Origine
Au printemps 2003, alors que je préparais une communication à un colloque, sur le film de Mamoru Oshii Avalon[1], mon attention s'arrêta sur une citation trouvée sur le net :
« Grâce à cette nouvelle "métatechnologie", la minorité dominante créera une structure uniforme, supraplanétaire, embrassant tout, et destinée au travail automatique. Au lieu de fonctionner activement comme une personnalité autonome, l'homme deviendra un animal passif, sans but, conditionné par la machine, et dont les fonctions propres, suivant l'actuelle interprétation du rôle de l'homme par les techniciens, seront soit insérées dans la machine, soit strictement limitées et contrôlées au profit d'organisations dépersonnalisées, collectives. ((Mumford, trad. 1973, p. 2) »
Il s'agissait d'un extrait du Mythe de la machine, de Lewis Mumford (Fayard, 1967), cité par Henri Ghesquière dans son mémoire de 3e cycle L'entreprise et son système d'information...[2]. Les implications de ce terme, "métatechnologie", me semblèrent suffisamment conséquentes pour nécessiter un développement spécifique. Vérification faite sur le livre-papier, il s'avéra qu'il y avait eu lapsus ou faute de frappe : le texte imprimé de Mumford dit "mégatechnologie", ce qui est bien plus cohérent avec le reste de son uvre. Néanmoins, les questions soulevées par la "métatechnologie" demeuraient, il fallait donc essayer de les traiter. Telle est l'origine du présent article.
Métatechnologie ?
Une simple interrogation de google montre que le terme est d'apparition assez récente (quelques dizaines d'années), et que, s'il n'est pas encore courant en français, il est déjà assez répandu en anglais : des centaines de réponses en anglais, quelques dizaines en allemand et en français. Restent à voir en particulier le russe, le japonais et le coréen, dont l'interrogation est moins simple. Il est souvent corrélé à méta-outil, méta-utopie, méta-système, méta-ceci, méta-cela ; avec ou sans tiret, les " méta " se métastasent. Il est souvent, mais pas nécessairement, corrélé aux NTIC.
Je n'ai pas encore tout regardé en détail, et la présente communication ne peut être qu'un premier tour d'horizon. Voici quelques échantillons des réponses, qui m'ont semblé significatifs :
L'apparition du phénomène n'est pas limitée au monde anglo-saxon :
« On peut considérer la technologie comme une combinaison complexe de moyens techniques et de représentations logiques. En tant que partie de la technologie (au sens large du mot, de la mnémotechnique aux vaisseaux spatiaux), la logique (ou plutôt l'idéo-logie) reste inconsciente....
Dans l'évolution générale de l'imagerie, ce ne sont pas seulement les technologies de la représentation qui changent, mais la représentation de la technologie qui est probablement dans un processus of changement constant......
Chaque idéologie a sa technologie et chaque technologie détermine sa propre idéologie.
Dix ans après l'effondrement de l'union soviétique, la publicité est devenue un fait de la vie quotidienne pour chaque habitant de la Russie. La publicité a introduit de nouvelles histoires idéologiques et technologiques dans l'existence quotidienne des Russes, spécialement celle de la promesse d'une nouvelle vie. L'intervention de l'imagerie visuelle,accompagnée de l'introduction de nouvelles technologies a entraîné un changement dans la méta-technologie de la représentation.
Tampax fut l'un des premiers produits occidentaux à entrer sur le marché russe à la fin des années 80. Au début de ses activités en Russie, Tampax utilisait pour sa publicité une imagerie plutôt directe : une Statue de la Liberté dont la torche avait été remplacée par un tampax--une allégorie de la façon don la démocratie occidentale (US) et le marché libre pouvaient apporter la liberté à la femme soviétique opprimée. »[7]
Le préfixe "méta" signifiant en quelque sorte "au-delà de...", la métatechnologie désigne ce qui est au-delà de la technologie. Comme on voit, ces au-delàs sont assez divers. Encore a-t-on négligé ici les élucubrations trop ouvertement religieuses, technopaïens, bouddhistes virtuels, adeptes de la conscience cosmique, métapsychistes assistés par ordinateur, etc.[8]. On notera cependant que dans le terme "métatechnologie", toutes les racines sont grecques, le latin n'intervient qu'en fin. Dans l'imagerie occidentale, les grecs sont plutôt philosophes (et menteurs), les romains plutôt juristes (et impérieux) ; on subodorera donc que la métatechnologie penchera probablement plutôt du côté de la métaphysique que de la Loi, fut-elle scientifique.
Falsh-back : Technologies
Historiquement, la technologie semble être apparue pour de bon en Europe au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, lors de la création des écoles d'ingénieurs, lorsqu'il a fallu enseigner les techniques aux futures élites de la république industrielle, et pour cela tenir un discours public sur la technique, sortir du cadre traditionnel et confidentiel des corporations. Telle est la thèse de Jean Baudet :
« C'est vraiment presque l'opposition - parce que cela va jusqu'à l'opposition - entre technique et technologie, qui m'a servi à faire la coupure entre les deux volumes. Le premier volume s'arrête en 1800, le second commence en 1801, et c'est à ce moment-là, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles que la technique devient technologie. Et comment la technique devient-elle technologie ? Elle devient technologie - je suis obligé de schématiser - parce qu'elle devient réflexive. Et elle devient réflexive parce qu'elle commence à être enseignée. [Auparavant, jusque vers 1794,] les techniques se transmettent par l'exemple : il y a des apprentis, qui vont chez un maître, et qui voient comment le maître fabrique. A partir de 1794, il y a en France quelque chose d'extrêmement important, c'est la fondation de l'Ecole Polytechnique, c'est à dire l'idée de faire des ingénieurs... Donc c'est la naissance de l'ingénieur au sens moderne du terme qui correspond à l'apparition de la technologie.... A ce moment-là, on commence à réfléchir sur les machines, on commence à avoir des cours qui décrivent les machines d'une façon beaucoup plus réfléchie, scientifique, que les théâtres de machines, comme il en existait à la Renaissance, et il va y avoir un mouvement de va-et-vient entre cette réflexion sur la technique et l'évolution de la science... »[9]
Pour les corporatistes tenants du secret (professionnel, militaire, industriel et commercial...), la diffusion de la technique par la technologie serait donc de l'ordre de la divulgation, , du dévoilement, et donc à combattre ou du moins à réserver à une élite. Cette attitude, faut-il le souligner a) perdure souvent encore b) est parfois justifiée.
François Charpin (professeur de linguistique à Jussieu) nous ramène dans les mêmes dates : « Introduit dans la langue savante vers 1800, le mot technologie se réfère aux machines, aux matériaux, aux outils, aux modes de fabrication utilisés par les ingénieurs ». Charpin remarque toutefois qu'« une telle spécialisation ne correspond pas à son histoire dans la langue grecque qui l'a créée ». Il rappelle de nombreuses apparitions antérieures du mot, chez Galien, Epictète, Jamblique, Plutarque, Sextus Empiricus... Dans tous ces cas, « la part la plus importante est donc réservée à la communication. Par un étrange retour des choses, les nouvelles technologies , telles qu'elles se définissent actuellement, sans renoncer au rôle que les deux derniers siècles leur ont octroyé dans l'industrie, renouent avec la tradition antique par la place qu'elles accordent au traitement de l'information. »[10]
Au sens propre, la technologie désigne les discours que l'on peut tenir sur, ou à propos de, la technique. Dans l'antiquité, le vocable tekhné s'appliquait assez indifféremment aussi bien aux techniciens qu'aux artistes. La différenciation entre ces catégories de personnels ne s'est faite qu'au cours du XIXe siècle, avec le romantisme et l'essor de l'industrie. Le nom même de « Conservatoire National des Arts et Métiers » témoigne bien de ce que, à la fin du XVIIIème siècle, le double sens perdurait encore.
Institutionnellement, le MIT est apparu en 1861[11], succédant de peu au projet d'établissement d'un « Conservatoire de l'Art et de la Science »[12] - juste avant la Guerre de Sécession, qui fut comme on le sait peu en Europe la première guerre techno-industrielle de l'histoire, avec l'usage intensif du chemin de fer, avant même la guerre franco-allemande de 1870. On observera que l'exemple vient explicitement d'Europe, et qu'il s'agit de lutter « pour la suprématie ». Suivant la conquête de l'Ouest, le CalTech fut fondé en 1891, mais ne prit le nom de « collège de technologie » qu'en 1913.. et n'admit les femmes qu'en 1970[13].
