incapables de reproduire la finesse de détails des plaques radio, scanners etc., et du coup, le personnel paramédical continue à arpenter les couloirs et les ascenseurs avec de grandes épreuves radio ou photographiques. Dans ce cas précis, il s'agit de pousser la définition aussi loin que possibl

Michel Lefebvre.- Là on est dans un cas différen

Alain Montesse.- Oui, mais si on remonte aux origines de l'anatomie, médecins et artistes étaient très proches. Cette configuration peut-elle revenir ? Si oui, les artistes toucheront à cette Ultra Ultra Haute Définition 34 .

Pip Chodorov.- Dans le son: on a eu des vinyls, puis des cassettes audio, des CD et finalement des mp3. Et chaque fois c'est moins cher, c'est moins durable, et c'est de plus en plus populaire. Très concrètement, c'est moins bien, tout le monde peut entendre la différence entre un vinyl, un CD et un mp3. Les gens préfèrent de plus en plus compact et de moins en moins bon. Donc, la qualité n'est pas un critère, la qualité va à l'encontre de ce que les gens préfèrent. Et en même temps, les grands industriels comme NHK cherchent à avoir une résolution de plus en plus importante. Cela rejoint ce qu'Alain disait au début : il faut faire des scans HD, parce que la télé veut du HD, alors que chacun chez soi peut arriver à faire du scan correct en SD. Et du coup, la télévision saute une étape, pour dire " non non, vous n'êtes pas comme nous, nous sommes des professionnels, il nous faut du HD". Donc les industries qui cherchent des bénéfices vont chercher des résolutions que le peuple ne cherche pas ; il n'en veut pas, il cherche le YouTube. Il y a donc deux logiques : faire des bénéfices et avoir un gros professionnalisme, et avoir le moins cher et le plus accessible tout de suite.

Michel Lefebvre.- Vous avez raison; mais il y a des industriels qui cherchent le plus grand, le maximum de qualité, et d'autres industries qui vont vers la stratégie aval, qui recherchent la démultiplication ; les réussites économiques récentes sont plutôt du côté de la grande diffusion.

Pip Chodorov.- C'est ce qu'on a entendu tout à l'heure avec le sport sur Dailymotion. C'est un réseau ouvert, les gens s'échangent leurs vidéos, il y a du piratage partout, et du coup il n'y a pas de commerce possible... sauf si on fait de la HD ! Je peux sortir un DVD d'un film, il va être piraté partout ; mais si je le sors en HD, il va être plus compliqué à pirater, et ce sont les grosses chaînes qui vont me l'acheter... il est plus rentable de faire un master HD.

Michel Lefebvre.- C'est votre intérêt, c'est l'intérêt des créateurs en ce moment, oui. Mais cela ne va pas forcément dans le sens de l'histoire. L'artisan en dorure avait intérêt à travailler pour les rois, et il faisait du très beau travail. Le problème c'est : où est le changement d'époque ? et qu'est-ce qui succède à l'artisan ?

Pip Chodorov.- On ne fait pas forcément des films pour des rois. Il y a des gens qui préfèrent être sur YouTube. Maurice Lemaitre, le lettriste, a entendu parler d'une version piratée de son film, il a dit "il faut stopper cela tout de suite, ils vont le mettre sur l'internet, ce n'est pas possible" - alors que Jeff Scher, un autre cinéaste, dit "mon idée du succès, c'est que je sors de chez moi, et je trouve le DVD piraté de mes films à Chinatown pour 5 dollars dans la rue ; là, je suis devenu un grand". (rires).
Effectivement, le cinéma expérimental n'est pas une industrie ; on fait des films avec les moyens du bord pour nous et nos amis, éventuellement des festivals les montrent, on peut distribuer quelques copies dans les différentes coopératives ; si cela marche, c'est qu'il y a un petit public qui trouve cela intéressant ; éventuellement cela mène à d'autres films, mais il n'y a pas de commerce. Ma position est de diffuser des films expérimentaux en VHS, en DVD, maintenant en BluRay ; on veut être diffusés, il y a un public, il faut le trouver. Cela va dans une logique de commerce, avec un contenu non-commercial.

