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VIDEO CINE TROC
15, passage de la Main d'Or
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Été 1983

Alain MONTESSE


OEUVRES & PROGRAMMES

à la lumière de la Mécanique Quantique



Nous vivons depuis longtemps sur l'idée d'une oeuvre unique, insécable, atomique pourrait-on dire. Une oeuvre n'a qu'un auteur (sauf cas exceptionnel), elle doit toujours être diffusée en entier, du début à la fin (sauf autorisation de l'auteur), le droit de citation est permis à condition de ne pas exagérer, le détournement est interdit. Malheureusement, les nouveaux moyens de diffusion viennent battre en brèche cette belle utopie. Quid des droits d'auteur avec les photocopieuses, les radios "libres", les magnétoscopes, -phones, circuits câblés et tutti quanti ?

A vrai dire, cette belle utopie n'avait d'ailleurs, comme son nom l'indique, jamais eu lieu. Déjà Lautréamont: "Le plagiat est nécessaire, le progrès l'implique" (Poésies II, 1870). Et de 1896 à 1925, les atomes/boules-de-billard, qui depuis Dalton avaient servi de base à toute la chimie du XIXème siècle, commençaient à leur tour à voler en éclats 1

C'est sur la technologie issue de cette révolution scientifique que reposent les mass-medias contemporains, c'est sur les arrangements issus de cette révolution sociale (ratée) que repose la société du spectacle (elle a le sommeil agité).

Faudrait remettre les montres à l'heure.




Notre méthodologie sera ici celle du détournement. Toutefois, pour donner un peu de piquant à la sauce, nous citerons nos sources. La mécanique quantique ayant été élaborée 2, entre les deux guerres mondiales, pour résoudre les difficultés apparues en physique théorique du fait de la dualité ondes/corpuscules, nous utiliserons des textes d'épistémologie quantique pour investiguer la dualité oeuvres/programmes.

Et nous allons commencer par les oeuvres.



(Louis de Broglie, MATIERE ET LUMIERE, p.62)
Par oeuvre, on entend une manifestation de valeur ou de quantité de travail, localisée dans un très petit volume et susceptible de se transporter à distance avec une vitesse finie; cette vitesse doit toujours rester inférieure à la vitesse du spectacle si l'on admet les postulats de la relativité 3.
Il y a lieu d'ajouter, si l'on veut se tenir à la définition habituelle de l'oeuvre, dérivée de ce que nous en connaissons en théorie classique, que l'on doit pouvoir suivre l'histoire d'une même oeuvre à travers le temps et l'espace et la repérer d'une manière exacte et continue, au moins avec les approximations que permet le principe d'incertitude.
La personnalité de l'oeuvre se conserve alors (bien qu'au moment des interactions avec d'autres oeuvres, l'aspect actuel des théories se présente sous une forme "globale" où la distinction des oeuvres n'intervient pas), et on doit également pouvoir les compter.

Voilà donc en qui consistaient, classiquement, les oeuvres. Mais cette notion a connu, bientôt, des difficultés.

(Louis de BROGIE, PHYSIQUE NOUVELLE ET QUANTA, p.292)
§5. Les limites de l'individualité
Il nous paraîtrait un peu excessif cependant de dire qu'il faut renoncer complètement à l'idée d'individualité des oeuvres... On comprend pourquoi la non-individuation des oeuvres ne pouvait intervenir dans les théories de la programmation classique, puisqu'elle est liée à la possibilité pour deux oeuvres d'occuper, au moins potentiellement, un même lieu à la même date, qui est caractéristique de la nouvelle programmation. Cette potentialité est réalisée, à la télévision, par la possibilité de changer de chaîne à tout instant (voire de les contempler sur un même écran), et, dans le cinéma, par les complexes multi-salles (qui ne s'est jamais trompé de salle?)
Si l'on veut bien réfléchir à ces questions, on verra que la non-individualité des oeuvres, le principe d'exclusion 4 et la valeur d'échange sont trois mystères intimement reliés; ils se rattachent tous trois à l'impossibilité de représenter exactement les entités réelles élémentaires dans le cadre de l'espace-temps à 4 dimensions.
A un autre point de vue, on pourrait dire que la notion d'oeuvre individuelle est complémentaire de la notion de système. L'oeuvre n'a vraiment une individualité bien définie que quand elle est isolée. Dès qu'elle entre en interaction avec d'autres oeuvres, son individualité est diminuée.



