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VIDEO CINE TROC
15, passage de la Main d'Or
75011
Paris - Tél. 806.55.00
Été 1983
Alain MONTESSE
Nous vivons depuis longtemps sur l'idée d'une oeuvre unique, insécable, atomique pourrait-on dire. Une oeuvre n'a qu'un auteur (sauf cas exceptionnel), elle doit toujours être diffusée en entier, du début à la fin (sauf autorisation de l'auteur), le droit de citation est permis à condition de ne pas exagérer, le détournement est interdit. Malheureusement, les nouveaux moyens de diffusion viennent battre en brèche cette belle utopie. Quid des droits d'auteur avec les photocopieuses, les radios "libres", les magnétoscopes, -phones, circuits câblés et tutti quanti ?
A vrai dire, cette belle utopie n'avait d'ailleurs, comme son nom l'indique, jamais eu lieu. Déjà Lautréamont: "Le plagiat est nécessaire, le progrès l'implique" (Poésies II, 1870). Et de 1896 à 1925, les atomes/boules-de-billard, qui depuis Dalton avaient servi de base à toute la chimie du XIXème siècle, commençaient à leur tour à voler en éclats 1
C'est sur la technologie issue de cette révolution scientifique que reposent les mass-medias contemporains, c'est sur les arrangements issus de cette révolution sociale (ratée) que repose la société du spectacle (elle a le sommeil agité).
Faudrait remettre les montres à l'heure.
Notre méthodologie sera ici celle du détournement. Toutefois, pour donner un peu de piquant à la sauce, nous citerons nos sources. La mécanique quantique ayant été élaborée 2, entre les deux guerres mondiales, pour résoudre les difficultés apparues en physique théorique du fait de la dualité ondes/corpuscules, nous utiliserons des textes d'épistémologie quantique pour investiguer la dualité oeuvres/programmes.
Et nous allons commencer par les oeuvres.
(Louis de Broglie, MATIERE ET LUMIERE,
p.62)
Par oeuvre, on entend une manifestation de valeur ou de
quantité de travail, localisée dans un très petit volume et
susceptible de se transporter à distance avec une vitesse finie; cette
vitesse doit toujours rester inférieure à la vitesse du spectacle
si l'on admet les postulats de la relativité 3.
Il
y a lieu d'ajouter, si l'on veut se tenir à la définition
habituelle de l'oeuvre, dérivée de ce que nous en connaissons en
théorie classique, que l'on doit pouvoir suivre l'histoire d'une même
oeuvre à travers le temps et l'espace et la repérer d'une manière
exacte et continue, au moins avec les approximations que permet le principe
d'incertitude.
La personnalité de l'oeuvre se conserve alors (bien
qu'au moment des interactions avec d'autres oeuvres, l'aspect actuel des théories
se présente sous une forme "globale" où la distinction
des oeuvres n'intervient pas), et on doit également pouvoir les compter.
Voilà donc en qui consistaient, classiquement, les oeuvres. Mais cette notion a connu, bientôt, des difficultés.
(Louis de BROGIE, PHYSIQUE NOUVELLE ET QUANTA, p.292)
§5.
Les limites de l'individualité
Il nous paraîtrait un peu
excessif cependant de dire qu'il faut renoncer complètement à l'idée
d'individualité des oeuvres... On comprend pourquoi la non-individuation
des oeuvres ne pouvait intervenir dans les théories de la programmation
classique, puisqu'elle est liée à la possibilité pour deux
oeuvres d'occuper, au moins potentiellement, un même lieu à la même
date, qui est caractéristique de la nouvelle programmation. Cette
potentialité est réalisée, à la télévision,
par la possibilité de changer de chaîne à tout instant
(voire de les contempler sur un même écran), et, dans le cinéma,
par les complexes multi-salles (qui ne s'est jamais trompé de salle?)
Si l'on veut bien réfléchir à
ces questions, on verra que la non-individualité des oeuvres, le principe
d'exclusion 4 et la valeur d'échange sont
trois mystères intimement reliés; ils se rattachent tous trois à
l'impossibilité de représenter exactement les entités réelles
élémentaires dans le cadre de l'espace-temps à 4
dimensions.
A un autre point de vue, on pourrait dire que la notion d'oeuvre
individuelle est complémentaire de la notion de système. L'oeuvre
n'a vraiment une individualité bien définie que quand elle est
isolée. Dès qu'elle entre en interaction avec d'autres oeuvres,
son individualité est diminuée.