« Pourquoi a-t-on recours au mot technologie ? » se demande un rédacteur anonyme de l'Encyclopédie canadienne de l'Agora, dans le dossier "technologie" :
« "De deux mots, il faut choisir le moindre", disait Valéry. Or, il existe un mot, qui est moindre que technologie et qui signifie la même chose: technique ... Comme le rappelle Jacques Ellul, on commet déjà l'erreur d'employer le mot technique à la place du mot machine ou machinisme. Pourquoi ajouter à la confusion en employant le mot technologie, encore plus général, à la place du mot technique ? ».
Il propose une réponse :
« C'est, semble-t-il, l'Américain John Bigelow, professeur à l'université Harvard, qui a lancé le mot technologie au milieu du XIXe siècle. Le mot technologie dans le sens qu'on lui donne depuis lors désigne la technique en tant que fondée sur la science moderne, par opposition aux techniques traditionnelles, celles du violoniste ou du peintre par exemple, qui étaient d'origine empirique. Mais à ce sens qui justifie peut-être la substitution du mot technologie au mot technique dans certains cas s'en ajoute un second, qui est proprement religieux: chaque fois qu'on utilise le mot technologie, on annonce le paradis sur terre et on adresse une prière à l'Homme, maître et souverain de la nature. Il s'agit d'une parole sacramentelle.
N'est-ce pas la dimension religieuse du phénomène qui explique pourquoi, en matière de technologie, tant de choix ne sont pas dictés par la raison, par le froid calcul de ses intérêts. Bigelow, celui qui a forgé le mot technologie, était le fervent disciple de l'ingénieur John Etzler, auteur d'un best-seller paru en 1833, sous le titre de The Paradise Within the Reach of All Men, Without Labor, by Power of Nature and Machinery. The Paradise, voici les lendemains qui chantent, voici la promesse électorale parfaite. Within the Reach? Ce paradis sera sur terre et non dans un inaccessible au-delà... All Men , voici la démocratie; by power of nature and Machinery, voici la technologie. Ce titre pourrait être considéré comme le thème central de la religion du progrès. »[14]
En Europe, dès le XIXe siècle, le terrain linguistique était déjà solidement occupé par le terme "polytechnique", et le terrain religieux par le positivisme, qui se voulait déjà une religion "scientifique" (on reparlera du cartésianisme ci-dessous). Voila qui aura peut-être retardé en Europe l'implantation de la technologie au sens nord-américain. Quoi qu'il en soit, il faudra des études linguistiques plus approfondies pour déterminer les domaines territoriaux des différents sens du mot "technologie" et des mots proches ("polytechnique"), et l'histoire de leurs migrations. Résolument cuméniques, les Suisses traduisent en Swiss Federal Institute of Technology leur Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne[15].
On ne peut parler de technologie et/ou de polytechniques sans dire quelques mots des ingénieurs. Le mot est beaucoup plus ancien que la catégorie de personnels qu'il désigne aujourd'hui. Déjà au moyen-âge, les ingeniatores dégageaient au nez de l'Église un fumet sulfureux, car si l'uvre de Dieu est parfaite, pourquoi vouloir la transformer ? Un ingeniator est habité par un génie, et ce génie ne peut être que mauvais. Les ingéniators, au moyen-âge et à la Renaissance, uvraient principalement dans le domaine militaire : les ingénieurs, comme leur nom l'indique, font des engins de génie. Léonard de Vinci, rédigeant son curriculum vitae pour passer des Borgia de Florence aux Sforza de Milan, « dira qu'il est expert en percement de murailles, en fortifications, et tout en bas de la lettre, qu'il s'est fait reconnaître pour quelques qualités concernant les beaux-arts »[16].
Pour plus de détails, on se référera notamment à l'ouvrage d'Hélène Vérin La gloire des ingénieurs[17]. Et si l'on veut connaître une joyeuse solution à l'énigme fondamentale du XIXème siècle, on se référera bien sûr à La belle Hélène, acte I, scène 11°:
« Pâris - Oui, oui, locomotive ! Et c'est fort d'avoir trouvé ça quatre mille ans avant l'invention des chemins de fer !
(...)
Le Chur - Gloire à Pâris victorieux, il est vraiment ingénieux... »[18]
« Une technologie suppose tout d'abord une action concertée, souvent des hommes d'État et du pouvoir militaire, en vue d'un développement méthodique.... Développement méthodique, mariage de nombreuses techniques et utilisation des connaissances scientifiques, ce sont là des ingrédients suffisants pour parler d'un nouveau phénomène, de technologie. Appelons par conséquent technologie un système constitué d'un ensemble de techniques simples nécessaires à son fonctionnement et qu'il intègre efficacement , qui incorpore en outre des connaissances scientifiques, et qui, enfin, est méthodiquement développé, que ce soit par les gouvernements, les entreprises ou l'armée . Prise en ce sens, la technologie constitue une nouvelle étape dans la longue histoire des techniques. Elle ne naît véritablement qu'au XIXe siècle, et c'est au XXe qu'elle explose littéralement, marquant profondément notre époque. »[19]
Pour une étude de la « mise en image filmique de l'adoration futuriste de la machine », on se référera à l'article de Wanda Strauven, de l'Université d'Amsterdam, « Le mécanoïde et l'androïde... ». Elle y examine à la lumière du futurisme les principaux films technologisants des années vingt :
La Roue, Abel Gance (1922)
Ballet mécanique, Fernand Léger (1924)
Stachka, S.M. Eisenstein (La Grève, 1924)
L'Inhumaine, Marcel L'Herbier (1925)
Metropolis, Fritz Lang (1926)
Impatience, Charles Dekeukeleire (1928)
ainsi que la pièce de théâtre R.U.R., du tchèque Karel Capek (1920), qui nous a laissé le mot "robot" (on observera que cette pièce fut créée à Prague, où était déjà apparu, quelques siècles auparavant, le Golem ; existerait-il une filière pragoise en matière de créatures artificielles ?).
« Dans les années vingt, la représentation de la machinerie et du paysage modernistes atteindra son apogée dans les documentaires urbains, les soi-disant "symphonies de ville", où la métropole fonctionne en tant que lieu de rencontre des nouveaux protagonistes, les machines. Un certain fétichisme industriel corrélatif à cette passion pour les « villes modernes et trépidantes » caractérise ainsi Berlin, die Symphonie einer Grosstadt (Berlin, symphonie d'une grande ville, 1927) de Walter Ruttmann...
La "symphonie de ville" tournée à Moscou par Dziga Vertov, Chelovek s kinoapparatom (L'Homme à la caméra, 1929), peut être rapprochée de celle de Ruttmann : les deux documentaires racontent la journée entière d'une ville, de l'aube jusqu'à la nuit ; dans leur totalité, ils constituent en quelque sorte une métaphore de la respiration d'une métropole. »[20]
Il existe d'autres "symphonies de ville" : Moscou, de Mikhaïl Kaufman (frère et cameraman de Vertov) (1926), Études sur Paris de Sauvage (1928, récemment retrouvé et restauré), À propos de Nice (1930) de Jean Vigo (dont le cameraman était un autre frère cadet de Vertov, Boris Kaufman). Mais L'Homme à la caméra est le seul où la caméra, animée image par image « comme "une grosse araignée" », accède au statut de « vrai protagoniste ».
Critiques
Jusqu'à la seconde guerre mondiale, les technologues sont en général technophiles (si l'on excepte les briseurs de machines, canuts, luddites et autres saboteurs, qui n'ont que fort peu théorisé leurs actions). Depuis, les critiques et les anti-technologues se multiplient (la bombe atomique et la guerre froide ont singulièrement refroidi l'enthousiasme du public pour le progrès scientifique indéfini). On citera en particulier les noms de Heidegger, Mumford, Ellul, Packard, Bookchin, Moles, Illich, Lévy-Leblond, Pynchon, Gibson, Virilio, Dantec, Jonas, Lecourt, que l'on appréciera diversement, dont chacun nécessiterait une étude spécifique, mais dont on ne peut ici dire que quelques mots.