A la source de ces difficultés, on trouve donc la multiplication des représentations d'oeuvres. Or, une représentation, c'est précisément un programme, éventuellement réduit à cette oeuvre seule, dans un environnement.

(Louis de Broglie, MATIERE ET LUMIERE, p.46)
En réfléchissant à ces questions, l'auteur de ces lignes est parvenu à la conviction que, dans la théorie de la société comme dans celle du spectacle, il est indispensable de considérer à la fois des oeuvres et des programmes...

Le point de vue des oeuvres est d'essence discontinue, granulaire. Le point de vue des programmes est au contraire d'essence continue.
On peut considérer soit l'un, soit l'autre. C'est à partir de cette idée que Bohr a été amené à développer le principe de complémentarité, qui énonce que, pour décrire les phénomènes (pour prendre des mesures), il faut se placer soit d'un point de vue, soit de l'autre, mais jamais des deux ensembles, et de cette façon, on a résolu la contradiction.

La notion de trajectoire, d'histoire d'une oeuvre, en prend évidemment un vieux coup au passage (et c'est sans doute ici le lieu de rappeler que les oeuvres sont fabriquées par des ouvriers, dont la condition, dit-on, a beaucoup changé au cours de ces dernières décennies). Des indéterminations et des incertitudes apparaissent quant aux influences réciproques, et des indiscernabilités quant à des informations de même espèce (deux personnes en costume gris et cravate assortie débattent sur l'écran d'un sujet obscur; celui de droite est-il bien à droite, et réciproquement ? Lequel est scientifique, lequel soucoupiste, lequel néo-bouddhiste ?).

Une certaine nostalgie, pourtant, se fait jour :

(Louis de Broglie, PHYSIQUE NOUVELLE ET QUANTA, p.24l)
Bohr part de cette idée que la description d'une entité doit se faire tantôt à l'aide de l'image oeuvre, tantôt à l'aide de l'image programmatique, et se demande comment deux images si différentes, si contradictoires pourrait-on dire, peuvent ainsi être employées concurremment. Il montre qu'on peut le faire parce que les relations d'incertitude, conséquence de l'existence du quantum d'action, ne permettent pas aux deux images employées d'entrer en conflit direct. Plus on veut préciser une image par des observations, plus l'autre devient nécessairement floue. Les propriétés opusculaires et programmatiques n'entrent jamais en conflit, parce qu'elles n'existent jamais en même temps. On attend sans cesse la bataille entre l'oeuvre et le programme: elle ne se produit jamais, parce qu'il n'y a jamais qu'un adversaire présent.
Ce sont comme les faces d'un objet que l'on ne peut contempler à la fois et qu'il faut cependant envisager tour à tour pour décrire complètement l'objet. Ces deux aspects, d'une part se contredisent, et d'autre part se complètent.

(Autrement dit, tantôt la télé passe son programme, tantôt elle passe un film.).

Tant que nous ne serons pas arrivés à élargir nos concepts d'espace et de temps, nous devrons nous évertuer à faire entrer, plus ou moins gauchement... sentiment pénible de vouloir enfermer un joyau dans un écrin qui n'est pas fait pour lui.

Comment donc s'organise cette complémentarité contradictoire ? Dans le cas d'une oeuvre unique accompagnée de quelques compléments de programme, la représentation est assez simple; l'oeuvre chevauche le programme comme un surfeur sa vague. Les choses se compliquent évidemment lorsqu'on a affaire à un train de programmes, composés chacun de plusieurs oeuvres majuscules.

(Jean-Louis DESTOUCHES, MECANIQUE ONDULATOIRE, p.75)
Théorie Générale de la Programmation
§1. Recherche d'une interprétation.- La science de la programmation est née de l'idée d'associer des programmes aux oeuvres d'une façon analogue à l'association photons-ondes en optique. Ces programmes ont un caractère beaucoup plus abstrait que ceux de la programmation classique (classifiable, au sens où classis, en latin, désigne la légion romaine rangée en ordre de bataille, par lignes et colonnes).
Un service de programmation a pour but principal de lancer des projets, dont les résultats seront prévisibles à partir des mesures précédentes initiales. Dans la plupart des cas, ces résultats ne seront pas prévisibles d'une façon certaine, mais seulement probabiliste. Le problème de la programmation se ramène finalement à la détermination des projets acceptables. Les lois économiques se traduiront par des conditions imposées aux projets 5
Pour simplifier le problème de la détermination directe des projets, qui serait fort compliquée, on utilise deux procédés très commodes :
1°) On fait intervenir des programmateurs auxiliaires, à qui l'on confie des tranches horaires ou des sous-programmes; si leur choix est effectué habilement, la méta-programmation en sera considérablement facilitée (il faut souligner ici l'apparition, en informatique pour commencer, de programmes d'aide à la programmation).
2°) ...