Michel Lefebvre. Mais le cinéma expérimental n'est-il pas l'amorce d'une méthode pour casser le cinéma traditionnel ? Autrefois, il y avait le western, qui était très apprécié, et puis Sergio Leone est venu, qui a repris certains aspects du cinéma expérimental, et qui a réussi, avec Il était une fois la révolution, à casser le western, quelque part la révolution aussi, et une certaine forme de cinéma. Il y a eu une rupture. Le remake de 3h10 pour Yuma qui vient de sortir refait du Sergio Leone, mais ce n'est plus pareil. La génération actuelle n'aime plus le western. N'y a-t-il pas, de temps en temps au cours de l'histoire, la nécessité de casser la création artistique, intellectuelle, afin de laisser le champ libre à de nouveaux créateurs, et redécouvrir des choses ? N'y a-t-il pas nécessité à ce que la plupart des oeuvres actuelles s'évanouissent ? Le cinéma expérimental ouvre des portes, et en ferme d'autres.

Pip Chodorov.-Ce n'est pas de l'industrie, c'est de la poésie, et on ne peut pas vivre de la poésie. Mais le cinéma ne se fait pas avec un stylo et du papier, c'est très cher, on est dans une logique de commerce industriel avec les intentions de la poésie. Certains vont casser des choses, d'autres vont juste sortir dans le parc avec une caméra super-8, il y a toutes sortes de directions. On peut dire que le cinéma hollywoodien est centripète, parce que tous les films ont envie de se ressembler. Si un film de science-fiction a marché à fond, on en fait un autre. Alors que dans le cinéma expérimental, si quelque chose est déjà fait, on ne va pas reprendre, on fait autre chose. C'est centrifuge, parce qu'on a tendance à s'éloigner les uns des autres; comme les peintres. Les tendances vont plus vers l'avant-garde, la différence, et on ne se répète pas (ou du moins on ne voudrait pas que ça se répète)...
Avec la HDTV, on commence à dépasser la perception humaine. Au début du cinéma, il y avait cinq images par seconde, tout de suite les frères Lumière ont défini 16, puis ça a été 18, 24 avec le parlant, et maintenant on veut arriver à 60. Mais au delà de 72 images par seconde, on ne perçoit plus le clignotement, le flicker. Or, l'effet cinéma est plus fort quand il y a moins d'images par seconde, parce que le cerveau participe à l'illusion du mouvement, et l'illusion semble plus réelle 35 . Au début, le CD était prévu avec un échantillonnage à 20000 Hz, on s'est très vite rendu compte que ça ne suffisait pas pour les fréquences hautes, on est passé à 44000 et là, ça va 36 . Lorsqu'on scanne en 4k un photogramme de 35mm, chaque grain argentique est représenté par une douzaine de pixels, et on peut ultérieurement reporter sur pellicule sans perte. Faut-il qu'il y ait 30 pixels par grain ? Dans quel but veut-on capter de plus en plus de la réalité ?

Alain Montesse.- Pour le 35mm, de l'avis général, le 4k suffit ; mais pour le 70mm ? l'IMAX et le cinéma dynamique 

Pip Chodorov.- Tu sais combien de films de cinéma expérimental il y a en IMAX ? Il y en a un, de 30 secondes (de Stan Brakhage)..

Bruno Bourret.- Chez moi, je suis câblé (le câble, pas l'ADSL), et quand je regarde des films le soir, c'est une catastrophe. Il y a un tel taux de compression qu'on voit des artefacts partout. Entendre parler de définitions pareilles me laisse rêveur, alors que déjà on n'arrive pas à la qualité de la SD, en bout de chaîne en diffusion sur le câble. Peut-être que du côté de la création on fait de belles choses, mais en diffusion, on est en train de descendre. Cela pose la question du mode de diffusion : est-ce qu'on travaille seulement pour les gens qui vont s'acheter un lecteur de DVD haut de gamme ?.

Pip Chodorov.- Ils ne mettent pas le débit qu'il faut. Aux heures de pointe, on a un espace de couleurs réduit, et de gros macroblocs. J'avais le câble il y a quelques années, je me suis désabonné, parce que ce n'était pas intéressant ; visuellement c'était trop compressé. Je préférais la télévision aux antennes en oreilles de lapin.

Michel Lefebvre.- Il y a deux compressions qui s'ajoutent . il y a la compression initiale, du film sur DVD, et la compression pour la transmission. Cela peut aboutir à des catastrophes. Le taux de compression de diffusion varie selon les heures, et selon les heures, on a des différences flagrante

Alain Montesse.- Et il s'en perd en chemin...