Comme on le répète à l'envi, pour Heidegger, « la science ne pense pas » (sentence prononcée lors d'une conférence en 1952), et « la technique est un mode de dévoilement » (« Die Technik ist eine Weise des Entbergens », Die Frage nach der Technik, 1953). L'effondrement de l'univers mythique, qui a ouvert la voie au nihilisme contemporain, trouve sa source dans le christianisme, « en particulier dans sa version luthérienne, dans sa version anti-romaine, ce christianisme là, dans sa version réformée, est un christianisme démystifiant (...) : revenir à la lettre des évangiles, retravailler les textes, en faire la critique (...) pour retrouver ce qu'il n'y a pas de mythologique dans le christianisme »[21]. Il faut donc constituer un nouveau mythe, que Heidegger rêvera comme une sorte de Grèce antique à la Hördelin, où la Technik rejoindrait la tekhné dans la poiesis... et il adhérera au parti nazi, de 1933 jusqu'à la fin. En septembre 1934, après sa démission du Rectorat, après l'élimination des SA dans les luttes internes du parti (nuit des longs-couteaux, 30 juin 1934), il participe à l'élaboration d'un projet d'" Académie des professeurs du Reich ", où il « soumet un projet détaillé. Il y est notamment question de "repenser la science traditionnelle à partir des interrogations et des forces du national-socialisme" »[22]. Le discours heideggerien est bel et bien une techno-logie, une anti-technologie si l'on veut, concurrente de la technologie au sens habituel du terme. Dans ces conditions, « seul un dieu peut nous sauver »[23]. Selon Jean Pierre Dupuy, « l'ère des "technologies convergentes" va aggraver considérablement ce schéma »[24].
On a déjà vu que l'attribution à Mumford du terme de "métatechnologie" est à la source de la présente communication. Dans son article « A Social Ecology », John Clark note que la Mégamachine, apparue dans l'antiquité en particulier sous la forme de l'empire égyptien,
« ... réémerge dans le monde moderne sous une forme technologique bien plus complexe, avec une puissance largement accrue, diverses expressions politiques, économiques et culturelles, et une apparente impénétrabilité au contrôle ou même à la compréhension humaines... La vision par Mumford du processus de renversement de ces tendances historiques est une vision socio-écologique. (...) A la suite de Geddes, et préfigurant le biorégionalisme, Mumford croit que la communauté locale doit être enracinée dans les réalités naturelles et culturelles de la région. »[25]
Mumford fut effectivement l'élève du penseur écossais Patrick Geddes[26], dont John Clark fait remonter les conceptions au géographe anarchiste Elisée Reclus, et voit en Murray Bookchin un continuateur de Mumford : « L'accent mis par Bookchin sur le rôle central du développement de l'économie capitaliste dans la crise écologique est particulièrement important, et corrige la tendance de Mumford à surestimer la technique aux dépens de l'économie. »[27]
La méta-technologie serait donc le ciment idéologique de la "mégamachine" que constitue la grande ville moderne ; la critique de la technologie est donc indissociablement critique de la ville et de l'urbanisme. Paul Virilio est le dernier (en date) représentant de cette tendance en France contemporaine[28] ; auparavant, on ne saurait oublier les chroniques de Pierre Fournier dans le Charlie-Hebdo des années 70[29], ni bien sûr les écrits d'Ivan Illich[30]. La critique de la technique risque à tout moment de tomber dans le néo-ruralisme, voire le retour à la terre.
Un autre critique important de la technique est Jacques Ellul, beaucoup plus apprécié en anglo-saxonnie qu'en France :
« Ellul a été le premier, du moins en France, à proposer une analyse non idéologique du phénomène technicien comme tel... Dans son dernier livre sur la technique (Le bluff technologique, Hachette, 1988), Ellul a paru céder à un pessimisme par trop manichéen (c'est d'ailleurs, l'opinion de certains de ceux qui lui rendent hommage, par exemple Gilbert Hottois). Cependant, il a su affronter sans biaiser les problèmes posés par la prolifération du " techno-discours ", symbiose nouvelle entre l'idéologie technicienne, les médias et les nouvelles techniques de communication. » [31]
Bien d'autres noms pourraient encore être cités. Vance Packard (L'Homme remodelé, 1977) fut l'un des premiers à attirer l'attention sur les nouvelles possibilités et les nouveaux dangers bio-technologiques. Schumacher reprit le slogan « Small is beautiful » et en fit un livre en 1973. Thomas Pynchon, outre les composantes technologiques de ses romans[32], publia dans le New York Times du 28 Octobre 1984, un court essai intitulé Is It O.K. to Be a Luddite ?[33], qu'Alliage traduisit en français dès son n°4 (été 1990).
Depuis une vingtaine d'années, les différentes critiques de la technique ont commencé à se structurer politiquement, en divers mouvements et partis écologistes. On peut comprendre l'émergence de l'écologie en tant que revendication politique comme une sorte de critique interne, "de bonne volonté", de la technologie par elle-même. La solution des problèmes viendrait d'une "meilleure" application de la technique, qui aurait été dévoyée de sa pureté originelle.
Parmi les précurseurs de cette tendance, on citera l'architecte Paolo Soleri, qui dès les années 60 projeta des arcologies - une arcologie étant une architecture utopique, un habitat intégré pouvant sur le papier accueillir plusieurs milliers d'habitants dans les meilleures conditions. Soleri est plus sympathique que Le Corbusier, mais l'idée est un peu la même que la Cité Radieuse, en plus grand. Le terme d'arcologie a tout de suite été adopté par la littérature de science-fiction (William Gibson, Silverberg...). Depuis les années 1970, Paolo Soleri construit peu à peu une première arcologie expérimentale à Arco Santi[34] dans le désert de l'Arizona ; Alphonse Allais proposait déjà de construire les villes à la campagne ; l'Arizona est sans conteste et sans contexte un lieu encore plus adapté, car on y part vraiment de rien. La table d'une mesa serait aussi une bonne réalisation géologique de la tabula rasa cartésienne, s'il ne fallait hisser les matériaux là-haut. On peut rapprocher de cette tendance certains hackers, pour qui « dans l'avenir, cette même technologie - libérée de tout contrôle politique - rendrait possible tout un monde de zones autonomes »[35]. Plus récemment, l'expérience "Biosphère 2", puis de nombreuses émissions dites "de télé-réalité" nous ont fourni divers exemples d'isolats.
Comme le souligne Jean-Marc Lévy-Leblond (le fondateur de l'excellente revue Alliage) à propos de catastrophes récentes : le plus étonnant, c'est que cela marche si bien la plupart du temps :
« La question du contrôle du développement techno-scientifique, et en particulier de son contrôle démocratique, est directement liée aux risques que nous courons ( la vache folle, bien entendu). Et c'est une question très difficile, à laquelle je crois qu'il n'existe pas de réponse simple, et que nous devons réfléchir et travailler beaucoup. Pourquoi ? Parce que, avant de savoir contrôler les risques, il faudrait que nous comprenions, non seulement pourquoi dans certains cas ça ne marche pas (pourquoi Tchernobyl a explosé), mais surtout pourquoi ça marche quand même si bien la plupart du temps. Et moi, je dois dire que c'est l'une des choses qui m'étonnent beaucoup... Je suis plus étonné encore de voir que les centrales nucléaires marchent, que de voir que de temps en temps, il y en a une qui ne marche pas ; qu'un avion marche, je crois que c'est quelque chose que nous ne comprenons pas bien. Pourquoi ? parce que nous avons des systèmes d'une telle complexité que personne n'en maîtrise véritablement l'ensemble du fonctionnement, et que les normes de sécurité et de fonctionnement sont si rigides que si on les appliquait vraiment, ça ne marcherait plus. Tout le monde le sait : pour arrêter un système technique ou un système social, il suffit de faire la grève du zèle. Si chacun se met à faire uniquement ce qu'il doit faire, sans jamais violer les normes, tout s'arrête tout de suite. »[36]
La technologie peut en effet être aussi comprise, tout bêtement,
comme l'art d'utiliser, de mettre en uvre les techniques de façon
logique, rationnelle, raisonnable, pragmatique, approximative, moyenneuse,
bricolante. Dans le cas d'une entreprise, cette rationalité s'entend
souvent comme l'amélioration, voire la maximisation de certains ratios de
l'entreprise : PER, taux de profit, taux d'endettement, etc. Mais on vise
parfois prioritairement des critères non spécifiquement et immédiatement
économiques. Ainsi, pour Akio Morita, "grand patron" de
Sony, le développement de la technologie est pour le Japon un « exercice
de survie »[37].
Et pour Thierry Desmarets, PDG de TotalFinaElf, c'est « une
ressource inépuisable »[38]..
Dans le cas d'un artiste ou d'un
artisan, le critère métatechnologique, outre l'esthétique,
aura parfois quelque chose à voir avec la conscience professionnelle ou
l'honneur du métier, l'amour du travail bien fait, la considération
ou le mépris du public ou des clients, etc. Lorsque Bob Dylan est passé
à la guitare électrique en 1965, il ne s'attendait semble-t-il pas
à ce que la réaction de son public folkloriste soit si vivement négative.