A la source de ces difficultés, on trouve donc la multiplication des représentations d'oeuvres. Or, une représentation, c'est précisément un programme, éventuellement réduit à cette oeuvre seule, dans un environnement.
(Louis de Broglie, MATIERE ET LUMIERE, p.46)
En réfléchissant
à ces questions, l'auteur de ces lignes est parvenu à la
conviction que, dans la théorie de la société comme dans
celle du spectacle, il est indispensable de considérer à la fois
des oeuvres et des programmes...
Le point de vue des oeuvres est d'essence discontinue, granulaire. Le point
de vue des programmes est au contraire d'essence continue.
On peut considérer
soit l'un, soit l'autre. C'est à partir de cette idée que Bohr a été
amené à développer le principe de complémentarité,
qui énonce que, pour décrire les phénomènes (pour
prendre des mesures), il faut se placer soit d'un point de vue, soit de l'autre,
mais jamais des deux ensembles, et de cette façon, on a résolu la
contradiction.
La notion de trajectoire, d'histoire d'une oeuvre, en prend évidemment un vieux coup au passage (et c'est sans doute ici le lieu de rappeler que les oeuvres sont fabriquées par des ouvriers, dont la condition, dit-on, a beaucoup changé au cours de ces dernières décennies). Des indéterminations et des incertitudes apparaissent quant aux influences réciproques, et des indiscernabilités quant à des informations de même espèce (deux personnes en costume gris et cravate assortie débattent sur l'écran d'un sujet obscur; celui de droite est-il bien à droite, et réciproquement ? Lequel est scientifique, lequel soucoupiste, lequel néo-bouddhiste ?).
Une certaine nostalgie, pourtant, se fait jour :
(Louis de Broglie, PHYSIQUE NOUVELLE ET QUANTA, p.24l)
Bohr
part de cette idée que la description d'une entité doit se faire
tantôt à l'aide de l'image oeuvre, tantôt à l'aide de
l'image programmatique, et se demande comment deux images si différentes,
si contradictoires pourrait-on dire, peuvent ainsi être employées
concurremment. Il montre qu'on peut le faire parce que les relations
d'incertitude, conséquence de l'existence du quantum d'action, ne
permettent pas aux deux images employées d'entrer en conflit direct. Plus
on veut préciser une image par des observations, plus l'autre devient nécessairement
floue. Les propriétés opusculaires et programmatiques n'entrent
jamais en conflit, parce qu'elles n'existent jamais en même temps. On
attend sans cesse la bataille entre l'oeuvre et le programme: elle ne se produit
jamais, parce qu'il n'y a jamais qu'un adversaire présent.
Ce sont
comme les faces d'un objet que l'on ne peut contempler à la fois et qu'il
faut cependant envisager tour à tour pour décrire complètement
l'objet. Ces deux aspects, d'une part se contredisent, et d'autre part se complètent.
(Autrement dit, tantôt la télé passe son programme, tantôt elle passe un film.).
Tant que nous ne serons pas arrivés à élargir nos concepts d'espace et de temps, nous devrons nous évertuer à faire entrer, plus ou moins gauchement... sentiment pénible de vouloir enfermer un joyau dans un écrin qui n'est pas fait pour lui.
Comment donc s'organise cette complémentarité contradictoire ? Dans le cas d'une oeuvre unique accompagnée de quelques compléments de programme, la représentation est assez simple; l'oeuvre chevauche le programme comme un surfeur sa vague. Les choses se compliquent évidemment lorsqu'on a affaire à un train de programmes, composés chacun de plusieurs oeuvres majuscules.
(Jean-Louis DESTOUCHES, MECANIQUE ONDULATOIRE, p.75)
Théorie
Générale de la Programmation
§1. Recherche d'une interprétation.-
La science de la programmation est née de l'idée d'associer des
programmes aux oeuvres d'une façon analogue à l'association
photons-ondes en optique. Ces programmes ont un caractère beaucoup plus
abstrait que ceux de la programmation classique (classifiable, au sens où
classis, en latin, désigne la légion romaine rangée en
ordre de bataille, par lignes et colonnes).