Pip Chodorov.- L'idée du BluRay, au départ, c'était un graveur : on télécharge le film en HD, et ensuite on le regarde. Là, ce serait différent, parce que le câble est en temps réel : c'est comme si on essayait de faire passer beaucoup d'eau à travers un tout petit tuyau. Pour la HD, il faut 5 fois plus de débit qu'en SD. Donc télécharger puis graver peut prendre plus de temps que le temps réel. Mais une fois que c'est gravé, on peut voir le film avec le débit qu'il faut.

Alain Montesse.- Je reviens sur les questions de petits groupes de gens passionnés et de systèmes disparus. Cela m'a rappelé que dans le monde Amiga et dans le monde Atari, il y a 15-20 ans de cela, il y avait quantité de petits groupes qui faisaient ce qu'ils appelaient des démos. C'étaient de petits objets audiovisuels - surtout visuels - qui duraient 2, 3, 4 minutes, qui poussaient la machine au maximum et faisaient la démonstration des qualités de programmeurs et d'artistes des gens du groupe. Il y avait des choses tout à fait impressionnantes...
On peut maintenant émuler Atari et Amiga sur les PC récents, qui sont suffisamment puissants pour pouvoir y faire tourner un Atari ou un Amiga virtuel. Ces programmes d'émulation ne sont pas très conviviaux, pas très pratiques à utiliser. Mais il y a peut-être là une possibilité de solution pour les logiciels devenus illisibles sur les nouveaux systèmes : on émulera Zindozs-98 sur Vista-2010... Mais on ne peut pas fonder une stratégie là-dessus.

Pip Chodorov Prenons l'histoire de L'Abominable : c'est une association de cinéastes qui travaillent sur pellicule et qui trouvaient que les labos professionnels ne pouvaient plus, ou ne voulaient plus faire ce que ces cinéastes voulaient qu'ils fassent - par exemple faire un sandwich avec plusieurs pellicules et faire un négatif à partir de ça. Les labos disent "non, on ne peut pas passer ça dans nos machines"... Donc, nous avons trouvé des machines, dans des bennes, ou sur e-Bay, nous les avons achetées pour pas cher du tout, nous les avons remises en marche, et maintenant nous pouvons faire des films. Nous pouvons développer toutes sortes de pellicules, négatif, inversible, positif, noir et blanc, etc., avec des machines sur lesquelles nous avons la main. Nous pouvons faire des tirages contact, des tirages optiques, nous avons toutes les sources de son, lecteur-enregistreur 16 mm, caméra-son pour le son optique, nous pouvons faire tout ce que nous voulons, nous-mêmes. Il n'y a pas que ce seul labo , il y en a une dizaine comme cela en Europe, et au Canada, en Corée du Sud, etc. Donc, les artistes commencent à s'occuper eux-mêmes de la technique - des techniques dépassées : nous tournons beaucoup en 16mm, mais les labos ne font pratiquement plus de copies sonores. Pour trouver un labo qui fasse une copie 16 avec le son optique, ce n'est pas évident. Mais nous, on peut le faire 
Donc, du côté des problèmes d'informatique, peut-être les artistes qui faisaient des choses artistiques avec les anciens ordinateurs prendront-ils en main le fait de préserver d'anciens ordinateurs. Mais c'est intéressant de savoir que des artistes prennent en main le tirage, les copies, éventuellement la fabrication de la pellicule 37 ... L'industrie ne le fait plus, et nous avons encore envie de travailler avec nos caméras... Le super-8 sonore n'existe plus, mais les caméras super-8 existent; donc peut-être quelqu'un va-t-il commencer à fabriquer du super-8 sonore pour faire plaisir à nos caméras. Des technologies industrielles disparaissent, et des artistes vont continuer..

Michel Lefebvre.- C'est peut-être ça, la solution ; d'une façon paradoxale, pour conserver une oeuvre numérique, il va falloir la filmer, parce qu'on est sûrs qu'on conservera la pellicule. Quant aux appareils, si une roue dentée tombe en panne, on la refait ; ça se refabrique ; un microprocesseur, non. Finalement, on ne connaît pas la durée de vie d'un microprocesseur . est-ce que, dans 20 ans, ils ne se décomposeront pas de l'intérieur ? et c'est irréparable. On ne peut pas le refabriquer.