Chez l'homo economicus consommator, le critère métatechnologique
de choix sera souvent celui de la valorisation de soi par l'accessoire ou la
prothèse, voiture, perceuse, téléphone mobile à
sonnerie cocoricante, etc. Les femmes semblent jusqu'à présent
moins visées par les publicités des produits dits "de haute
technologie".
Comme on voit, les discours sur la technique sont eux-mêmes assez variés. Une chose demeure constante : la technique ne parle pas, elle fait. Ce qui permet à d'autres de parler à sa place, parfois pour dire n'importe quoi. La technologie, assez souvent, est l'association d'une technique muette au service d'une idéologie plus ou moins néfaste, qu'elle camoufle plus ou moins[39]. Le cousinage entre art et technique se manifeste peut-être aussi dans ce fait que les discours sur la technique fonctionnent de façon assez proche des discours sur l'art : le commentateur projette sur l'uvre ses préoccupations, ses obsessions, ses associations, ses éléments refoulés, etc. ; à l'idéologie de l'art pour l'art répond celle de la technique pour la technique. Le discours technologique fonctionne parfois comme un test projectif, comme une sorte de Rorschach.
On a beaucoup glosé sur un célèbre raccord du film 2001, Odyssée de l'espace (1968) : un os long, du genre tibia, lancé en l'air par un humanoïde des plus primitifs, devient soudainement un satellite artificiel[40]. On dira, si l'on veut, que la métatechnologie est un art du raccord, du montage, de la mise en relation. On a beaucoup commenté la prise d'autonomie du robot HAL (il dispose de capteurs et d'effecteurs, contrôle les fonctions du vaisseau, ce n'est ni un simple "cerveau électronique", ni un pur esprit), et beaucoup pleuré sur son émouvante agonie. On s'est aussi beaucoup interrogé sur le sens du monolithe. Il n'est pas interdit d'y voir une représentation du mutisme de la technique. En 1971, le groupe pop des Who proposa, sur la couverture de son album Who's next, un traitement très simple de cette énigme ; on en trouvera l'image, tout aussi muette, en http://images.amazon.com/images/P/B000002OX7.01.LZZZZZZZ.jpg
Récemment, on a eu la trilogie des Matrix., la sortie du
troisième ayant été accompagnée en France par la
sortie du livre collectif Matrix, machine philosophique[41].
Effectivement, la trilogie Matrix a remis au goût du jour les Méditations
métaphysiques de Descartes, avec l'hypothèse du Dieu Trompeur,
du malin génie qui me ferait croire à la réalité
d'un monde qui n'existe pas. On est donc amené à se demande ce
qui, dans le corpus métaphysique disponible, est plus ou moins facilement
transférable à la métatechnologie. Peut-on transformer les
méditations métaphysiques de Descartes en méditations métatechnologiques ?
Peut-on passer de la spéculation à l'action ?
La première
méditation métaphysique commence par un doute général
sur les connaissances préexistantes. La première méditation
métatechnologique pourrait donc commencer par un doute général
sur les actions à entreprendre. La deuxième méditation se
demande : "peut-on connaître autrui" ; elle
deviendrait "peut-on manipuler autrui ?". La sixième énonce
que, pour développer un savoir, il faut en finir avec l'idée du
dieu trompeur, et démontrer que Dieu existe. Pour développer un
savoir-faire, il faudrait donc en finir avec l'idée que le monde serait
une illusion ; et démontrer que le monde existe. Mais « qu'avons-nous
à faire - c'est Descartes qui parle - de nous mettre en peine de cette
fausseté absolue ? C'est insignifiant. Il n'y a rien à
reconstruire là-dessus »[42].
On voit resurgir le thème de la Ville en tant que mégamachine dans le fait que l'on pourrait facilement attribuer les propos suivants aux frères Wachovski (les auteurs de la trilogie Matrix) :
« ... J'aime l'idée que l'architecte ne crée que la matrice, et que tout le reste lui échappe. Ce collage devient la question de l'identité des gens, pas celle de l'architecte, celle des habitants. (...) Vous créez une matrice, une situation pour que les gens se connectent, et vous regardez ce qui se passe. (...) Ce qui m'intéresse de plus en plus, c'est d'établir une matrice donnée dans une situation donnée, et de voir ce qui se passe; ou de créer une situation dans laquelle l'information peut circuler... »
En fait, ils ont été tenus par l'architecte James Wines dans l'émission d'architecture et d'urbanisme de France-Culture Métropolitains du mercredi 7 janvier 2004, lors d'un dialogue avec François Chaslin[43]. James Wines est l'auteur, dans les années 70, des célèbres supermarchés plus ou moins ébréchés, plus ou moins ruinés de la chaîne Best[44].
Pour le passage au troisième millénaire, on a aussi pu voir[45] un petit bijou de film d'animation, démonstration du savoir-faire de la firme qui l'a produit, que l'on peut encore voir sur leur site (http://www.blackmire.com) : To build a better mousetrap. Ce titre est une citation attribuée à Emerson, selon laquelle même les actions les plus humbles, les plus modestes, telles que construire un meilleur piège à souris, peuvent contribuer au progrès de l'humanité, qui en sera reconnaissante. Le film montre avec jubilation de charmantes petites souris, ressemblant trait pour trait aux innombrables mickeys des dessins animés des années 30, se faire massacrer de diverses façons par un robot tueur au nom évocateur : le Marchand de Mort 2000. L'entrée en scène de la machine est soulignée, comme dans 2001, par les trompettes du Zarathoustra de Nietzsche/Strauss. Ce film peut en particulier être vu comme une mise en scène de la liquidation du dessin animé "à l'ancienne" par la nouvelle technologie de la synthèse d'images. Le spectateur, à la première vision, rit bergsoniennement encore que brièvement, puis il commence - peut-être - à réfléchir.
Technogynies
Traditionnellement, la Science est représentée par une femme, plus ou moins voilée, ainsi que l'Industrie, entourée des nombreux bienfaits et marchandises qu'elle apporte aux hommes. Dans la longue galerie des golems, robots, cyborgs, et autres formes de vie plus ou moins artificielle, qui passe aussi par L'Eve Future[46], Metropolis et le HAL de 2001, on voit se développer au cinéma depuis une vingtaine d'années un nouveau type de personnage féminin, lourdement armé, et qui fait usage de ses armes.
On pense bien sûr tout de suite à Lara Croft. Mais l'apparition
du personnage remonte plus tôt, au moins au premier Alien (1979),
dont l'héroïne Ripley fait maintenant figure de précurseur.
Le fluide corporel acide de l'extra-terrestre dissout les parois métalliques
de séparation entre les différents compartiments du vaisseau
spatial Nostromo (notre homme ? notre home ?) ; l'alien
est, avant la lettre, un précurseur de la mondialisation, qui dissout les
frontières entre les différents compartiments de notre vaisseau
spatial Terre ; la petite communauté locale de Geddes et Mumford a
du souci à se faire.
On observera que la violence de Ripley dans
Alien 2 (1986), culminant dans le combat final des deux mères, se
situe chronologiquement entre le premier Terminator (1984) et le second
(1991), et a peut-être influencé l'évolution du personnage
de Sarah O'Connor entre ces deux films.
A la fin de Terminator 1, la figure féminine, enceinte, est dans une attitude de fuite devant le robot tueur, qui a déjà éliminé l'homme de l'avenir ; elle réussit finalement à éliminer à son tour le robotueur, par des moyens mécaniques (une presse hydraulique).
A la fin de Terminator 2, le personnage féminin est passé à l'offensive, pour défendre son enfant. Le robotueur du premier épisode est devenu protecteur, mais un nouveau robotueur, polymorphe et quelque peu pervers, est entré en scène : après avoir échappé à la congélation, il est finalement éliminé par la chaleur (une cuve de métal en fusion).
Dans Terminator 3, le nouveau robotueur est une robotueuse, dont la mission consiste à éliminer non seulement le héros, mais aussi sa fiancée (vétérinaire...), qui ne lui échappent que grâce à une information de dernière minute, à eux transmise par le père de ladite fiancée, général en charge du réseau militaire à l'origine de toute l'affaire, et qui en meurt au passage.
En somme, en 3 épisodes, le robotueur a changé de sexe, il s'agit d'éliminer et l'homme et la femme (et toute forme de sexe ?) de l'avenir, d'effacer les conditions initiales, et on a parcouru une séquence particulièrement importante de l'histoire des sciences, des techniques et de l'industrie : mécanique, thermodynamique, théorie de l'information, théorie du chaos.