... Il nous faut introduire ici un nouveau personnage particulièrement sophistiqué, le méta- ou hyper- ou super~programmateur: le programmateur de programmateurs 6.

(Gustave JUVET, STRUCTURE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.127)
On a essayé de donner aux programmes la précellence sur les oeuvres, ou mieux même, de dénier toute réalité aux oeuvres, qui n'auraient été que le résultat d'interférences au sein d'un train de programmes. On peut en effet construire des programmes d'une intensité nulle ou négligeable partout, sauf en une petite partie de l'espace-temps; une oeuvre ne serait-elle pas un tel package~programme, de même qu'une croisière en packet-boat n'est qu'un cas particulier de programme pour tour-operator? Tout franglais mis à part, cette vue ingénieuse n'a pas donné tout ce qu'on en attendait, un tel modèle programmatique de l'oeuvre étant trop instable, il se disperse trop vite pour pouvoir représenter des oeuvres auxquelles on s'accorde à reconnaître une certaine permanence. On a essayé aussi, en conservant le dualisme oeuvre~programmes, de faire jouer au programme un rôle prépondérant, le programme guiderait l'oeuvre, cette idée n'a pu être maintenue... En général, la théorie du programme-pilote ne convient pas à la représentation des phénomènes, parce qu'il est impossible de dissocier les rôles joués par le programme et l'oeuvre à laquelle il est lié; cette dissociation n'est pratiquement possible que dans les cas-limite de la programmation classique ou de la diffusion. On conçoit dès lors que la seule notion de probabilité de présence remplace les différentes notions de programmes et indique, non pas où se trouvent les oeuvres, mais les régions et les époques en lesquelles on peut espérer observer des phénomènes dont le caractère d'oeuvre soit assez bien marqué.

Ceci dit, il faut bien reconnaître que la question du déterminisme ne se pose pas de la même façon pour le programmateur que pour l'ouvrier. L'ouvrier se préoccupe de réaliser une oeuvre dure, pure, un chef-d'oeuvre. Le programmateur se préoccupe de créer et de gérer un flux. Les oeuvres sont dans le programme comme des cailloux ou des tourbillons dans un cours d'eau. Si le cours d'eau est un grand fleuve, les oeuvres y seront envasées, et l'écoulement laminaire. Si c'est un torrent...
Du point de vue de l'auteur de ces lignes, la plupart des programmes offerts sur le marché se présentent surtout sous la forme d'un filet d'eau saumâtre dispensé parcimonieusement par un robinet rouillé, quelque part dans un hôtel pour voyageurs de commerce. Et les ressorts du lit de la chambre d'à côté grincent lamentablement.



(Louis de Broglie, CONTINU ET DISCONTINU, p.142)
Quand on a affaire, non à une seule oeuvre, mais à un ensemble d'oeuvres, la construction des programmes associés à cet ensemble se fait d'une façon assez inattendue... Le programme multi-oeuvres se déplace dans un espace de configuration imaginaire. Si chaque oeuvre conserve son caractère discontinu, et se manifeste par le fait que les grandeurs mesurables relatives à l'oeuvre conservent le caractère de grandeurs attachées à une entité discrète, le programme, qui est une grandeur de champ définie en chaque point de l'espace à tout instant, permet de rétablir la continuité. Réciproquement, une mesure précise du programme conduit toujours à un résultat exprimable dans le langage des oeuvres...
La question essentielle que se pose la théorie de la super-programmation est la suivante: si dans un même programme est associé tout un ensemble d'oeuvres de même espèce, comment devra-t-on traduire le fait que, dans toute observation ou mesure, on devra toujours trouver des nombres entiers d'oeuvres? Le fait que, dans toute observation conduisant à répartir les oeuvres en un certain nombre de catégories, on doive toujours avoir un nombre entier d'oeuvres dans chaque catégorie, est une conséquence nécessaire du caractère d'unités économiques attribué aux oeuvres.