Pip Chodorov.- Ce n'est pas une pyramide 

Michel Lefebvre.- Voila.

Yvonne Mignot-Lefebvre Pourquoi ne peut-on pas le refabriquer ?

Pip Chodorov Il faut une usine, avec 5000 personnes dedans, habillées en blanc avec des gants...

Michel Lefebvre.- C'est tout un process industriel qui ne peut pas se dissocier. Tandis qu'une roue dentée de projecteur, on peut toujours la refaire. C'est moins fragile, finalement.

Pip Chodorov.- A L'Abominable, on fait cela. Nous avons acheté un tour-fraiseuse. Il y a une galerie en Chine qui fait des projections 16mm, et ce matin, j'attendais que quelqu'un passe avec un objectif chinois d'un diamètre que nous ne connaissons pas ici, pour que je fasse une bague d'adaptation, et insérer un grand-angle pour renvoyer en Chine. Et ça, c'est parce que nous avons la machine-outil. En fait, ils pourraient très bien faire cela en Chine, mais coïncidence, il se trouve que ça arrive aujourd'hui

Alain Montesse.- Je reviens à une question d'ordre général à propos du projet de portail du Ministère : comment peut-on se sortir de cette difficulté à s'organiser ? Est-ce que quelqu'un a déjà envisagé de faire un forum de discussion sur le net, tout bêtement ?

Pip Chodorov.- Pas exactement; Je voulais qu'on fasse des réunions régulières, qu'on se réunisse physiquement une fois par mois... Un forum sur le web serait déjà quelque chose, oui... sauf que ce serait une discussion interne, une mailing list..

Alain Montesse.- Je ne pensais pas à une liste, mais à un vrai forum, où les messages restent, sont plus ou moins visibles de l'extérieur, où les discussions sont structurées, par thèmes, par fils...

Pip Chodorov J'ai demandé à la personne du Centre Pompidou quels sont les critères de compression qu'ils appliquent pour leurs numérisations ; il me l'a dit. J'ai demandé la même chose à Emmanuel Lefrant de Light Cone, et il me l'a dit. Du coup, au Collectif Jeune Cinéma, nous avons fait notre projet pour le Ministère en utilisant ces critères ; en disant "nous allons faire comme eux". Parce que si quelqu'un commence à numériser 10000 films, même s'il n'a pas pris le meilleur format, il faut peut-être s'aligner. On ne va pas faire du Flash alors qu'il faut du MPEG-2, ou vice-versa. C'est c..., mais c'est comme ça.
Donc déjà d'une manière très très pratique, ces discussions se font. Il n'y a d'ailleurs pas beaucoup de discussions à avoir : mais c'est vrai que les bases de données vont demander qu'une cohérence soit donnée. Pour l'indexation par exemple d'un film de Bokanovski, je vais avoir des mots-clés, comme "miroir déformant", "musique concrète", "surréalisme", etc. Il faut que ces mots-clé soient compatibles avec d'autres mots-clés que d'autres gens ont défini, afin que quand quelqu'un fait une recherche, cette recherche soit fructueuse.

Alain Montesse.- Si je regarde les chiffres donnés lors de la réunion de juillet dernier, je lis :
Light Cone   : 3000 oeuvres
Heure Exquise ! : 300 vidéos numérisées, pas de précisions sur leur stock total
Re:Voir : 800 court-métrages
Collectif Jeune Cinéma : 700 heures
Forum des Images : plus de 5000 titres, 3000 heures....  
Quant à l'INA, n'en parlons pas. La documentation est un problème de fond, qu'on a un peu tendance à oublier tellement il est énorme.

Pip Chodorov.- Brakhage a fait 350 films, il y a tout à faire, même à restaurer les négatifs. Dominique Lange a fait beaucoup de films en Super-8, des heures et des heures : tu gardes ça chez toi, tu ne vas pas tout numériser..

Dominique Lange.- Si je reprends ta comparaison avec les tableaux, c'est comme si, une fois qu'on a fait les photocopies, on jette tout le Louvre...