Un
service de programmation a pour but principal de lancer des projets, dont les résultats
seront prévisibles à partir des mesures précédentes
initiales. Dans la plupart des cas, ces résultats ne seront pas prévisibles
d'une façon certaine, mais seulement probabiliste. Le problème de
la programmation se ramène finalement à la détermination
des projets acceptables. Les lois économiques se traduiront par des
conditions imposées aux projets 5
Pour
simplifier le problème de la détermination directe des projets,
qui serait fort compliquée, on utilise deux procédés très
commodes :
1°) On fait intervenir des programmateurs auxiliaires, à
qui l'on confie des tranches horaires ou des sous-programmes; si leur choix est
effectué habilement, la méta-programmation en sera considérablement
facilitée (il faut souligner ici l'apparition, en informatique pour
commencer, de programmes d'aide à la programmation).
2°) ...
... Il nous faut introduire ici un nouveau personnage particulièrement sophistiqué, le méta- ou hyper- ou super~programmateur: le programmateur de programmateurs 6.
(Gustave JUVET, STRUCTURE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.127)
On
a essayé de donner aux programmes la précellence sur les oeuvres,
ou mieux même, de dénier toute réalité aux oeuvres,
qui n'auraient été que le résultat d'interférences
au sein d'un train de programmes. On peut en effet construire des programmes
d'une intensité nulle ou négligeable partout, sauf en une petite
partie de l'espace-temps; une oeuvre ne serait-elle pas un tel
package~programme, de même qu'une croisière en packet-boat n'est
qu'un cas particulier de programme pour tour-operator? Tout franglais mis à
part, cette vue ingénieuse n'a pas donné tout ce qu'on en
attendait, un tel modèle programmatique de l'oeuvre étant trop
instable, il se disperse trop vite pour pouvoir représenter des oeuvres
auxquelles on s'accorde à reconnaître une certaine permanence. On a
essayé aussi, en conservant le dualisme oeuvre~programmes, de faire jouer
au programme un rôle prépondérant, le programme guiderait
l'oeuvre, cette idée n'a pu être maintenue... En général,
la théorie du programme-pilote ne convient pas à la représentation
des phénomènes, parce qu'il est impossible de dissocier les rôles
joués par le programme et l'oeuvre à laquelle il est lié;
cette dissociation n'est pratiquement possible que dans les cas-limite de la
programmation classique ou de la diffusion. On conçoit dès lors
que la seule notion de probabilité de présence remplace les différentes
notions de programmes et indique, non pas où se trouvent les oeuvres,
mais les régions et les époques en lesquelles on peut espérer
observer des phénomènes dont le caractère d'oeuvre soit
assez bien marqué.
Ceci dit, il faut bien reconnaître que la question du déterminisme
ne se pose pas de la même façon pour le programmateur que pour
l'ouvrier. L'ouvrier se préoccupe de réaliser une oeuvre dure,
pure, un chef-d'oeuvre. Le programmateur se préoccupe de créer et
de gérer un flux. Les oeuvres sont dans le programme comme des cailloux
ou des tourbillons dans un cours d'eau. Si le cours d'eau est un grand fleuve,
les oeuvres y seront envasées, et l'écoulement laminaire. Si c'est
un torrent...
Du point de vue de l'auteur de ces lignes, la plupart des
programmes offerts sur le marché se présentent surtout sous la
forme d'un filet d'eau saumâtre dispensé parcimonieusement par un
robinet rouillé, quelque part dans un hôtel pour voyageurs de
commerce. Et les ressorts du lit de la chambre d'à côté
grincent lamentablement.
(Louis de Broglie, CONTINU ET DISCONTINU, p.142)
Quand on a
affaire, non à une seule oeuvre, mais à un ensemble d'oeuvres, la
construction des programmes associés à cet ensemble se fait d'une
façon assez inattendue... Le programme multi-oeuvres se déplace
dans un espace de configuration imaginaire. Si chaque oeuvre conserve son caractère
discontinu, et se manifeste par le fait que les grandeurs mesurables relatives à
l'oeuvre conservent le caractère de grandeurs attachées à
une entité discrète, le programme, qui est une grandeur de champ définie
en chaque point de l'espace à tout instant, permet de rétablir la
continuité. Réciproquement, une mesure précise du programme
conduit toujours à un résultat exprimable dans le langage des
oeuvres...
La question essentielle que se pose la théorie de la
super-programmation est la suivante: si dans un même programme est associé
tout un ensemble d'oeuvres de même espèce, comment devra-t-on
traduire le fait que, dans toute observation ou mesure, on devra toujours
trouver des nombres entiers d'oeuvres? Le fait que, dans toute observation
conduisant à répartir les oeuvres en un certain nombre de catégories,
on doive toujours avoir un nombre entier d'oeuvres dans chaque catégorie,
est une conséquence nécessaire du caractère d'unités
économiques attribué aux oeuvres.