Fort bien.

Mais comme le dit tout aussi bien...

(G JUVET, STRUCTRE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.ll5)
Tout cela était fort joli; les théoriciens et les programmateurs s'occupèrent bien agréablement à modifier de ci de là les grilles, intervertissant les jeux et le JT, enquillant 2 films à la suite, etc. Mais les résultats de plus en plus précis des sondages d'écoute permirent de déceler des désaccords de plus en plus nombreux entre la théorie et l'observation, et contribuèrent à créer un sérieux désarroi chez les programmateurs, que d'autres difficultés avaient déjà contribué à rendre sceptiques...
(idem, p.125)
Une théorie de la programmation n'est pas complète si elle ne fournit pas une méthode pour déterminer les lois de la propagation de tous les programmes qu'elle traite.
A l'approximation qui se borne à considérer les oeuvres, la programmation classique suffit, car il n'y a pas de feed-back. Mais à l'approximation plus serrée, la télé en temps réel, en direct, où le sondage espéré réagit sur l'oeuvre en cours, on s'est contenté de vagues analogies. Il faut préciser davantage...

(idem, p.127)
Les fragments ou embryons d'oeuvres, trop nombreux, ne peuvent plus se localiser avec précision (ou alors, avec un coût prohibitif). On ne connaîtra la probabilité de leur apparition, ici ou là (et on ne pourra influer dessus), que par le programme.

En bref, il se développe une situation générale de confusion (essentiellement propice, comme le faisait remarquer Lacan, aux exploits dérisoires du héros moderne). Dans ce cas, et en présence d'un tel programme complexe, on ne peut en général en séparer des sous-programmes indépendants 7. Ce serait là de véritables travaux d'Hercule, dignes pour le moins d'un super super-programmateur, généralement connu sous le nom de Démon de Maxwell, ou Machine Spectaculaire Bien Informée:

(ILYA PRIGOGINE : PHYSIQUE, TEMPS ET DEVENIR, p.187)
Il faut distinguer, en programmation quotidienne, les programmateurs qui agissent sur les grilles, des super-programmateurs, qui agissent sur les programmateurs eux-mêmes. L'entropie est un de ces super~programmateurs (la fortune est aveugle), qui mène au niveau microscopique à une complexité telle que le concept de programme ne correspond plus à une idéalisation satisfaisante.
(idem, p.257)
Les considérations qui précèdent nous ont conduit aux conclusions suivantes: pour des programmations infinies, il est possible d'élargir l'algèbre des observables de manière à y inclure un super-programmateur M représentant l'entropie du non-équilibre. (Ce super~programmateur, nous l'appellerons le télé-joker, ou, plus brièvement, le JOKER). On ne peut cependant définir ce JOKER que comme un super~programmateur non-taylorisable. Son introduction parmi les observables entraîne la conséquence suivante: les états purs perdent leur position privilégiée dans la théorie, et doivent être traités sur un pied d'égalité avec les mélanges... Des limitations apparaîtront quant à la possibilité de réaliser une superposition cohérente des programmes.
(idem, p.65)
Le travail de programmation consiste en une exploration élective plutôt qu'en la découverte d'une réalité donnée; il consiste à choisir le problème que l'on doit poser.
(idem, p.251)
Posons la question: une programmation peut-elle être complète? Une des raisons qui nous fait poser cette question est la difficulté d'incorporer le processus de mesure. Pour nous, le processus de mesure n'est qu'une simple illustration du problème de l'irréversibilité en programmation.

Eh oui.

Car le Démon de Maxwell fut exorcisé, faut-il le rappeler, par Brillouin en 1954 (date de parution de LA SCIENCE ET LA THEORIE DE L'INFORMATION, jamais réédité depuis en français comme il se doit; enfin, on peut toujours se le procurer en américain; bref). Et la façon dont se déroula cet exorcisme est justement basée sur une étude attentive du processus de mesure. Disons, pour résumer, que ce pauvre Démon serait obligé, pour acquérir l'information dont il a besoin pour trier dans la confusion, de dépenser plus d'énergie que cette information une fois obtenue lui en ferait gagner.