3.3.- E-30

Alain Montesse.- Pour conclure, je vais m'offrir un petit plaisir - il faut quand même qu'il y a quelques images dans cette séance. C'est mon tout premier film, c'était en 8mm, il est resté à l'état d'original et dans un assez sale état, j'ai donc entrepris de le restaurer - image par image car comme vous allez voir, il n'est pas possible de faire tourner un logiciel de restauration automatique là-dessus. Je n'en ai encore fait que la première partie - les 2/5 - , ce n'est pas tout à fait au point, mais c'est déjà présentable. C'était à Bordeaux, en mars-avril 1968 ; ça s'intitulait E-30 (pour expérimental 30 mètres - au final ça en a fait davantage), et aujourd'hui, en le restaurant, je me suis dit que c'était un peu mon homme à la caméra à moi. Et donc, 40 ans après, je lui ai trouvé un sous-titre : Le jeune homme avec la petite caméra .

A la prochaine !

La séance se termine par la projection de la première partie de E-30 (6' et quelques secondes).
La discussion se continue
off record et à bâtons rompus à la terrasse d'un café de la place Jussieu. On envisage entre autres choses les axes de discussion d'un éventuel forum, la construction d'une machine artisanale de numérisation du 16mm en HD...

... à suivre.




1 L'effet "bullett time" est la reprise, sur un mode plus industriel, des bricolages mis au point par Michel Gondry dans différentes pubs, à commencer par la pub Smirnoff de 1996. Cet effet, connu aussi sous le nom de "temps gelé" ou de "temps suspendu", est un mélange de la technique bien antérieure et connue en architecture de la stéréophotogrammétrie (prise de vue d'un même objet sous différents angles, afin d'effectuer des mesures) et de la décomposition du mouvement à la Muybridge-Marey-Demenyï-etc. Le mélange était nouveau, les ingrédients étaient anciens, cf. http://escience.anu.edu.au/lecture/cg/CGIntroduction/Data/matrix_bullettimewalkthru1.mov

2 Voir par exemple la rétrospective de la cinémathèque de Dole il y a quelques années ( http://www.dole.org/mediatheque - elle n'est plus en ligne, mais elle y reviendra) ; ou celle de Christian Lebrat au Forum des Images à Paris durant l'été 2005 ; ou celle de de Christian Lebrat et Nicole Brenez duranr l'année 2000 à la Cinémathèque française. Voir aussi http://www.braquage.org/Guide/VADE.html

3 Cf. http://www.mediamatic.net/article-9121-en.html  ; http://www.ifilm.com/player/?ifilmId=2664111

4 La masse critique, auto-histoire de la Hamburger Filmkooperative, diffusée sur ARTE le 10/2/2000 à 0h30 ; cf. :
http://www.diethede.de/diethede/films/detail/masse.html  

5 Cf. The Differences Between Film & Digital Vid ( http://www.kodak.com/US/en/motion/news/wallis.shtml ), ainsi que http://www.cinematography.net/Pages%20GB/Telecine%20type%20overview.htm , etc.

6 Il a aussi semble-t-il existé un système allemand, dénommé Toccata, dont je ne retrouve plus trace que dans Culture-Pub, M6, 13/2/1994.

7 Cf. http://reperages-rhone-alpes.com/ , http://www.transferts-numeriques.com/telecinema.html  ;
http://www.dvdinfinity.com.au/index_fr.htm

8 On trouvera d'autres précisions en http://www.son-video.com/Conseil/Video/IntroTVHD.html
http://pages.videotron.com/danjean/HDTV.html
http://www.expandore.com/product/Sony/Proav/model/HDV/QNA.htm ..
http://www.repaire.net/site/montage/montage_HDV/montage_hdv_retour_experience.php
http://www.swisseffects.ch/franzoesisch/e_scan/pages/e_scan_mpict2.htm

9 Vidéo entrelacée : http://www.labdv.com/leon-lab/video/interlace.htm  ;
Qu'est-ce que l'on entend par vidéo progressive ? : http://boostercorp.com/article/articleview/24/1/2/index.htm

10 Pour plus d'informations : http://www.repaire.net/site/sfx/ae/9.php
http://www.dvdanime.net/articleview.php?id=44#pulldown

11 Cf. http://www.centrimage.com/page/resto%20num%20doc%20audio.htm
http://graphics.cs.msu.su/en/research/denoising/index.html
http://www.compression.ru/video/denoising/index_en.html
http://compression.ru/video/old_film_recover/index_en.html
http://www.imagineersystems.com/support/mokey/tutorials
http://www.genarts.com/sapphire-ae.html