Entre-temps, dans le monde réel, le nom de Terminator a été donné pour de bon à une variété de semences transgéniques volontairement stériles, à propos desquelles on a vu apparaître le néologisme de "nécrotechnologies". L'accord TRIPs/ADPIC (« Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights / Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce », accord particulier dans le cadre de l'Uruguay Round qui a donné naissance à l'OMC) laisse présager des techniques juridiques de verrouillage logiciel et biotechnologique beaucoup plus élaborées.
Les féministes anglo-saxonnes se sont fort intéressées
aux rapports de la féminitude avec la technologie, à ce personnage
de la "Rambimbo" technolooquée. L'une des premières références
incontournables est le Cyborg Manifesto de Donna Haraway[47] ;
on en trouvera une intéressante collection de liens en
http://www.asahi-net.or.jp/~RF6T-TYFK/haraway.html.
et une critique en http://www.cyborgmanifesto.org/spoof.html.
Sous le titre de Strong women, la bibliothèque nationale
anglaise du British Film Institute a compilé une incontournable liste de
films, livres, études, etc.[48]. On y trouvera en particulier les références
de plusieurs études sur le Nikita de Luc Besson considérée
« en tant que cyborg », « version de
la technologie mâle ». On y trouvera aussi l'adresse d'une
fort intéressante étude de Louise Krasniewicz & Michael Blitz
sur les bras et/ou les armes de Linda Hamilton (le mot est le même en
anglais : "arms") The Intersexts of Linda Hamilton's Arms[49]...
située de façon assez inattendue sur un site consacré à
Arnold Schwarzenegger.
Voir aussi le fil de discussion sur la question d'être
ou ne pas être un cyborg en
http://www.feministsf.org/femsf/listserv/feministsf/weeklylogs/2001/fsf.log0108c.txt ,
qui renvoie à une sélection d'histoire de cyborgs par Janet
Abbatte pour son cours d'histoire de la technologie (http://www.inform.umd.edu/EdRes/Colleges/ARHU/Depts/History/Faculty/JAbbate/cyborg/index.html),
l'essai de Rachel Rein sur les cyborgs au cinéma[50],
etc., etc., etc.
La féminisation s'étend aux personnages virtuels : l'extra-terrestre d'Alien 2, la T-rex de Jurassic Park 2, la Godzillette du remake de 1998, sont des femelles en lutte pour la protection de leur progéniture (derrière le personnage de la supercybernana en armes, nous voyons poindre le spectre de la sociobiologie). « Godzilla évoque le T-Rex de Jurassic Park qui aurait pondu des ufs d'alien, avant de mourir avec le regard implorant de King-Kong »[51]. On notera que, dans le cas de Godzillette, la reproduction - par parthénogenèse - est asexuée, ce qui nous dispense du rut des béhémoths, mais nous prive de pornographies particulièrement spectaculaires.
Dans son article « Tissages du futur... », Sadie Plant revient à l'origine du (cyber)monde :
« L'apparition de l'informatique doit beaucoup à l'histoire du tissage dont on a souvent dit qu'il était l'essence du travail féminin. C'est grâce à l'évolution du métier à tisser qu'a pu naître la programmation. (...)
C'est avec Ada Lovelace que s'est peut-être déroulée la première rencontre entre femme et informatique, mais l'association femme-programmation remonte jusqu'aux mythes fondateurs de notre histoire. Pour Freud, le tissage imite la toison qui cache le ventre, cette hysteragrecque, ou matrixlatine. Selon lui, le tissage est la réponse de la femme à l'absence de pénis, c'est la réaction devant le vide de cette femme dont il dit et répète, selon une formule devenue célèbre, qu'il n'y a "rien à voir". (...) On pourrait aller jusqu'à décrire l'ordinateur et la machine cybernétique qu'il fait fonctionner par rapport au processus du tissage, dans lequel il aurait introduit vitesse, miniaturisation et complexité croissantes. Trois caractéristiques fondamentales des réseaux mondiaux de données et de communication qui constituent ce qu'on appelle le cyberespace, pour moi la matrice.
Aujourd'hui, femme et ordinateur cachent tous deux la matrice... »[52]
Ce texte fut apparemment écrit avant la sortie du premier film de la trilogie Matrix, dont le titre avait de toute évidence été emprunté à William Gibson, qui avait depuis une quinzaine d'année nommé le cyberespace comme "la matrice" (Neuromancien, 1984). Sadie Plant signale incidemment que Ada Lovelace est morte d'un cancer de l'utérus, mais ne semble pas y voir de coïncidence ou de synchronicité particulièrement signifiante. Le tissage du World Wide Web serait une sorte d'immense cache-sexe ? Si non e vero, e bene trovato. Remarquons toutefois que, s'il est impossible de voir la matrice proprement dite sans opération chirurgicale, il est faux qu'il n'y ait "rien à voir".
Autre référence incontournable, hétérogène au corpus anglo-saxon : les films de Mamuro Oshii. Le plus important dans l'héroïne cyborg de Ghost In The Shell (1995) n'est pas qu'elle soit tout aussi destructrice que ses consoeurs d'outre-Pacifique, c'est qu'elle est de plus rongée d'inquiétudes métaphysiques. La séquence de construction du corps artificiel rappelle, sans doute volontairement, celle de l'animation du robot de Metropolis. Lors du combat presque final entre l'héroïne et une sorte d'engin de guerre articulé, dans un muséum d'histoire naturelle désaffecté, le bas-relief représentant l'arbre de l'évolution est haché par les rafales. En ce qui concerne Avalon (1999), cf. la note 1. En ce qui concerne Innocence , cf. plus bas.
Retour au corps
La cyborganisation croissante du corps humain provoque bien sûr un mouvement inverse de retour au corps de base, en ce qu'il a de plus physique, de moins technicisé possible.
Ce mouvement n'est pas récent, il trouve des antécédents assez loin dans le passé. On a mentionné ci-dessus les théâtres de machines de la Renaissance, il faut aussi rappeler les théâtres d'anatomie qui se mirent en place à la même époque, et dont descendent nos amphithéâtres de médecine. La dissection de cadavres humains était à l'époque un spectacle fort prisé[53], comme le furent plus tard les visites à la morgue, contemporaines des débuts du cinéma[54], et de tous temps les exécutions capitales.
A la fin du XVIIIe siècle, la science naissante de la botanique, liée à l'art et à la technique des jardins, frôle l'offense à la pudeur et oblige Linné à rédiger certaines descriptions en latin : « La sexualité des plantes est le terrain de lutte pour la sexualisation de la connaissance et de l'ordre social »[55]. Les médecins du XIXe siècle jargonneront de même en ce qui concerne l'anatomie féminine, et de nos jours, pour qui n'a pas de Jardiland dans son environnement immédiat, il existe sur le web un robot jardinier télécommandable (http://telegarden.aec.at).
La vogue des animaux familiers est un phénomène général dans tous les pays développés. Mais pour leurs propriétaires, ce n'est souvent pas une vogue, c'est une nécessité vitale. Le Avalon de Oshii pourrait à cet égard se résumer sur le mode de la Mère Michel : "C'est la mère Ash qui a perdu son chien, qui crie sur le réseau à qui le lui rendra". Fort logiquement, Sony a donc développé AIBO, un chien-robot-compagnon-familier (http://www.sony.net/Products/aibo/, 1998,99 euros).
Ce retour au corps propre, à l'animalité irréductiblement végétative, à la physiologie de base, sujet de plaisirs et de désirs, ne s'effectue que difficilement, et souvent avec ce qu'il faut bien appeler des incidents ou des déviations plus ou moins graves.
De tous temps, certains humains ont eu besoin de porter atteinte, à eux-mêmes ou à d'autres, pour être sûrs d'exister. L'ascétisme et les mortifications sont parfois réversibles, les scarifications, le piercing, les mutilations ne le sont pas. Le body-art met en scène ces tendances parfois avec complaisance. Isabelle Rieusset-Lemarié en a examiné d'autres manifestations (Stelarc, les extropiens...) ici-même, lors du colloque sur la Rupture[56].
Il y a une trentaine d'années déjà, avant que la démocratisation de l'informatique ne permette d'acheter son ordinateur au rayon électroménager, à l'époque où la télévision était reine, il se racontait la légende urbaine selon laquelle une speakerine, Chris Chubbuck, se serait fait sauter la cervelle en direct, en prévenant juste avant les téléspectateurs que pour une fois, ils allaient assister à quelque chose de réel. Si l'histoire est vraie, peut-être existe-t-il une bande, qui ressortira un jour avant de s'être complètement effacée. Encore faudra-t-il être sûrs de son authenticité, et on ne voit pas très bien ce qui, sur l'internet, pourrait se passer de comparable.