Il ne nous reste plus, pour achever la présente étude, qu'à nous pencher, donc, sur la douloureuse question de la mesure. Nous ne ferons pas appel, cette fois, à de vieux grimoires, mais à une récente émission de France-Culture, SCIENCES ET TECHNIQUES du mercredi 14/4/83, où Mme Jeanne Parrain-Vial rend compte de son récent ouvrage: LES DIFFICULTES DE LA PROGRAMMATION ET DE LA MESURE :
Prendre des mesures, avant ou après une programmation, est une opération beaucoup plus délicate que la programmation elle-même, qui après tout peut se contenter de tableaux, de comparaisons, bref d'une grille. Il faut d'abord extraire de la totalité concrète - c'est à dire de la production actuelle - les aspects programmables. Mais pour mesurer, il faut déterminer des unités...
En ce qui concerne les mesures a-posteriori, on ne retrouvera pas sans quelque amusement à la télé les 2 variables habituelles de la physique classique: une variable de quantité (le taux d'écoute) et une variable de tension (l'indice de satisfaction). Leur produit donnerait comme on sait, la puissance de l'émission à l'instant considérée. Et en multipliant par le temps, on obtient l'énergie (c.a.d. la valeur) de l'émission. On pourrait donc concevoir des modélisations de l'écoute en termes de réseaux électriques relativement simples. Toutefois, si le nombre de personnes à l'écoute peut sembler une quantité relativement claire, leur "satisfaction" semble l'être beaucoup moins: il y a non seulement une difficulté pratique à mesurer la chose, mais aussi une difficulté théorique à définir ce que l'on prétend mesurer.
Il y a en plus la transformation de ce que l'on veut mesurer par la mesure elle-même, l'exemple le plus frappant étant sans doute la modification des prévisions électorales par la publication des sondages d'intentions de vote. Le problème est pour l'instant bridé par une interdiction de publication peu avant la date fatidique du scrutin, mais épistémologiquement, il y a là un pis-aller quelque peu malsain. Et plus discrètement, mais peut-être plus fondamentalement, toute personne portant un intérêt spécial à la télévision devra bien investir quelques intérêts dans des émissions dont, si elles n'eussent pas remporté un certain succès public, ou un bide complet, elle n'eut pas donné un clou.
Ce problème de l'observateur observé devient encore plus flagrant en ce qui concerne les mesures a-priori, celles qu'on prend avant diffusion pour assurer le programme et/ou l'antenne. Si l'on prélève des animaux dans un écosystème, il est bien évident que l'on modifie l'écosystème que l'on est en train d'étudier. De même, si l'on passe à l'antenne un film cinématographique récent, on le grille pour l'exploitation ultérieure en salle (parce que ce genre de produit n'est élaboré pour n'être vu qu'une fois, et encore). D'où les mesures prises pour protéger le vivier cinématographique, voire pour l'aleviner. Mais ces mesures prises portent elles-mêmes préjudice à la télévision, dont le public, c'est bien connu, préfère les films. Et tout l'art du programmateur sera de ruser avec ces difficultés.
Incidemment, les unités utilisées en amont (temps et argent) ne sont pas tout à fait les mêmes que celles utilisées en aval (taux d'écoute, etc.). Le public et son intérêt ne se métamorphosent en argent que via une redevance forfaitaire. On peut se demander ce que cela donnerait dans le cas d'une télévision à la carte, avec décodeurs payants et ainsi de suite, et c'est bien d'ailleurs ce que se demandent les responsables du projet français de 4ème chaîne.
On peut minimiser ces incertitudes, on ne peut pas les annuler. Il y a toujours un coût à toute mesure prise, et une mesure parfaite demanderait tout le temps et toute l'énergie de tout le monde, un coût en néguentropie infini, on le savait depuis Brillouin, il est bon de le rappeler.
Pour l'instant, en tout cas, on ne peut que se cantonner pragmatiquement à des généralités pifométriques du genre "Untel est un homme de programme, mais Machin ne l'est pas" ou bien "X a du flair, mais il travaille au coup par coup" etc... Le pouvoir de programmation n'est démocratique que dans la mesure où ses hypothèses a-priori risquent d'être falsifiées par le public, et il faudrait pour cela qu'il y ait:
a) une bien plus grande abondance de programmes différenciés;
b) des modalités de réponse plus souples que le simple dilemme silence/applaudissements. Ces conditions sont nécessaires, elles ne sont sans doute pas suffisantes.
Enfin, si l'on voit ici les limites d'un traitement numérique de l'information, il faut souligner que des possibilités de traitement rigoureux non-numérique existent, en particulier du côté de la topologie, analysis situ, etc.