12 Sur la projection 2k, cf. http://www.barco.com/digitalcinema/en/products/DLPCinemaprojectors.asp

13 Cf. http://www.lowave.com/releases.php?lang=french
http://lowave.com/?language=FR&section=shop&display=focus&focus_ref=LOWAVE010DVD
http://www.doriane-films.com/pages/dvd_experiemental/cat_experime.htm
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/cultureplus/fiche.php?diffusion_id=29882

14 Cf. http://www.cinedoc.org  ; cf. Animeland n°113 ( http://213.186.42.207/?rub=articles&id=689 ) ;
http://www.dvdanime.net/critiqueview.php?id_critique=1541

15 Evidemment, le développement ultre-rapide des sites de partage vidéo (YouYube, Dailymotion...) a depuis modifié sensiblement la situation et entraîné une diffusion quantitativement bien plus importante... avec des problèmes de droits, de qualité, etc, spécifiques :o)(note ajoutée fin 2007) .

16 Cf. http://www.re-voir.com

17 Cf. The Differences Between Film & Digital Vid ( http://www.kodak.com/US/en/motion/news/wallis.shtml )

18 Cf. http://palimpsest.stanford.edu/byauth/vitale/digital-projection/

19 Cf. http://www.clarkvision.com/imagedetail/eye-resolution.html

20 Cf. http://www.blu-ray.com/faq/

21 Cf. http://www.cd-writer.com/blu_ray_faq.html

22 Cf. http://www.eyedesignbook.com/ch3/eyech3-i.html

23 Cf. http://www.clarkvision.com/imagedetail/eye-resolution.html

24 Voir aussi http://www.nmartproject.net/agricola/mpc/volume6/urban.html  ; un autre site Flash s'intitule, significativement, " mort de la télé " : http://www.mortadellatv.com/online.html

25 Cf. http://www.crdp.ac-creteil.fr/artecole/de-visu/v-jay/welcome.htm  ; http://homepage.mac.com/etrerk/readdvdsample/readmov.html ...

26 Cf. http://www.quidam.fr

27 Cf. http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/affinites/fiche.php?diffusion_id=50696

28 Cf. http://www.objectif-cinema.com/article.php3?id_article=3123&artsuite=0

29 Cf. http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/place_toile/fiche.php?diffusion_id=59397 (la reécoute n'est probablement plus possible)

30 "Eléments sur les procédés probabilistes (stochastiques) de composition musicale", Kéleüt , L'arche, Paris, 1994 (ISBN 2-85181-333-1.

31 On pourrait remonter au colloque de Lyon en 1978. Patrice Kirchofer en rendit compte sous le titre éloquent d Le merdier. Le problème (manque d'accord dans le milieu) dure depuis longtemps. Pour plus amples informations, cf. par exemple http://emedia.free.fr/exp/exp3.html , ainsi que les autres fichiers du répertoire http://emedia.free.fr/exp/ .

32 Dans sa lettre d'avril 2008, Heure Exquise !, qui est plutôt vidéo que cinéma expérimental, se déclare " très inquiet [e] pour le développement de [ses] activités ", " toujours en colère, mobilisée et vigilante " ( http://www.exquise.org/lettredinfo/avril2008/avril2008.htm ).

33 . Dans la nuit du 19 septembre 2006, France Culture diffusa une histoire des débuts de cette vidéo indépendante : http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/surpris/fiche.php?diffusion_id=45130

34 Cela se fait peut-être déjà en photographie, cf. les images d'Andreas Gursky ( http://www.moma.org/exhibitions/2001/gursky/gursky2.html ...)

35 Objection éventuelle : le cinéma dynamique fonctionne à 60 images par seconde, et l'illusion de réalité y est très forte. Il y a probablement une différence entre ce que Pip appelle l'effet cinéma et l'illusion de réalité

36 NDLC : Alain Montesse se souvient fort bien d'une discussion avec Luc Ferrari, à la cantine des MANCA (Musiques Actuelles Nice Côte-d'Azur), en 1982, à propos du fait que tous les CD nous semblaient sonner un peu de la même façon : échantillonner à 44100 Hz implique qu'un son à 22000 Hz est représenté par une onde carrée ; même si l'on n'entend en général pas directement ces bas ultrasons, il nous semblait certain que cela était pour beaucoup dans l'aspect uniformément clinquant du son des CD.

37 On trouvera en http://www.flickr.com/photos/dark_orange/sets/72157603226919391/ les éléments d'une machine artisanale à fabriquer de la pellicule.