Fort bien.
Mais comme le dit tout aussi bien...
(G JUVET, STRUCTRE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.ll5)
Tout
cela était fort joli; les théoriciens et les programmateurs
s'occupèrent bien agréablement à modifier de ci de là
les grilles, intervertissant les jeux et le JT, enquillant 2 films à la
suite, etc. Mais les résultats de plus en plus précis des sondages
d'écoute permirent de déceler des désaccords de plus en
plus nombreux entre la théorie et l'observation, et contribuèrent à
créer un sérieux désarroi chez les programmateurs, que
d'autres difficultés avaient déjà contribué à
rendre sceptiques...
(idem, p.125)
Une théorie
de la programmation n'est pas complète si elle ne fournit pas une méthode
pour déterminer les lois de la propagation de tous les programmes qu'elle
traite.
A l'approximation qui se borne à considérer les
oeuvres, la programmation classique suffit, car il n'y a pas de feed-back. Mais
à l'approximation plus serrée, la télé en temps réel,
en direct, où le sondage espéré réagit sur l'oeuvre
en cours, on s'est contenté de vagues analogies. Il faut préciser
davantage...
(idem, p.127)
Les fragments ou embryons
d'oeuvres, trop nombreux, ne peuvent plus se localiser avec précision (ou
alors, avec un coût prohibitif). On ne connaîtra la probabilité
de leur apparition, ici ou là (et on ne pourra influer dessus), que par
le programme.
En bref, il se développe une situation générale de confusion (essentiellement propice, comme le faisait remarquer Lacan, aux exploits dérisoires du héros moderne). Dans ce cas, et en présence d'un tel programme complexe, on ne peut en général en séparer des sous-programmes indépendants 7. Ce serait là de véritables travaux d'Hercule, dignes pour le moins d'un super super-programmateur, généralement connu sous le nom de Démon de Maxwell, ou Machine Spectaculaire Bien Informée:
(ILYA PRIGOGINE : PHYSIQUE, TEMPS ET DEVENIR, p.187)
Il
faut distinguer, en programmation quotidienne, les programmateurs qui agissent
sur les grilles, des super-programmateurs, qui agissent sur les programmateurs
eux-mêmes. L'entropie est un de ces super~programmateurs (la fortune est
aveugle), qui mène au niveau microscopique à une complexité
telle que le concept de programme ne correspond plus à une idéalisation
satisfaisante.
(idem, p.257)
Les considérations
qui précèdent nous ont conduit aux conclusions suivantes: pour des
programmations infinies, il est possible d'élargir l'algèbre des
observables de manière à y inclure un super-programmateur M représentant
l'entropie du non-équilibre. (Ce super~programmateur, nous l'appellerons
le télé-joker, ou, plus brièvement, le JOKER). On ne peut
cependant définir ce JOKER que comme un super~programmateur
non-taylorisable. Son introduction parmi les observables entraîne la conséquence
suivante: les états purs perdent leur position privilégiée
dans la théorie, et doivent être traités sur un pied d'égalité
avec les mélanges... Des limitations apparaîtront quant à la
possibilité de réaliser une superposition cohérente des
programmes.
(idem, p.65)
Le travail de programmation
consiste en une exploration élective plutôt qu'en la découverte
d'une réalité donnée; il consiste à choisir le problème
que l'on doit poser.
(idem, p.251)
Posons la question:
une programmation peut-elle être complète? Une des raisons qui nous
fait poser cette question est la difficulté d'incorporer le processus de
mesure. Pour nous, le processus de mesure n'est qu'une simple illustration du
problème de l'irréversibilité en programmation.
Eh oui.
Car le Démon de Maxwell fut exorcisé, faut-il le rappeler, par Brillouin en 1954 (date de parution de LA SCIENCE ET LA THEORIE DE L'INFORMATION, jamais réédité depuis en français comme il se doit; enfin, on peut toujours se le procurer en américain; bref). Et la façon dont se déroula cet exorcisme est justement basée sur une étude attentive du processus de mesure. Disons, pour résumer, que ce pauvre Démon serait obligé, pour acquérir l'information dont il a besoin pour trier dans la confusion, de dépenser plus d'énergie que cette information une fois obtenue lui en ferait gagner.