Vaste programme pour les générations futures. En attendant, il me reste à conclure, et j'emprunterai ma conclusion à un ouvrage déjà cité ;

(G JUVET, STRUCTRE DES NOUVELLES THEORIES PHYSIQUES, p.l40)
Sans aller jusqu'à dire avec Sir Arthur Eddington que l'on considérera les programmes les lundi, mercredi et vendredi, et les oeuvres les mardi, jeudi et samedi matin (pendant le week-end, on manifestera la plus grande indifférence à toutes ces questions), il est bien évident que ce dualisme est cause de désordre; mais pourvu que l'on sache s'en servir, on peut obtenir rapidement, comme nous l'avons fait, des résultats exacts sans être obligés de recourir à l'application plus difficile des probabilités. Mais ainsi qu'aime à le dire M. Emile Picard, notre illustre maître à tous, nous autres mathématiciens: il est plus facile d'apprendre les mathématiques que de savoir s'en passer.


cul-de-lampe d'époque
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NOTES

1.- Pourquoi 1896? Parce que c'est le début de la radioactivité naturelle; les atomes cessent d'être insécables, et vont bientôt se résoudre en particules plus élémentaires. Vers la même date, Freud met la dernière main à la Traumdeutung: les individus aussi vont se résoudre en affects plus élémentaires. Condensations, déplacements, etc.: les opérations effectuées par ces débris ne sont rien d'autres que les opérations élémentaires de la théorie des ensemble - ou de la logique classique - qui commencent toutes deux à prendre forme. Quant aux oeuvres, ma foi, même si les collages et les plagiats se multiplient, la critique et la législation en resteront impavidement au XIXème siècle. Cette situation a perduré jusqu'à aujourd'hui.

2.- Bien qu'ayant émis lui-même en 1900 l'hypothèse des quantas, Max Planck mit ensuite 10 ans à se persuader qu'il avait raison...

3.- On pourrait se demander quels sont les rapports entre la dualité oeuvres/programmes, et l'histoire. Si ces rapports sont bien analogues à ceux qu'entretiennent mécanique quantique et relativité, la réponse est simple: on n'en sait rien. La coordination mécanique quantique/relativité se fait toujours attendre, la quantification du champ gravitationnel n'est toujours pas faite. La quotidianisation du champ historique non plus.

4.- Le Principe d'Exclusion de Pauli énonce que, à l'intérieur d'un même programme, il ne doit pas y avoir de doublons... Par contre, entre 2 programmes concurrents et parallèles, il y a de fortes chances que ces deux programmes deviennent indiscernables (un film sur chaque chaîne, les JT en même temps basés sur les mêmes éléments fournis par les agences, etc.).
Le Principe d'exclusion résulte de la structure de groupe des programmateurs, et de leur permutabilité, ou non.

5.- Les nouvelles oeuvres sont virtuelles, enfouies dans le bruit de fond social noiseux, au fond d'un puits de potentiel. Il faut leur injecter de la valeur pour leur faire prendre corps, et encore de la valeur pour leur faire faire le bond hors du trou où elles gisent.
Elles naissent alors par paires opposées: oeuvre, et anti-oeuvre.
Les conditions de passage de la barrière sont inanalysables, à cause des relations d'incertitude. Toute tentative d'étudier ce qui se passe à ce moment particulièrement sensible du surgissement aboutirait, soit à accélérer le passage, soit à renvoyer le tout dans les limbes.

6.- Cet être évanescent existe bel et bien, et pas seulement dans les médias. Ce n'est pas sans amusement qu'on apprendra que la ville de Washington, D.C., fut planifiée par un dénommé Lenfant vers 1800, et ne déborda son plan de développement prévu que vers l920.

7.- Les variables cachées sont le supplément d'âme du programme. Un couple, parti de Paris, regarde la télé, elle à Rennes, lui à Dijon: il y a de fortes chances que leurs choix de programme ne soient pas indépendants. Pourquoi ?


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