Massacre à la tronçonneuse, après des années d'interdiction en nombre variable selon les pays, a ouvert la voie à une nouvelle catégorie de films : les films de meurtres gratuits en série. Les personnages féminins n'y sont pas en reste : Basic Instinct, Thelma And Louise, Monster... Dans cette mythologie, le meurtre en série est la contrepartie de la virtualisation du monde et de la cyborganisation du corps (selon la vieille plaisanterie : si vous ne vous sentez pas bien, faites-vous sentir par un autre). Cette liaison est particulièrement évidente dans le second roman de Maurice Dantec, Les racines du mal[57]. La mort apparaît à certain(e)s comme le seul moyen de sortir du réseau, c'est à dire de la matrice. Faute de mieux, la mort des autres fera l'affaire.
De ce retour au corps, on aurait pu espérer un retour à Rabelais. Apparemment, il n'en est rien.
Conclusions provisoires
D'autres films auraient pu être envisagés : par exemple la série des Titanic, qui aura mis tout le XXe siècle à couler - et ce n'est peut-être pas fini. Un autre secteur de la production spectaculaire présente d'intéressantes mises en scènes de la technologie et de ses au-delà : celui des clips vidéo. Citons par exemple The boy in the bubble (Paul Simon), Chronologie part 4 (JM Jarre), Rockin' over the beat (Technotronics), Virtual Insanity (Jamiroquai), Chienne d'idée (Maxime Le Forestier), Prince Igor (Warren G./Sissel), Slave to the wage (Placebo), Le vent l'emportera (Noir Désir)... Cet axe de recherche pourrait bien ultérieurement faire l'objet d'une étude à part entière.
Trois au moins de ces clips renvoient à la question du tiers-monde, interne ou externe, worldmusic et blaxploitation obligent. Pourquoi les "transferts de technologie" échouent-ils si souvent ?. Les machines fonctionnent de même dans tous les pays, et sous tous les climats auxquels elles sont adaptées ; il faut chercher dans des incompatibilités métatechnologiques les raisons de ces échecs. A contrario, la réussite occasionnelle d'un transfert de technique ne garantit en rien que la méta-technologie de la population réceptrice en sera modifiée. On aura remarqué, ci-dessus, la citation par Carl Mitcham de Ernesto Mayz Vallenilla, auquel il attribue l'invention du terme métatechnologie : Ernesto Mayz Vallenilla est vénuzuelien, il n'y a pratiquement rien en ce qui le concerne en français sur le web (mais des centaines d'adresses en espagnol), et son livre Fondements de la méta-technique a été co-édité en français par L'Harmattan et l'UNESCO : « La thèse primordiale de cet ouvrage prétend démontrer que nous vivons un moment décisif dans le déploiement de la ratio technique, dont les desseins révolutionnaires n'ont pas été compris ni pleinement évalués. L'homme, selon l'auteur, se trouve face à l'aventure de créer une raison radicalement distincte de celle qui est exclusivement humaine, qui bouleverse tant ses bases que ses limites ». Sur le site de l'UNESCO, en mai 2004, « ce titre n'est pas disponible »[58].
Une chose au moins est claire, une technologie n'est pas un simple (?) assemblage de machines et de recettes techniques. De même que le spectacle, au sens debordien, n'est pas « un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »[59], une technologie est un rapport - parfois même un projet - social, matérialisé dans des dispositifs techniques (appareils, institutions, programmes, lois...), et valorisé par du discours. Ce discours n'est pas forcément très développé ; mais toute technologie est porteuse au moins d'une proto-idéologie, d'une forme de fausse conscience[60]. Si le spectacle est l'idéologie matérialisée, alors, la technologie est l'idéologie implémentée.
Plusieurs questions se posent :
« La patatechnologie, dont l'étymologie doit s'écrire epi(meta ta tecnologia) et l'orthographe réelle 'patatechnologie, précédé d'un apostrophe, afin d'éviter un facile calembour, est la science de ce qui se surajoute à la métatechnologie, soit en elle-même, soit hors d'elle-même, s'étendant aussi loin au-delà de celle-ci que celle-ci au-delà de la technologie. »[61]
Le dernier en date des films de Mamuro Oshii, Innocence, a été
projeté en compétition le 20 mai 2004 au festival de Cannes, dans
la quasi-indifférence générale des commentateurs et des
critiques cinématographiques français ; tout au plus a-t-on
mentionné, ici ou là, un "dessin animé japonais"...
alors que le film est en salle depuis plusieurs mois au Japon, et qu'il suffit
de poser la question sur le net pour se faire une idée de l'importance de
la chose. Dans
leur rétrospective de la semaine du festival, le dimanche 23 mai 2004 à
14:00 sur Canal+, les Guignols de l'Info n'ont cité en tout et pour tout
que 2 films : Innocence, et le Fahrenheit 9/11 de Michael
Moore, qui obtint de façon inattendue la Palme d'or, alors que cette
distinction n'avait pas été attribuée à un film
documentaire depuis Le monde du silence, il y a 48 ans, en 1956.
La plupart des premiers commentaires en ligne d'Innocence (Ghost in the
shell #2) en retiennent surtout une beauté visuelle, un volume de
considérations métaphysiques et un pessimisme encore accrus par
rapport au précédent.
En 1956, Boris Vian, ingénieur comme on sait, chantait dans sa Java des bombes atomiques que
« la seule chose qui compte,
C'est l'endroit où c'qu'elle tombe. »
Entre bien d'autres, dans Small is beautiful, Schumacher plaide en
1973 pour une « technologie intermédiaire »,
pour une « technologie à visage humain ». En
1995, Carl Mitcham envisage que « la philosophie au sens général
(...) se réincorpore la réflexion sur la condition méta-technique
du monde technique postmoderne. »[62].
En 1999, Jean-Claude Guillebaud va jusqu'à souhaiter une « refondation
du monde » face aux dérives de la techno-science[63].
Personnellement, je serais plutôt favorable à la consolidation
d'une culture techno-scientifique débarrassée de ses composantes
mytho-méta-religieuses, d'une culture techno-scientifique enfin laïque.
On peut craindre que tout cela reste des vux pieux.
La séance se termine avec les dernières minutes du film-culte Koyaanisqatsi, de Godfrey Reggio (1983)[64], qui montrent le décollage d'une grosse fusée, son ascension, son explosion, et la longue chute d'un morceau de moteur tournoyant lentement dans le vide.
[1] Il s'agissait du Colloque International « Les Arts d'Orient, enjeux du rite et du spectaculaire », direction Amos Fergombe et Philippe Beaussart, Université et Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, du 15 au 17 mai 2003 ; ma communication s'intitulait « Avalon, etc. », elle eut lieu le samedi 17 mai, et en attendant sa publication sur papier, elle est disponible en http://alain.montesse.site.voila.fr/textes/avalon_etc.htm . Avalon est un film fort remarquable, ainsi que le précédent de Mamuro Oshii, Ghost in the shell, et semble-t-il d'après ce qu'on peut lire sur le web, aussi que son prochain, Innocence. Ma communication soulignait certaines relations de l'uvre de Oshii avec le cinéma européen, en particulier avec celui de Chris Marker (La jetée, Sans soleil, Level 5...), et insistait sur l'aspect géopolitique de la chose (à l'exception des films de Oshii et Marker, la quasi-totalité des cyberfilms d'importance sont états-uniens).
[2]L'entreprise et son système d'information : pièges, illusions, défis, Université de Technologie de Compiègne, 1998, http://henri.ghesquiere.free.fr/doc/mem-utc/z113.htm
[3] « an individual technology is only a piece of a larger web of technologies, "metatechnology" », http://www.mrs.umn.edu/~mcphee/Courses/Readings/Manders_aphorisms.html . Jerry Mander, ancien publicitaire, est l'auteur de Four Arguments for the Elimination of Television (1978) et de In the Absence of the Sacred : The Failure of Technology and the Survival of the Indian Nations (1991) (http://www.ratical.com/ratville/AoS/theSun.html).
[4] « we are entering a new phase of technology... Technology proper has been or is in the process of being supplanted by a post-technology, a hyper-technology, or what (following Ernesto Mayz Vallenilla) I prefer to call a meta-technology », Carl Mitcham, Pennsylvania State University, « Notes toward a philosophy of meta-technology », Techné : Journal of the Society for Philosophy and Technology, Volume 1, Numbers 1-2, Fall 1995, http://scholar.lib.vt.edu/ejournals/SPT/v1_n1n2/mitcham.html. On en trouvera un résumé par Gordon Ziniewicz, dans le cadre de son cours de Technologie et Culture de 1999, en http://www.fred.net/tzaka/mitchsum.html
[5] « Meta-technology is a technology whose field of action is the determination of reality », (Henry Flynt , META-TECHNOLOGY, An Analytical Sketch, 1993, http://www.henryflynt.org/meta_tech/metatech.html ) ; Henry Flynt affirme avoir « pour la première fois exposé la méta-technologie dans une causerie à Stockholm en octobre 1979, complétée en un essai en décembre 1979 ».