Il ne nous reste plus, pour achever la présente étude, qu'à
nous pencher, donc, sur la douloureuse question de la mesure. Nous ne ferons pas
appel, cette fois, à de vieux grimoires, mais à une récente
émission de France-Culture, SCIENCES ET TECHNIQUES du mercredi 14/4/83, où
Mme Jeanne Parrain-Vial rend compte de son récent ouvrage: LES
DIFFICULTES DE LA PROGRAMMATION ET DE LA MESURE :
Prendre des
mesures, avant ou après une programmation, est une opération
beaucoup plus délicate que la programmation elle-même, qui après
tout peut se contenter de tableaux, de comparaisons, bref d'une grille. Il faut
d'abord extraire de la totalité concrète - c'est à dire de
la production actuelle - les aspects programmables. Mais pour mesurer, il faut déterminer
des unités...
En ce qui concerne les mesures a-posteriori, on ne
retrouvera pas sans quelque amusement à la télé les 2
variables habituelles de la physique classique: une variable de quantité
(le taux d'écoute) et une variable de tension (l'indice de satisfaction).
Leur produit donnerait comme on sait, la puissance de l'émission à
l'instant considérée. Et en multipliant par le temps, on obtient
l'énergie (c.a.d. la valeur) de l'émission. On pourrait donc
concevoir des modélisations de l'écoute en termes de réseaux
électriques relativement simples. Toutefois, si le nombre de personnes à
l'écoute peut sembler une quantité relativement claire, leur "satisfaction"
semble l'être beaucoup moins: il y a non seulement une difficulté
pratique à mesurer la chose, mais aussi une difficulté théorique
à définir ce que l'on prétend mesurer.
Il y a en plus
la transformation de ce que l'on veut mesurer par la mesure elle-même,
l'exemple le plus frappant étant sans doute la modification des prévisions
électorales par la publication des sondages d'intentions de vote. Le
problème est pour l'instant bridé par une interdiction de
publication peu avant la date fatidique du scrutin, mais épistémologiquement,
il y a là un pis-aller quelque peu malsain. Et plus discrètement,
mais peut-être plus fondamentalement, toute personne portant un intérêt
spécial à la télévision devra bien investir quelques
intérêts dans des émissions dont, si elles n'eussent pas
remporté un certain succès public, ou un bide complet, elle n'eut
pas donné un clou.
Ce problème de l'observateur observé
devient encore plus flagrant en ce qui concerne les mesures a-priori, celles
qu'on prend avant diffusion pour assurer le programme et/ou l'antenne. Si l'on
prélève des animaux dans un écosystème, il est bien évident
que l'on modifie l'écosystème que l'on est en train d'étudier.
De même, si l'on passe à l'antenne un film cinématographique
récent, on le grille pour l'exploitation ultérieure en salle
(parce que ce genre de produit n'est élaboré pour n'être vu
qu'une fois, et encore). D'où les mesures prises pour protéger le
vivier cinématographique, voire pour l'aleviner. Mais ces mesures prises
portent elles-mêmes préjudice à la télévision,
dont le public, c'est bien connu, préfère les films. Et tout l'art
du programmateur sera de ruser avec ces difficultés.
Incidemment, les
unités utilisées en amont (temps et argent) ne sont pas tout à
fait les mêmes que celles utilisées en aval (taux d'écoute,
etc.). Le public et son intérêt ne se métamorphosent en
argent que via une redevance forfaitaire. On peut se demander ce que cela
donnerait dans le cas d'une télévision à la carte, avec décodeurs
payants et ainsi de suite, et c'est bien d'ailleurs ce que se demandent les
responsables du projet français de 4ème chaîne.
On peut
minimiser ces incertitudes, on ne peut pas les annuler. Il y a toujours un coût
à toute mesure prise, et une mesure parfaite demanderait tout le temps et
toute l'énergie de tout le monde, un coût en néguentropie
infini, on le savait depuis Brillouin, il est bon de le rappeler.
Pour
l'instant, en tout cas, on ne peut que se cantonner pragmatiquement à des
généralités pifométriques du genre "Untel est
un homme de programme, mais Machin ne l'est pas" ou bien "X a du
flair, mais il travaille au coup par coup" etc... Le pouvoir de
programmation n'est démocratique que dans la mesure où ses hypothèses
a-priori risquent d'être falsifiées par le public, et il faudrait
pour cela qu'il y ait:
a) une bien plus grande abondance de programmes différenciés;
b) des modalités de réponse plus souples que le simple
dilemme silence/applaudissements. Ces conditions sont nécessaires, elles
ne sont sans doute pas suffisantes.