[6] The Global Technology Revolution : Bio/Nano/Materials Trends and Their Synergies with Information Technology by 2015, par Philip S. Antón, Richard Silberglitt, and James Schneider, RAND's National Defense Research Institute, for the National Intelligence Council., 2001, http://www.rand.org/publications/MR/MR1307
[7] « It
is possible to consider technology as a complex combination of technical means
and logical representations. When it forms part of technology (in the broad
sense of that word, encompassing mnemotechnics as well as space ships), logic
(or rather ideo-logy) remains unconscious, even though generally speaking it is,
of course, part of consciousness. In the general evolution of imagery, it is not
only the technologies of representation that change, but the representation of
technology is likewise in a process of constant change. [...] Every
ideology has its technology and every technology determines its own ideology.
[...] Ten years after the breakup of the Soviet Union, advertising has
become a fact of life for every inhabitant of Russia. Advertising has introduced
new ideological and technological narratives into Russian everyday existence,
especially that of the promise of a new life. The intervention of visual imagery
together with the introduction of new technologies entailed a change in the
meta-technology of representation. [...]Tampax was one of the first
Western products to enter the Russian consumer market at the end of the 1980s.
At the beginning of its activities in Russia, Tampax was advertised with a
rather straightforward imagery: a Statue of Liberty whose torch had been
replaced by a tampax--an allegory of the way in which Western (US) democracy and
the free market can bring freedom even to the oppressed Soviet woman. »
(Technology and Representation at the end of the 90s : Fragments of the
Russian Experience, by Olesya Turkina and Viktor Mazin,
http://www.artmargins.com/content/feature/mazin1.html )
[8] Avec Roland Decaudin, nous avons déjà croisé la piste des technopaïens dans Nouvelles Technologies et Arts de la mémoire (00h00, 2002, http://simonide.net/ntam/4805021301.pdf, p.142). Erik Davis a depuis rassemblé ses écrits en un livre, Techgnosis: Myth, Magic and Mysticism in the Age of Information, auquel nous renvoyons le lecteur : http://www.techgnosis.com/techgnosis/index.html
[9] Présentation par Jean Baudet, dans l'émission de Stéphane Deligeorges Continent Sciences sur France Culture, jeudi 15 avril 2004, 9:10, de ses ouvrages De l'outil à la machine : Histoire des techniques jusqu'en 1800 (Vuibert, 2003), et De la machine au système : Histoire des techniques depuis 1800 (Vuibert, 2004) ; http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/continent_sciences/fiche.php?diffusion_id=19459
[10] « Étymologie et histoire du mot technologie », François Charpin, Solaris nº4, Décembre 1997, http://biblio-fr.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d04/4charpin.html
[11] http://libraries.mit.edu/archives/mithistory/founding.html
[12] « The
existence of such grand practical schools in Europe requires of us to take all
possible advantage of our ressources in that direction, under the penalty of
taking a second rate position among the nations ; and this no true American
will be content to do, without a struggle for the supremacy. »
« L'existence de telles grandes écoles pratiques en
Europe nous requiert de prendre tout avantage possible à partir de nos
ressources dans cette direction, sous peine de prendre une position de second
ordre parmi les nations ; et cela, aucun véritable Américain
ne s'en contentera, sans avoir lutté pour la suprématie. »
(http://libraries.mit.edu/archives/mithistory/pdf/house260.pdf,
p.3)
[13] « California Institute of Technology, at Pasadena, Calif.; originally for men, became coeducational in 1970; founded 1891 as Throop Polytechnic Institute; called Throop College of Technology, 1913-20.... » (http://www.historychannel.com/perl/print_book.pl?ID=77952)
[14] http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Technologie
[15] http://www.epfl.ch/Eindex.html ; http://www.epfl.ch .
[16] Stéphane Deligeorges, dans son émission déjà citée avec Jean Baudet, http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/continent_sciences/fiche.php?diffusion_id=19459
[17] Hélène Vérin, La gloire des ingénieurs, Albin Michel, 1993 ; on trouvera la quatrième de couverture en passant par http://www.alapage.com/mx/?&tp=F&type=1&l_isbn=222606138X . Cf. si possible l'émission que Pierre Thuillier lui consacra sur France-Culture, le mercredi 5 mai 1993 à 9h05. Hélène Vérin a aussi co-écrit avec Luisa Dolza l'article « Une mise en scène de la technique : Les théâtres de machines », publié dans le numéro 50-51 d'Alliage intitulé « Le spectacle de la technique » (http://www.tribunes.com/tribune/alliage/50-51/Dolza.htm)
[18] La belle Hélène, musique de Offenbach sur un livret de Halévy et Meilhac, http://offenbach.elan-zone.de/downloads/OEK_M-2025-3105-1.pdf
[19] « Science, technologie et société », Jean-Claude Simard, Le Saut quantique, août 2002, http://www.apsq.org/sautquantique/telechargement/sts.pdf
[20]
Wanda Strauven, « Le mécanoïde et l'androïde :
deux faces du mythe futuriste dans le cinéma d'avant-garde des années vingt »,
Cinémas, volume 12, numéro 3 (« Cinélekta 4 »),
printemps 2002
http://www.erudit.org/revue/cine/2002/v12/n3/000734ar.html
[21]
Philippe Lacoue-Labarthe, « Surmonter Heidegger », A
voix nue, Franc Culture, mercredi 21 avril 2004,
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/avoixnue/fiche.php?diffusion_id=20175
[22] « Heidegger
était-il nazi ? », par Roger-Pol Droit, Le Monde,
mercredi 14 octobre 1987, cité en
http://www.editions-verdier.fr/philosophie/titres/heidegger_nazisme.htm
à propos de Heidegger et le nazisme, Victor Farias, Verdier,
Paris, 1987.
Voir aussi
http://pedagogie.ac-toulouse.fr/philosophie/pub/andersconcretudeheidegger.htm,
à propos de Sur la pseudo-concrétude de la philosophie de
Heidegger , de Günther Anders, Sens & Tonka, Paris, 2002.
[23] « Nur ein Gott kann uns retten », interview posthume de Heidegger , publiée dans le Spiegel du 31 mai 1976
[24] « Pour une science avec conscience », entretien avec Jean Pierre Dupuy à propos de son livre Pour un catastrophisme éclairé (Seuil, 2002) : http://www2.cnrs.fr/presse/journal/1246.htm. L'interviewer Fabrice Impériali précise : « il s'agit de la convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, des technologies de l'information et des sciences cognitives. Ce programme [de la National Sciences Foundation, .N.D.L.C.] est doté d'un budget annuel de 850 millions de dollars. »
[25] « Mumford
describes the first decisive step in this process as the creation in the ancient
world of the Megamachine, in the form of regimented, mechanized massing of human
labor-power under hierarchical control to build the pyramids as an expression of
despotic power. While the Megamachine in this primal barbaric form has persisted
and evolved over history, it reemerges in the modern world in a much more
complex, technological manifestation, with vastly increased power, diverse
political, economic and cultural expressions, and apparent imperviousness to
human control or even comprehension. (...)
Mumford's vision of the process of reversing these historical tendencies is
a social ecological one. (...)
Following Geddes and prefiguring bioregionalism, Mumford believes that the
local community must be rooted in the natural and cultural realities of the
region » ; John Clark « A Social Ecology »,
dans Environmental Philosophy, M. Zimmerman et al., second
edition, Prentice Hall, 1998 ;
http://melior.univ-montp3.fr/ra_forum/en/people/clark_john/A_Social_Ecology/index.html
[26] Centre Patrick Geddes, au département d'architecture de l'université d'Edinburgh : http://www.caad.ed.ac.uk/units/GEDDES/index.html
[27] « Of particular importance is Bookchin's emphasis on the central role of the developing global capitalist economy in ecological crisis, which corrects Mumford's tendency to overemphasize the technical at the expense of the economic. » Clack, op.cit.
[28] Après bien d'autres ouvrages, tout récemment : Ville-panique, Galilée, 2004.