Enfin, si l'on voit ici les limites d'un
traitement numérique de l'information, il faut souligner que des
possibilités de traitement rigoureux non-numérique existent, en
particulier du côté de la topologie, analysis situ, etc.
Vaste programme pour les générations futures. En attendant, il me reste à conclure, et j'emprunterai ma conclusion à un ouvrage déjà cité ;
(G JUVET, STRUCTRE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.l40)
Sans
aller jusqu'à dire avec Sir Arthur Eddington que l'on considérera
les programmes les lundi, mercredi et vendredi, et les oeuvres les mardi, jeudi
et samedi matin (pendant le week-end, on manifestera la plus grande indifférence
à toutes ces questions), il est bien évident que ce dualisme est
cause de désordre; mais pourvu que l'on sache s'en servir, on peut
obtenir rapidement, comme nous l'avons fait, des résultats exacts sans être
obligés de recourir à l'application plus difficile des probabilités.
Mais ainsi qu'aime à le dire M. Emile Picard, notre illustre maître
à tous, nous autres mathématiciens: il est plus facile d'apprendre
les mathématiques que de savoir s'en passer.
»»«÷¦÷»««
NOTES
1.- Pourquoi 1896? Parce que c'est le début de la radioactivité naturelle; les atomes cessent d'être insécables, et vont bientôt se résoudre en particules plus élémentaires. Vers la même date, Freud met la dernière main à la Traumdeutung: les individus aussi vont se résoudre en affects plus élémentaires. Condensations, déplacements, etc.: les opérations effectuées par ces débris ne sont rien d'autres que les opérations élémentaires de la théorie des ensemble - ou de la logique classique - qui commencent toutes deux à prendre forme. Quant aux oeuvres, ma foi, même si les collages et les plagiats se multiplient, la critique et la législation en resteront impavidement au XIXème siècle. Cette situation a perduré jusqu'à aujourd'hui.
2.- Bien qu'ayant émis lui-même en 1900 l'hypothèse des quantas, Max Planck mit ensuite 10 ans à se persuader qu'il avait raison...
3.- On pourrait se demander quels sont les rapports entre la dualité oeuvres/programmes, et l'histoire. Si ces rapports sont bien analogues à ceux qu'entretiennent mécanique quantique et relativité, la réponse est simple: on n'en sait rien. La coordination mécanique quantique/relativité se fait toujours attendre, la quantification du champ gravitationnel n'est toujours pas faite. La quotidianisation du champ historique non plus.
4.- Le Principe
d'Exclusion de Pauli énonce que, à l'intérieur d'un même
programme, il ne doit pas y avoir de doublons... Par contre, entre 2 programmes
concurrents et parallèles, il y a de fortes chances que ces deux
programmes deviennent indiscernables (un film sur chaque chaîne, les JT en
même temps basés sur les mêmes éléments fournis
par les agences, etc.).
Le Principe d'exclusion résulte de la
structure de groupe des programmateurs, et de leur permutabilité, ou non.
5.- Les
nouvelles oeuvres sont virtuelles, enfouies dans le bruit de fond social
noiseux, au fond d'un puits de potentiel. Il faut leur injecter de la valeur
pour leur faire prendre corps, et encore de la valeur pour leur faire faire le
bond hors du trou où elles gisent.
Elles naissent alors par paires
opposées: oeuvre, et anti-oeuvre.
Les conditions de passage de la
barrière sont inanalysables, à cause des relations d'incertitude.
Toute tentative d'étudier ce qui se passe à ce moment particulièrement
sensible du surgissement aboutirait, soit à accélérer le
passage, soit à renvoyer le tout dans les limbes.
6.- Cet être évanescent existe bel et bien, et pas seulement dans les médias. Ce n'est pas sans amusement qu'on apprendra que la ville de Washington, D.C., fut planifiée par un dénommé Lenfant vers 1800, et ne déborda son plan de développement prévu que vers l920.
7.- Les variables cachées sont le supplément d'âme du programme. Un couple, parti de Paris, regarde la télé, elle à Rennes, lui à Dijon: il y a de fortes chances que leurs choix de programme ne soient pas indépendants. Pourquoi ?
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