[29] ... que l'on redécouvre régulièrement, cf. son portrait dans l'émission de Ruth Steghassy Terre à terre sur France Culture, les 16 et 23 août 2003 (http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/terre_a_terre/archives.php?annee=2003)
[30] Cf. entre autres Libérer l'avenir, Seuil, 1971 ; Énergie et équité, Seuil, 1973 ; Némésis Médicale, Seuil 1975 ; Le chômage créateur, Seuil, 1977 ; Le travail fantôme, Seuil, 1981...
[31] « Avez-vous
lu Ellul ? », Dominique Janicaud, Alliage n°20-21,
1994, http://www.tribunes.com/tribune/alliage/20-21/content.htm
On trouvera en http://agora.qc.ca/textes/ellul.html
un hommage de Illich à Ellul : « Cela m'a apporté
la preuve empirique que la catégorie ellulienne de "la technique",
que j'avais originellement employée comme un outil analytique, définissait
une réalité engendrée par la poursuite d'une "idéologie
de dérivation chrétienne". ».
[32] Les plus technicisants étant évidemment Gravity's Rainbow (1973) et The Crying of Lot 49 (La vente à la criée du lot 49, 1967) ; derrière le sens explicite de l'acronyme W.A.S.T.E. à la trompette bouchée (« We Await Silent Trystero's Empire »), il n'est pas difficile d'entendre le sens latent « We Await Silent Technic's Empire », nous attendons l'empire silencieux de la technique.
[33]
http://www.pynchon.pomona.edu/uncollected/luddite.html
http://www.themodernword.com/pynchon/pynchon_essays_luddite.html
[34] http://www.arcosanti.org/
[35] Hakim Bey, T.A.Z. : The Temporary Autonomous Zone, http://bibliolib.net/TAZ.htm ; édition-papier en 1991 par Autonomedia, POB 568, Williamsburgh Station, Brooklyn, NY 11211, 0568 USA (http://www.autonomedia.org/).
[36] La 5, journée spéciale « Science », samedi 12 octobre 1996, vers 18:00.
[37] Made in Japan , Robert Laffont, 1986
[38] « Technologie et innovation », n° hors-série de Energies, magazine international de la Direction de la Communication, TotalFinaElf, février 2003, ISSN 0990-6150
[39] Le mot même d'"idéologie" est apparu dans les mêmes années que "technologie" : « en août 1998, le mot "Idéologie" aura deux siècles d'existence manifeste. En effet, c'est en Thermidor an VI/Août 1798 qu'il apparaît pour la première fois dans le Mémoire sur la faculté de penser de Destutt de Tracy (1754-1836). Il désigne la toute nouvelle "science des idées"... » ; colloque « Les idéologues », Cerisy, septembre 1998, http://www.ccic-cerisy.asso.fr/ideologues98.html
[40] Nous y avons nous-mêmes contribué, ici-même lors du Colloque « Rupture » déjà cité : Chantal Duchet et Alain Montesse, « Rupture/Continuité : sur la ligne du temps », http://www.artemis.jussieu.fr/hermes/hermes/rupture/duchmont.htm
[41] Ellipses, Paris 2003 ; critique dans Libération du mardi 11 novembre 2003.
[42] André Charrak, en conclusion de « Descartes », une émission de Raphaël Enthoven, Les vendredis de la philosophie, France Culture, 12 septembre 2003, vers 10:05, http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/vendredis/fiche.php?diffusion_id=16063
[43] http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture/emissions/metropolitains/fiche.php?diffusion_id=17845
[44] On verra l'un des plus célèbres, en situation, sur une photo panoramique en http://www.texaschapbookpress.com/magellanslog54/indeterminatefacade.htm
[45] Dans la soirée « i-mages » de Canal+, en post-scriptum au compte-rendu du SIGGRAPH 1999, le mardi 8/2/2000 un peu après minuit.
[46] En http://www.er.uqam.ca/nobel/mts123/etienne.html, Étienne Laverdière fait remonter la « mythologie technologique » de Villiers, « projet technique du dévoilement de la vérité », au positivisme d'Auguste Comte, en passant par Descartes et Heidegger.
[47] Donna Haraway, A Cyborg Manifesto : Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century, http://www.stanford.edu/dept/HPS/Haraway/CyborgManifesto.html ; version française en http://cyberfeminisme.org/txt/cyborgmanifesto.htm
[48] http://www.bfi.org.uk/nationallibrary/collections/16+/strongwomen/strongwomen.pdf
[49] http://www.sscnet.ucla.edu/ioa/arnold/arnoldwebpages/intersext.htm
[50] « Parce que le cyborg tend vers le posthumain, le retour au foyer humain devient le plus subversif des actes possibles » (« Because the cyborg reaches towards the posthuman, a return to human focus becomes the most subversive act possible. », Cyborgs in Film, Rachel Rein, http://cinemaspace.berkeley.edu/~rachel/cyborg/cy4.html)
[51] Télérama n°2826, p.116.
[52] Sadie Plant, « Tissages du futur : tramer ensemble femmes et cybernétique », première publication dans Cybersexualities : A Reader on Feminist Theory, Cyborg ans Cyberspace, édité par Jenny Woolmark, Edinburg University Press, 1999 ; traduit par Marie-Hélène Dumas et Nathalie Magnan dans Connexions : art, réseaux médias, textes réunis et présentés par Annick Bureaud et Nathalie Magnan, École Nationale des Beaux Arts, Paris, 2002, p.335.
[53]Le regard de l'anatomiste. Dissections et invention du corps en Occident, Rafael Mandressi , Seuil 2003 ; présenté dans Les lundis de l'histoire, France-Culture, lundi 9 février 2004, http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/lundis//fiche.php?diffusion_id=19215, et en http://www.humanite.presse.fr/journal/2003-12-02/2003-12-02-383606
[54] Cf. le Panorama de France-Culture du samedi 22 novembre 1997 à midi. De nos jours, on plastifie les cadavres avant de les exposer artistiquement : http://www.plume-noire.com/culture/art/plastin.html , http://www.tribunes.com/tribune/alliage/50-51/Van_Dijck.htm
[55] « The sexuality of plants is the battlefield over the gendering of knowledge and the social order », Luisa Calè, « A Female Band despising Nature's Law': Botany, Gender and Revolution in the 1790s » (Romanticism on the Net n°17 (février 2000), © Michael Eberle-Sinatra ; http://www.erudit.org/revue/ron/2000/v/n17/005889ar.html)
[56] « L'unicité
de l'uvre à l'épreuve de la reproduction multimédia »,
Isabelle RIEUSSET-LEMARIÉ, Le concept de Rupture dans les uvres
produites par les Nouvelles Technologies, Colloque organisé par
Geneviève Cornu, le 7 mars 1998, à Paris-7, dans le cadre sur Séminaire
Ecrit, Image, Oral et Nouvelles Technologies ;
http://www.artemis.jussieu.fr/hermes/hermes/rupture/rieusset.htm
[57] Maurice Dantec, Les racines du mal, Gallimard, Série Noire n°2379, 1996 ; 93 réponses à la requête "maurice dantec" sur yahoo le 4 septembre 1999 ; environ 1980 réponses à la requête " +"les racines du mal" +dantec " sur google le 25 mai 2004. Depuis quelques années, après avoir envisagé l'arrivée du mutant cyborg tout droit sorti de la matrice du cyberespace par l'intermédiaire d'une mère porteuse du nom de Zorn, Dantec prophétise l'arrivée du surhomme.
[58] http://upo.unesco.org/details.aspx?Code_Livre=1581
[59] Guy Debord, La société du spectacle, thèse 4, http://library.nothingness.org/articles/SI/fr/display/65
[60] La Fausse Conscience, Joseph Gabel, Ed. de Minuit, 1962, dont une piqûre de rappel de temps en temps ne fera pas de mal.
[61] Définition dérivée de celle de la 'pataphysique par Alfred Jarry, Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien (Paris, coll. Poésie n°143, éd. Gallimard, 1980, livre II, chapitre VIII), et reproduite en http://perso.wanadoo.fr/claude.ognois/ubu01.htm
[62] « ... philosophy in a general sense that re-incorporates into itself reflection on the meta-technical condition of the postmodern techno-lifeworld », Carl Mitcham, op.cit.
[63] La refondation du monde, Jean-Claude Guillebaud, Editions du Seuil, 1999 ; résumé et commentaires par Jean-Claude Keller en http://www.gymnase-morges.ch/docs/Refondation.html
[64] 312 réponses sur Yahoo le 26 octobre 1998, environ 69900 sur Google le 25 mai 2004, soit une bonne trentaine de nouvelles adresses par jour depuis 6 ans, soit une et demi par heure... A regarder de préférence sur grand écran.